journal d'un auteur - part. 4

Si vous avez raté les épisodes précédents…

Partie 1 Motivation générale et idée de base

Partie 2 Il y a peut être mieux à faire avec cette idée

Partie 3 développement du premier prototype

5- Une auberge abandonnée…

Nous sommes donc fin décembre. L’ambiance est festive au repaire en ce vendredi soir de jeux. Après notre traditionnel repas en grande tablée, l’heure est venue de passer aux choses sérieuses.

Je sors la boite d’Heliopolis, et commence le mise en place.

Premier constat : le prototype intrigue. La profusion de matériel, les images que j’ai récupérées pour créer l’ambiance, les palmiers, pyramides et chameaux en plastique issus de « sacré chameau », les Meeples à foison, l’ensemble donne d’emblée envie de jouer.

François, Sébastien (Matinciel et Xseb sur les forums) ainsi que Maël (mon fils) seront les premiers à s’élancer en ma compagnie. En effet, je participe toujours aux séances de tests en tant que joueur, au moins en ce qui concerne les premières séances. En parallèle des impressions de chacun des testeurs, j’ai besoin de me forger mon propre ressenti de joueur. Ma pulsion créatrice part d’un sentiment assez égoïste, puisque je suis mon premier public et que je ne veux faire que des jeux auxquels j’ai envie de jouer. Ainsi, en confrontant le ressenti des testeurs au travers du filtre de mes propres impressions, il me devient facile de savoir quoi écouter, et aussi (surtout ?) quoi ne surtout pas prendre en compte.

La règle est très vite expliquée, et intégrée par mes partenaires. C’est un bon point. Tout de suite, dès la première « enchère », on est dans le bain. Là encore, ça sent bon. Mais surtout, on découvre peu à peu des possibilités intéressantes. En fonction du nombre de Meeples dans chaque case, il y a des coups particuliers qui se mettent en place. Encore faut-il les voir. Et ça aussi ça me plaît, car il devient évident que le jeu possède une vraie courbe d’apprentissage. J’aime les jeux qui ne délivrent pas forcément tous leurs secrets à la première partie. En même temps, j’ai conscience que, de nos jours, il faut impérativement que l’expérience ludique à l’issue de la première partie soit suffisamment convaincante pour que le jeu ait droit à une deuxième chance, et ne finisse pas immédiatement sa carrière à prendre la poussière sur les étagères. Je note dans un coin de ma tête :

« peut-être rédiger une sorte de guide stratégique avant la sortie du jeu si je trouve un éditeur ».

La première partie se passe bien, donc. Très bien. Evidemment, il y a plein de choses imparfaites qu’il va falloir corriger. J’y reviendrai. Mais il y a un élément assez étonnant : il nous apparaît clairement que le jeu, dans l’état actuel, est déséquilibré au niveau des différentes façons de gagner des points de victoire. Tout particulièrement, les marchands sont surpuissants. Usuellement, quand on se retrouve confrontés à ce genre de situation, on arrête la partie, je corrige dans la semaine qui suit, et on y retourne plus tard. Là, ça n’a pas été le cas. Malgré le déséquilibre, tout le monde a souhaité non seulement terminer la partie, mais encore en enchaîner une autre (j’ai corrigé l’échelle de points à la va-vite, mais ce n’était pas suffisant). Bref, une bien belle soirée, qui me donne une grande confiance dans la viabilité du projet… et comme bien souvent le vendredi, de retour à la maison, le sommeil me fuit et j’en profite pour passer en revue les différents éléments qu’il va falloir ajuster pour la prochaine fois.

