Quand les princes se transforment en rats

[ARGH]

Il était une fois, dans le repaire méridional du Buena Partida Social Club, trois hurluberlus qui manipulent fiévreusement une poignée de cartes, les unes à dos vert, les autres à dos rouge. Les cartes représentent des pommes, certaines empoisonnées, que les joueurs se proposent les uns aux autres en se regardant de manière chafouine...

Le prototype à l'origine de ARGH tourne alors autour du conte de Blanche-Neige.

Ça faisait longtemps que je voulais faire un jeu autour de cette mécanique redoutable qui consiste à proposer aux autres joueurs des cartes face cachée. Et j'ai trouvé que le personnage machiavélique de la sorcière qui propose une pomme empoisonnée à l'innocente Blanche-Neige correspondait tout à fait à la situation que je voulais reproduire ludiquement parlant.

Tu veux goûter cette pomme, mon enfant ? Vas-y, croques-en un morceau...

J'ai alors repris les personnages du récit : les 7 nains et le prince représenteraient les personnages bénéfiques, tandis que la reine ou la sorcière les personnages à éviter. Le but étant de cumuler le maximum de points à la fin. Par contre si on tombait sur une pomme empoisonnée, il fallait trouver un antidote (c'est-à-dire une autre pomme empoisonnée), sinon c'était la mort assurée.

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Selon un classement purement arbitraire, Grincheux affiche la valeur 1 et Joyeux la valeur 7 .

Il y avait une autre manière de remporter la victoire : réussir collecter 2 cartes représentant Blanche-Neige (dans le jeu définitif, ce sont les bombes qui remplissent cette fonction).

La première version du jeu est dans un format vraiment minimaliste : 16 cartes seulement, réparties en 2 tas. Difficile de faire plus épuré !

Il n'y a pas que les mécanismes qui sont épurés... le graphisme des cartes l'est aussi !

Malgré ce minimalisme, la tension est quand même présente et les sensations encouragent à creuser le concept.

J'étoffe un peu le nombre de cartes pour créer des interactions nouvelles et diversifier le gameplay :

- si on possède la pioche, il faut envoyer l'un de ses nains travailler à la mine...

- le chasseur permet de prendre connaissance d'une des 3 cartes écartées en début de partie (ce pouvoir a été conservé pour les cartes goodies du jeu, c'est maintenant la chouette-reporter qui a ce rôle-là).

J'arrive progressivement à 3 tas de 8 cartes. Chaque tas a une composition de cartes spécifique, selon la logique : risque faible / récompense faible, risque élevé / récompense élevée. Il ne faut cependant pas trop augmenter le nombre de cartes, puisque sinon on dilue la part de déduction et on crée un sentiment d'incontrôlabilité.

Peu après, le laboratoire de développement de Blue Cocker réfléchit à une thématique moins enfantine que celle de Blanche-Neige et accouche d'un projet provisoire répondant au nom de code « Destroy the world ».

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Un jeu où la destruction est la clé de la victoire.

De mon côté, j'exporte temporairement le jeu sur le continent asiatique, dans le cadre de la guerre d'influence entre les Triades chinoises. L'ambiance de suspicion et de trahison qui règne entre les joueurs peut effectivement évoquer certaines pratiques mafieuses.

Les gangsters censés être chinois sont en fait illustrés par des images de Yakuzas japonais tirées d'un jeu vidéo...

Remarquez au passage que les cartes sont passées à un format tarot – l'édition finale a fait le choix de cartes encore plus grande, de même taille que celles de Dixit.

Voici l'aide de jeu de l'époque, avec dans chaque colonne les cartes présentes dans différents quartiers de Hong Kong, symbolisés par les 3 tas. Les cases grisées indiquent les personnages nuisibles : il y a 3 chances sur 8 de tomber sur un os !

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Finalement les gangsters prennent la forme d'animaux qui se révoltent contre leurs maîtres humains, de petites bestioles aussi mignonnes qu'ingrates, prêtes à mordre la main de ceux qui les nourrit. Gare aux représailles !

Et pour la suite de l'histoire du développement de ce jeu, l'illustratrice Anne Heidsieck vous explique tout ici.

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C’est plaisant aussi quand on a vécu en vrai l’histoire de jeu…Perso j’y ai cru dès le début !^^

Excellent ! Merci beaucoup pour ce partage sur l’émergence de la créativité autour de ce jeu.

Ca me rappelle que j’ai vu la vidéo mais ne l’avais pas encore mis sur ma liste de souhait. Je vais regarder ça de plus près. Top l’article

Merci pour le commentaire :slight_smile: