[SHDC] Le Savage Club - Attention SPOIL

[Sherlock Holmes Detective Conseil : Jack l’Eventreur & Aventures à West End]

Nos mésaventures à West End se poursuivent… Après une enquête qui pouvait laisser espérer une remontée du niveau (La Mort d’un conte transylvanien, correcte quoi qu’assez oubliable), on redégringole dans le grand n’importe quoi, qui fait de cette boîte une vraie déception, pour ne pas dire un échec bien brutal, sinon un désastre.

Pour être un peu positif, je dirai que nous avons apprécié les multiples échos dans les journaux, comme si l’air du temps venait se cristaliser dans un cas concret ; c’est agréable, mais loin d’être suffisant.

Pourquoi cette enquête est-elle si bidon ?

1/ Une simple affaire de titre : l’affaire s’intitule Le Savage Club, mais elle aurait pu tout aussi bien s’appeler Mon cul sur la commode. C’est la première fois dans SHDC que le titre d’une affaire et son illustration de couverture se focalisent sur un aspect totalement anecdotique de l’enquête. C’est d’autant plus perturbant qu’il s’agit d’un titre précis, désignatif, et non pas un titre vague du type « mystères de Londres ». Qui veut enquêter ici sur le Club ne découvrira rien, sinon un décor sans enjeux, puisque les auteurs ne daignent pas développer une fausse-piste inaugurale intéressante et cohérente (comme cela pouvait être le cas dans Le Compte du banquier, permettant réellement deux niveaux d’enquête et l’effet wahou d’une vraie bifurcation narrative…). Bonjour paresse. Ou alors les coupes simplificatrices de l’éditeur s’avèrent contre-productives…
À quoi bon cette remarque de Holmes dans l’introduction, à propos du fondateur du club (désigné comme « un meurtrier et un escroc ») ? Il est évident a posteriori qu’elle est là pour instiller le doute dans l’esprit des joueurs, leur faire soupçonner les membres du club et ainsi leur faire perdre du temps à essayer de glaner des infos sur la nature potentiellement crapuleuse de celui-ci (sont-ils tous de mèche dans le pseudo-vol du diamant ? – diamant dont à la fin on ne sait toujours pas comment il a été dérobé. Pour le sentiment de complétude résolutive, on repassera). Un leurre dès l’intro, pourquoi pas. Mais outre que ça ne suit pas narrativement derrière, c’est en dissonance complète avec le « pacte » du jeu, lié entre autres au statut, à la caractérisation et à la méthode de Holmes.

Dans le Canon de Doyle et dans SHDC, Holmes n’est pas censé parler pour ne rien dire ni projetter d’idées préconçues avant que les faits lui soient exposés. Les auteurs savent que les joueurs ne remettront pas facilement en cause sa parole. Or ici, ce dernier se livre à une accusation non factuelle et sans relation directe avec les éléments de l’enquête. Aller à l’encontre de cette règle implicite selon laquelle Holmes n’est pas là pour nous mystifier, c’est forcer le jeu et ses codes de façon franchement déloyale envers les joueurs et de manière non respectueuse de l’univers holmésien.

Si cette enquête doit continuer de se nommer ainsi à l’avenir, ce dialogue devrait être supprimé ou alors mis dans la bouche de Watson et ses implications développées correctement par une vraie fausse-piste (= sur plusieurs paragraphes numérotés distincts, notamment en créant plus de matière autour de Sala et Candlemere, les deux seuls membres du club à avoir accès au coffre où le diamant était entreposé…). Sinon, le titre de l’enquête devrait être changé. Ce qui déconne c’est l’association de l’un et de l’autre (titre + leurre via Holmes + absence de fausse-piste correctement développée).

2/ Le mobile du meurtre de Lili Longtree : un homme d’affaire antimonarchiste, un député socialiste et un journaliste idéaliste transformés en assassins, histoire de bien charger la mule ? C’est artificiel. Pourquoi prendraient-ils un tel risque ? Le scandale de la liaison suffisait à discréditer le Prince de Galles. Il y a une sacrée différence entre voler des correspondances et utiliser une intrigante afin d’orchestrer un opprobe public, et commanditer l’assassinat d’une innocente qui ne les menace en rien. Ok, Nickola Pashitch est un violent – mais il est aussi mû par un idéal politique qui devraient orienter sa violence vers des cibles exclusivement politiques ; en faire le tueur froid et monstrueux d’une femme qui n’est pas une ennemie de classe est… inconséquent au possible, en sus de colporter les vieux clichés stupides sur les anarchistes – mais Gilbert Noonan, Pemberton et Hale Brougham n’ont aucun intérêt objectif à se compromettre de la sorte, tout républicains qu’ils soient ! C’est donc… INVRAISEMBLABLE. Ces gens sont conditionnés par une éducation et des barrières morales. Quiconque les franchit doit être mû par un levier impérieux. Pour nous faire suspendre notre incrédulité, il eût fallu développer les rapports de ces hommes entre eux, afin de justifier éventuellement l’emprise psychologique de Pashitch sur les autres ou nous faire comprendre d’une manière ou d’une autre que ce dernier était devenu incontrôlable, que la situation leur avait échappé, bref qu’il y avait un dissensus entre eux (mais alors cela affaiblirait la crédibilité, déjà vasouillarde, du suicide de Noonan), ou bien toutes autres raisons crédibles les menant à se transformer en meurtriers volontaristes (du genre salauds cyniques inhumains pour qui la fin justifie les moyens, mais bon, c’est tout naze parce que générique comme motivation et incohérent avec leur engagement…).

On aurait déjà pu croire plus nettement à la nécessité pour eux du meurtre s’ils avaient été aux abois, menacés de se voir dénoncés par Lily Longtree, sur le point de tout perdre, mais ce n’est pas du tout écrit comme ça. Et comme il y a par ailleurs une histoire de substitution de diamant, sur quoi le jeu insiste, il n’est pas illogique d’associer le meurtre de Lily Longtree à cet enjeu de possession matérielle (à quoi on peut ajouter la jalousie sexuelle dans le cas précis de Laws, suspect valable), ce dont ces messieurs de la haute n’ont cure, le diamant étant une bagatelle pour eux.

Bref, quoi qu’il en soit, nous sommes là face à une faiblesse d’écriture structurelle qui nécessiterait d’être sérieusement retravaillée. En l’état, les joueurs se gaussent.

3/ Le suicide de Gilbert Noonan : volontairement flou donc bidon. Certes il peut se déduire par le ton de la note laissée sur le bureau. C’est même bête comme chou. Mais à quoi ça rime de ne pas décrire l’arme, qui devrait encore être dans la main de Noonan ou tombée sur le sol ? A quoi ça rime de ne pas décrire l’impact de la balle dans le corps ? À quoi ça rime que le testament ne soit pas sur le bureau, avec la note ? C’est de la rétention d’information qui vise à laisser supposer qu’il a pu être tué (si c’est un suicide, l’arme DOIT être trouvée dans la pièce par Wiggins and Co. Cohérence de base ! Sinon ça signifie qu’elle a été escamotée ou que le mec a été tué !). C’est d’ailleurs l’interprétation que nous avons privilégiée, nous basant sur l’article anti-parlementaire de Noonan dans le Pall Mall Gazette, supposant qu’il était un Travailliste pur et dur, désillusionné quant à l’investissement de ses complices quant-à la cause, ayant compris qu’ils voulaient dégager le Prince de Galles et en finir avec la Monarchie pour prendre le pouvoir et non le donner au Peuple. En conséquence de quoi, ses complices se seraient débarrassés de lui, de peur qu’il les balance, la note manuscrite sur le bureau étant interprétée par nous comme une sorte de prescience de Noonan que son heure était venue ou bien comme un faux, mis là par ses meurtriers pour acréditer le suicide, justement (nous avons hésité sur ce point). Sans vouloir me lancer des fleurs, cette interprétation me semble plus riche car plus retorse que la solution réelle, platouille au possible.
Et quant au testament, le mec est en bonne santé et dans la fleur de l’âge et il a tout anticipé en ayant déjà déposé un testament chez son notaire ? Mouais mouais mouais… tout cela semble bien artificiellement précipité !

Ce qui gêne ici, c’est que le jeu est encore une fois arbitraire : il met en place des éléments subtils qui permettent notre interprétation, mais il masque bêtement tout ce qui pourrait accréditer le suicide (empêcher la vérification à Somerset House, qui pourrait faire pencher en faveur de l’hypothèse suicide, est… con, quoi. Quel intérêt ludiquement parlant ? Si l’on estime que c’est trop tôt pour que le document ait été déposé, alors il doit être sur le bureau, ou envoyé chez ledit Arnold, ce qui doit donner lieu à des indices, déductions et piste supplémentaires), acculant de façon dirigiste les joueurs au guessing ou… à la solution la plus évidente-bébête (que le mec se suicide dans la foulée du meurtre, sans y avoir assisté, sans avoir été obligé de « mettre la main à la pâte », sans être taraudé plus longtemps par sa mauvaise conscience, n’est pas du tout cohérent psychologiquement, ou alors le gars est hyper-hyper-hyper fragile ! Ça ne transparaît pas dans la note qu’il a laissée… rien ne transparaît de cette note, mal écrite…).
Ok le jeu a été simplifié parce que les joueurs râlaient que SHDC ça prenait trop la tête paraît-il, mais là c’est vraiment devenu « Sherlock au pays de Simplet » !

[à suivre…]

La suite…!

4/ Il est naze que la piste d’Everard Hancock – balancée au lance-pierre… Un peu de romanesque, bordel ! – soit l’unique chemin qui nous mène à Hale Brougham. En l’état, Lord Cantlemere devrait pouvoir nous y mener aussi. Certes, il n’est pas l’hôte du dîner où Longtree s’est pavanée avec le diamant au cou, mais il y a assisté et peut très bien décrire lui aussi les convives et le fait que l’actrice était en companie de Hale Brougham « et sa bande du Cavendish Card Club ». Faire de Cantlemere une piste sans intérêt est fallacieux, dans le seul but de créer un chemin unique, autrement dit de la difficulté artificiellement.
Si l’on veut vraiment récompenser le questionnement « qui l’a invitée / pourquoi ? », il conviendrait d’être plus précis dans l’écriture, en insistant dans l’introduction sur le fait que l’actrice a choqué beaucoup d’invités et qu’elle n’était donc pas vraiment à sa place dans ce dîner. Puis en enrichissant la piste Cantlemere en indiquant que Cantlemere arrive après Longtree, Brougham & co, ou bien que le plan de table sépare Longtree de Brougham & co et qu’il ne se parlent pas particulièrement pendant le dîner (pas possible de deviner qu’ils sont copains si on ne les a pas vus arriver ensemble à la soirée. Là, ça rendrait acceptable le fait que la piste de Cantlemere soit moins fructueuse que celle d’Hancock, CAR CE SERAIT BIEN ÉCRIT, de façon étoffée).

5/ La piste Laws : on nous dit que le mec titube, donc il faudrait en déduire qu’il est ivre et avoir la jugeotte d’aller au débit de boisson le plus proche de l’hôtel. Comme si le témoin d’une scène de crime dont la victime est sa comparse-compagne, n’avait d’autre réflexe que d’aller se saouler la gueule au premier estaminet du coin ! Ne serait-il pas plus crédible qu’il prenne peur ? Qu’il prenne la fuite ? Qu’il s’isole chez lui, sous le choc ?..
Perso, je trouve cette réaction psychologique irrationnelle, car a) rien ne nous évoque ailleurs que le mec est un poivrot (la femme de chambre devrait donner cette information, en livrant une anecdote sur un éventuel comportement borderline de Laws à l’hôtel…), b) Laws vient de récupérer le matin même le faux-diamant qu’il a fait fabriquer et revient à l’hôtel pour faire la substitution, et vraisemblablement pour en avertir Miss Longtree et peut-être prendre la poudre d’escampette avec elle, mais le mec serait déjà ivre au point de tituber ? Encore une logique foireuse, le jeu privilégiant l’option la plus improbable (la plus probable étant qu’il titube parce qu’il est sous le choc ou qu’il a été blessé par le tueur, surpris dans la chambre).
En outre, le choix de la bonne taverne se fait au pifomètre, vu que trois d’entre elles sont éligibles en terme de distance ; Staple (35 CO) et George & Vulture (93 CO) valent le Punch & Judy (73 CO). Là encore, celle-là plutôt que celle-là, c’est arbitraire. La seule solution satisfaisante pour les joueurs serait d’écrire des pistes pour 35 CO et 93 CO, de les rendre vivantes et agréables à lire, avec de chouettes descriptions chargées d’atmosphère londonienne, afin de susciter ce sentiment de monde ouvert qui vit indépendemment de nous, et de les rendre gratuites à la fin (aucun intérêt ludique à ce qu’il en soit autrement, cf le pifomètre des distances équivalentes). En l’état c’est bidon.