Structure du jeu : RAS – c’est juste parfait en l’état. On paye pour choisir l’ordre du tour, puis on déplace les meeples, on fait leur action, on fait l’action du lieu. Simple. Efficace. On a toujours besoin d’une base sur laquelle s’appuyer pour la construction d’un projet. La base est là, elle ne bougera plus
Durée du jeu : Nous sommes arrivés assez vite à une situation dans laquelle il n’y avait plus de mouvements valides. Comme il aurait été trop frustrant d’arrêter la partie à ce stade, j’ai imaginé en cours de test un système dans lequel on remet 3 Meeples par case vide lorsque l’on en arrive une première fois à ne plus pouvoir bouger. La partie ne prenant fin que lorsque cela se produit une seconde fois. Bien sûr, ça fonctionne, mais d’une part ce n’est pas du tout élégant mécaniquement parlant, et d’autre part ça rajoute une part d’aléatoire en milieu de partie qui n’est pas super raccord avec la sensation que je veux donner avec ce jeu.
Il faut donc rajouter des cases. Avec un nombre de cases qui permettent de conserver l’équité de répartion des Meeples par couleur. Donc 5 cases. La surface de jeu sera de 5*6 cases au final.
Dépenser pour décider de l’ordre du tour de jeu : ce système fonctionne à merveille, et amène juste ce qu’il faut de tension en début de tour. Forcément, il y a quand même un « mais… ».
En effet, ma piste initiale de mise est de 0-1-3-5-8-12. Avant la première partie, payer 12 pièces d’or, c’est à dire 12 points de victoire pour jouer avant tout le monde, ça me paraissait déjà monstrueux. Et puis, au fur et à mesure que les parties avançaient, et que notre « lecture » des différentes possibilités se faisait plus précise, on s’est rendu compte qu’il y avait, parfois, des « coups » à faire, pouvant donner jusqu’à une trentaine de points de victoire en une seule fois. Et dans cette situation, miser 12 ne grève pas la rentabilité du coup, mais encore garantit à celui qui s’est positionné sur cette case de jouer premier. Que faire… revenir à un système d’enchères libres ? hors de question pour les raisons évoquées précédemment. Mais rajouter une case, par contre, oui. Et c’est là que j’ai rajouté la case de valeur 18. Je me rappelle fort bien de la tête de mes acolytes du vendredi soir lorsque j’ai sorti la nouvelle piste de mise avec cette case à 18. Ils m’ont pris pour un fou. Au mieux ils étaient moqueurs, au pire, décidés à m’interner. Et puis on a joué. Et cette case a produit exactement l’effet que je souhaitais. Certes, sur la première partie, personne ne l’a utilisée. Alors pourquoi m’a-t-elle néanmoins satisfait ? Tout simplement pour la possibilité qu’elle apportait. Tout particulièrement lorsque le joueur qui mise en premier se positionne sur 12, il n’est encore pas certain à ce stade là de jouer premier. La possibilité que quelqu’un mise plus, de façon exceptionnelle, maintien son implication dans le suivi des mises suivantes, et lui amène à serrer un peu les fesses en espérant que ça passe… et lorsque deux parties plus tard, j’ai finalement perdu de justesse uniquement parce que au dernier tour je n’ai pas souhaité/oser surenchérir sur le 18, cette case a définitivement fait l’unanimité.
Les sous, encore les sous… Puisque l’on dépense pour choisir l’ordre du tour de jeu, la question se pose de savoir combien donner au départ à chaque joueur. La question peut paraître sans importance. Elle s’est en fait révélée cruciale.
Dès le début de mon idée, j’ai souhaité créer une vraie situation de tension autour de cette phase de jeu. Et du coup, j’ai imaginé que cette tension serait d’autant plus importante que les joueurs possèdent peu d’argent en début de partie, les amenant ainsi à gérer les dépenses de façon raisonnée sur l’ensemble de la partie, en laissant passer certains coups dans l’attente du suivant. Puis j’ai constaté que trop brider les ressources au début du jeu conduisait les joueurs à préférer ne pas dépenser du tout, allant à l’encontre même de l’effet désiré. Du coup, partie après partie, j’ai augmenté la somme initiale, pour terminer à 50 pièces d’or. Car dès lors que l’on possède une somme importante, payer 3 ou 6 paraît nettement plus insignifiant que lorsque ces sommes sont comparés à une fortune initiale plus faible. Et les enchères sont devenues palpitantes à souhait. Comme je l’espérais !
Accès aux Dieux et Marchandises : Arbitrairement, pour commencer, j’ai mis une file de 6 marchandises disponibles, et une file de 3 Dieux. Dès qu’un joueur se sert, la file est complétée à nouveau, offrant à chacun l’accès au même nombre de ressources. Le problème, c’est que c’est finalement antinomique avec le fait de payer pour choisir l’ordre de jeu : en effet, si je paie, par exemple, pour jouer premier, que je prends des marchandises grâce aux marchands, mais qu’en complétant la file, j’offre au joueur suivant de nouvelles possibilités plus intéressantes que celles auxquelles j’ai eu accès, alors j’ai le désagréable sentiment d’avoir payé pour rien. Pire, je vais même sans doute finir par ne plus payer.
Il faut donc ne remettre à jour les files marchandises et dieux qu’à la fin d’un tour complet, une fois que chaque joueur a terminé ses actions. Il faut une file de marchandises plus grande (on passera à 9 cartes). Par contre, pas besoin d’en rajouter pour les dieux. Après tout, s’il y en a un que tu veux absolument, alors tu n’as qu’à payer pour jouer premier !
Equilibrage des points de victoire : Réduction de la part liée au commerce, augmentation de la part liée au contrôle des quartiers, et tout un tas de petits micro-réglages du genre +1 point par ci, -1 point par là. Cet équilibrage a été au départ un peu empirique, mais au fur et à mesure des tests suivants, j’ai commencé à compiler une base de données permettant de suivre l’évolution des scores. Afin surtout se s’assurer qu’aucune stratégie n’est prioritaire sur les autres. Les marchandises restent attractives, mais il y a d’autres moyens, tout aussi efficaces, d’arriver à la victoire. Et s’il est tentant de ne pas payer pour choisir son tour de jeu, la victoire sourit irrémédiablement à celui qui a su dépenser avec un juste rendement.

