Le scénario et les missions

En ce début d’été 2019, notre équipe (formant le collectif GTFK) est prise de nostalgie… Mugen (Corentin Calvez) et Rasebelune (Florent Favard) prennent donc la plume pour revenir sur l’évolution du projet Krysalis et parler, non pas du jeu lui-même, mais du travail que nous avons mené, pour proposer une série de billets à quatre mains, en mode “méta”, retraçant près d’une décennie.

Le but est autant de revenir sur notre parcours pour celles et ceux qui connaissent un peu le projet, que d'exposer plus largement l'aventure que peut être la conception d'un jeu de plateau/de figurine lorsqu'on est une petite équipe de passionnés. Nous espérons ainsi que les obstacles que nous avons rencontrés, les astuces que nous avons trouvées, les idées que nous avons testées, pourront vous éclairer si vous souhaitez vous lancer dans un projet similaire, ou simplement si vous voulez en savoir plus sur l'univers du jeu de plateau/de figurines.

Relire : 2. les premiers pas

Aujourd’hui Rasebelune évoque la conception du scénario - sans divulgâcher l’intrigue !

Refondre le scénario

En récupérant Krysalis, confié à nos bons soins par l’association Maow Miniatures, nous avons aussi récupéré son univers, qui, en 2009, avait déjà été creusé par Matou et quelques-uns de ses comparses - je me rappelle notamment d’un court-métrage en mode teaser de Nabasadanoir, que je serai bien incapable de retrouver aujourd’hui - Le pitch de base était le suivant :

« Dans un futur proche, des scientifiques, isolés du monde lors d’une expérience au long cours, découvrent que le monde a été envahi par des monstres insectoïdes mutants. »

Cette ambiance un peu série B nous plaît quand même énormément.

Les éléments qui font aujourd’hui la particularité de Krysalis étaient déjà présents en filigrane : un futur proche, impliquant la mise en scène d’un monde contemporain, reconnaissable ; une équipe de survivant·es soudée face au danger ; une ambiance glauque et sombre. Les premiers concepts de l’illustrateur Trolkin donnaient une idée de l’aspect visuel de l’univers, avec un côté très série B, voire série Z. L’hypothèse retenue à l’époque tournait, si ma mémoire est bonne, autour d’incidents nucléaires qui auraient fait muter les fourmis, et évoquait les films de monstres des années 1950. Toutefois, l’univers méritait d’être plus développé. Ecrivant déjà sur d’autres projets personnels, j’enfilais alors la casquette de scénariste de l’équipe.

De 2019 à 2029

L’idée était de développer un monde fictionnel suffisamment détaillé pour offrir un background solide : de même qu’un iceberg dont on ne voit qu’une petite partie émergée, une bonne histoire a une énorme partie immergée qu’on ne voit pas, mais qui supporte la cohérence de l’ensemble ; c’est d’autant plus important lorsqu’on veut déployer les éléments de l’histoire sur plusieurs médias différents (le transmedia storytelling), et il s’agit d’une piste qui nous a toujours intéressé pour Krysalis. Le jeu de base devant d’abord proposer un gameplay et une ambiance plutôt qu’une intrigue complexe, l’idée était de disséminer certains fils de l’histoire sur d’autres supports : le site internet, le livret de missions, et qui sait, d’autres médias…

Tric Trac

Lorsque Rasebelune a présenté la première fois ses idées de scénario dans une voiture qui roulait vers la Normandie
ça donnait un peu ça quand même.

Aussi c’est tout une uchronie dans laquelle j’ai décidé de me lancer : créer un univers alternatif, similaire au nôtre mais avec de subtiles différences, ce qui en ferait un monde où les technologies comme le climat politique justifient le contexte tendu dans lequel les personnages débutent. Se projeter dans un futur proche, en 2019, nous autorisait aussi à anticiper sur les développements scientifiques, et notamment le boom des simulations de vie sur Mars : c’est dans l’une de ces simulations que l’équipe d’humains se retrouve coupée du monde, pour ensuite découvrir qu’il a été envahi par des créatures inconnues - qui ne sont plus des fourmis mutées par irradiation…

Un problème a commencé à se poser lorsque le développement du jeu s’est étalé sur plusieurs années : le futur devenait beaucoup trop proche. En 2013, j’ai décidé de décaler le début de l’intrigue en 2029, pour conserver de la marge. Bien m’en a pris, car nous revoilà aujourd’hui avec le même décalage de 10 ans que celui que nous avions prévu au départ, et des possibilités nouvelles en termes de narration, et par ricochet, de gameplay : par exemple, nous avons introduit comme personnages jouables secondaires des robots quadrupèdes plus élaborés que ceux actuellement fabriqués par Boston Dynamics, amenant l’idée de compagnons (robotiques ou canins) utilisables par les personnages principaux.

Trop d’histoire… ou pas assez ?

Voilà une question que je me suis souvent posée. Il est certain qu’un des atouts d’un monde dense et fouillé consiste à laisser la liberté aux joueurs et joueuses de creuser ce monde selon leurs envies, que l’on soit là pour lancer un D10 ou que l’on préfère se poser des questions sur l’origine de tel logo mystérieux caché dans le décor. C’est l’un des principes fondateurs du transmedia storytelling, qui peut même être appliqué à plus petite échelle au sein de la boîte.

En revanche, un autre atout m’est vite apparu: la possibilité de concevoir des personnages - et des monstres ! - qui soient plus que de simples archétypes aux histoires classiques ou stéréotypées. Chaque humain de Krysalis possède à ce jour des biographies très détaillées (la partie immergée de l’iceberg) qui alimentent la cohérence de leur fiche personnage et du monde dans lequel ils ont évolué, et permet de piocher des détails inédits à disséminer sur d’autres supports. Les monstres ont eu à l’origine plus de mal à bénéficier de cet effet iceberg, mais c’est quelque chose que nous avons cherché à creuser. Sans en dire trop sur l’intrigue : au-delà du mystère qui entoure leur origine, l’idée reste de faire des monstres plus que des antagonistes basiques, et de permettre aux joueurs et joueuses les incarnant de pouvoir roleplay une faction plus complexe qu’il n’y paraît. Nos “champions” monstres sont plus que des variations coriaces des sentinelles et guerriers ; ce sont des personnages complexes, jetés dans un monde qu’ils ne connaissent pas et où ils devront se tailler une place (à coups de griffes).

Scar n'est pas juste une version un peu modifiée des guerriers c'est un personnage à part entière.

La question de la quantité de matériau narratif reste ouverte, suivant le déploiement du jeu que nous pourrons mettre en oeuvre, si le scénario actuel est suffisant ou si les joueurs et joueuses souhaitent l’explorer plus avant. Dans tous les cas, j’ai esquissé dès les premières années plusieurs actes de l’intrigue qui permettront au jeu de suivre une intrigue cohérente si des extensions venaient à sortir : la partie immergée de l’iceberg ne concerne pas que le passé, elle peut aussi pointer vers l’avenir. D’autant qu’avancer en sachant où nos personnages pourraient aller en terme d’intrigue et de gameplay est une motivation supplémentaire pour mener à bien le projet !

A suivre...

Lire la suite : 4. Les illustrations