6/ La formulation de la question 4 laisse à désirer. Les joueurs peuvent tout à fait déduire que Laws possède le faux diamant sans suivre les pistes « tavernes » (73 CO + 34 CE) et donc sans savoir qu’il a été arrêté par la police pour trouble à l’ordre public et va se faire fouiller. Il n’y a rien de plus agaçant que d’être confronté à des questions situées, étroitement formulées, en rapport avec certaines péripéties contextuelles du texte.
Formulée de façon neutre, c’est-à-dire ouverte à tous les chemins déductifs, cette question devrait être « Qu’y a t-il dans la poche de Laws ? » (ou un truc dans le genre), et non pas « Que vont trouver les policiers en fouillant Laws ? »
Que l’éditeur, qui a plus d’une vingtaine d’enquêtes de SHDC à son actif, laisse passer encore de telles bourdes est surprenant…

7/ La résolution de Holmes : ahem, comment dire ? Encore une fois, c’est un naufrage. Sherlock ferait mieux de prendre sa retraite ! Le mec brasse des clichés sur les anars, ces sales types, spécule de façon hasardeuse sur les motivations de Brougham et Delescluze (arrêtés on ne sait comment et amenés là par Lestrade on ne sait pourquoi – alors que la résolution devrait se faire en présence du commanditaire de l’enquête !), brandit le spectre de Robespierre comme cause explicative universelle et ne commente en rien son cheminement déductif. Et pour cause : en suivant les pistes qu’il suit, il ne peut positivement pas répondre à la question 2 (qui a tué Lily Longtree ?) et 3 (pourquoi ?). Par contre, il est disert sur Noonan – répondant ainsi à une question de la 2ème série, ce qui est contraire aux conventions du jeu – et ce, sans aucun mérite personnel (il n’a pu découvrir son suicide que par Lestrade).
Qu’Holmes comprenne que Pemberton, Noonan, Brougham et Delescluze sont de mèche et qu’ils cherchent à compromettre la Couronne en discréditant le Prince de Galles, soit (cela peut se deviner à la lecture des journaux). Mais qu’il se base sur le seul rasoir replié pour accréditer le meurtre maquillé en suicide (comme quoi, Holmes suit enfin les intuitions géniales de Lestrade ; c’est la revanche de l’inspecteur humilié ! L’inversion WTF des rôles.), c’est accréditer des motivations psychologiques peu crédibles (cf plus haut). En outre et sauf erreur de ma part, RIEN ne lui permet de savoir que Delescluze est Pashitz, ni que c’est lui le tueur. Il ne fait là que plaquer sur le réel incertain ses préjugés anti-anarchistes.
Pour faire accepter au joueur qu’Holmes désigne Delescluze comme coupable, il faudrait a minima lui faire suivre une piste supplémentaire, celle du domicile de l’anarchiste (85 SE) et lui faire mentionner les articles de journaux évoquant ses condamnations et autres violences. Et le faire s’exprimer de façon moins assertive – la présence de Pashitz dans la pièce appelle une vraie confrontation avec Holmes. En l’état les eux coupables sont beaucoup trop pots de fleurs. Si Pashitz est un fonceur, il devrait répondre à Holmes, ne pas se laisser passivement mettre en boîte par les péroraisons du détective. Le débrief de fin de partie est à réécrire intégralement selon moi.

[…]

Suite et fin.

8 / Un bug pour finir : le nom de Mrs Kepner, « proche amie » supposée du Prince de Galles, est mentionnée par Langale Pike (au même titre que Sarah Bernhard). Nous trouvons un Kepner dans l’annuaire et décidons d’aller lui rendre visite (56 CE). La piste est très mal écrite. Que nous dit-il ?
« J’ai consenti à parler avec vous uniquement parce que vous prétendez travailler pour le Prince.
- Merci pour cette audience. » etc.
Euh… une « audience », vraiment ? Est-il donc si haut placé dans la hiérarchie sociale ? Qui est ce type par rapport à Miss Kepner ? Son père ? Son mari ? Son fils ? Pourquoi est-il diligent avec nous à la mention du Prince ? Est-ce par respect pavlovien envers la Couronne ou par amitié sincère pour sa personne ? Autrement dit, est-ce une relation ou un collaborateur du Prince ? Si le prince le connaît personnellement, alors pourquoi affirme-t-il au départ ne pas savoir à qui les lettres « destinées à un autre femme il y a bien longtemps » ont été volées ?
Où est passée Miss Kepner ? Qui était-elle ? Une femme de théâtre comme Bernhard et Longtree ou tout autre chose ?
Mister Kepner a gardé les lettres de Miss Kepner sans les lire ? Il n’est donc pas au courant pour sa liaison avec le Prince ? Mais un des comploteurs l’est par contre ? Comment ?
Bref, on nage en pleine approximation. Ça manque clairement de mise en situation et de chair romanesque, comme toujours. Nous avons eu l’impression d’avoir affaire à un raccourci mal géré et à une back-story inachevée ou bâclée. Foireux quoi.

Aventures à West End = THE berezina !