Au final, le plus gros de ce travail d’ajustement aura été fait en un mois. Fin janvier 2013, soit un peu plus de 5 semaines après le premier essai du tout petit proto initial, je jeu correspond exactement à mes attentes. On joue, on se regarde en chiens de faïence, on râle, on se maudit. Bref le jeu vit. Et on découvre des petits trucs à exploiter à chaque partie. Je suis heureux, vraiment.

Il va être maintenant temps de commencer à frapper à la porte des éditeurs…

Bon… il n’y a pas tellement d’images pour agrémenter la lecture de ce texte… j’aurai évidemment du prendre des photos de tout ça au fur et à mesure des parties… alors pour le plaisir des yeux, vous pouvez aussi allez regarder les premières images du jeu en cours de fabrication ici…

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Vivement ce soir que l'on puisse runnner entre les pyramides et les palmiers, mais chutttttttt.

Hum, message qui s'adressera surtout à la TTTeam mais aussi un peu à M. Bruno (qui donne toujours autant envie de tester son jeu !).

En voulant voir s'il y avait une date de sortie, parce que je ne m'en souvenais plus, en revenant sur le 1er article et en cliquant sur "Five Tribes", et bah j'ai le droit à un joli message "Vous n'êtes pas autorisé.".


Donc 2 options à première vue.

Soit la fiche n'existe pas.
Soit il y a un soucis avec celle ci ou il y a quelque chose que j'ai raté :D

D'ailleurs, en faisant la recherche, on ne trouve qu'une seule news correspondante, de Phal.
C'est du coup dommage que ces journaux d'y figure pas, peut être un soucis de "tag" ?

Cher Monsieur @Argone,

Pour la fiche, elle existe, le truc c'est que je l'avais laissé en privé :) Voilà, je l'ai libéré...

@Monsieur Phal Me voilà rassuré :)

Par contre, cet article ne serait il pas également en "privé" ?
J'ai pu y accéder via le lien de Bruno sur son Facebook mais je ne le vois pas avec les autres niouzes.

Cher Monsieur Argone,

C'est que parfois il faut aller dans l'onglet "Bloggueurs" ;o)

@matinciel dommage, je ne pourrai pas être présent ce soir... Après ma tactique extravagante à Cyclades Titan la semaine dernière, j'aurais bien essayé quelque chose de nouveau ce soir ;-)

@Monsieur Phal C'est une conspiration !

Ceci dit, maintenant il apparaît correctement ! :P


De base, j'affiche tout, il me semble que j'avais cliqué mais c'est fort probable que ce ne fut pas le cas non plus, l'essentiel, c'est tout soit ok :D

Toujours aussi intéressant à lire! super article

Une question que je me pose...

Ca paraît difficile de se dire qu'on peut créer un jeu en même temps qu'on prend du plaisir à y jouer. Tous ces ajustements, mettre les mains dans le cambouis et savoir qu'on a le pouvoir absolu sur les règle ça gâche pas trop le plaisir de jouer ?

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Que c'est agréable de cliquer sur "J'aime" pour ses propres commentaires.

@Djinn42

Oui c'est vrai, il a raison.

1 « J'aime »

La suite.....la suite.....

@Djinn42 au contraire... Ces ajustements en quasi live contribuent à mon plaisir

Encore un très bon article passionnant à lire. Merci M. Bruno !

@Bruno des Montagnes Amoureux de la mise en abîme... Jouer à jouer.