Je vous tape ici l'article d'Ana Vér Das Néves Alvès (professeur des écoles) tiré des Cahiers Pédagogiques n°372, mars 1999.
Une première pierre pour casser les rôles
Comme support de mon travail, j'ai choisi la lecture d'album avec comme axe directeur la question : l'enfant pourra-t-il se détacher des stéréotypes sexués qui l'influencent dans la construction de sa propre personnalité ?
J'ai utilisé l'album Frédérique ou cent façons d'être une fille de Virginie Dumont (Actes Sud junior) pour ébaucher peut-être une critique sociale ou pour tenter une réflexion sur les attributs féminins et masculins.
Dans cette histoire, le personnage principal n'est pas un garçon, mais une fille qui s'appelle Frédérique. Elle est loin du portrait classique des petites filles de la littérature enfantine - elle est sportive, adore porter des joggings, jouer au ballon, aux billes, faire du roller et même se bagarrer. En revanche, elle déteste plus que tout porter des jupes et jouer à la poupée. Le seul problème auquel elle se heurte est son entourage : on dit d'elle qu'elle est un garçon manqué. Et Frédérique ne comprend pas, que veut dire être une vraie fille ?
L'enfant craintif et peu sûr de lui est un garçon, son cousin Frédéric. Cette histoire nous montre qu'encore de nos jours, les petits garçons sont élevés pour être des hommes et les petites filles pour être des mamans. Mais finalement, le personnage principal nous prouve qu'être habillé en jupe ou en pantalon, çà n'a pas beaucoup d'importance, l'essentiel c'est d'être soi-même.
Les représentations du féminin et du masculin
Tout d'abord, avant même de leur lire l'histoire de Frédérique, j'ai fait réaliser un collage. La consigne différait selon que je m'adressai à une fille ou un garçon.
Il ou elle devait découper un petit garçon ou une petite fille et le ou la coller sur une feuille. Puis, il ou elle devait découper les jouets avec lesquels il ou elle voulait jouer et les coller à côté du personnage. Chaque enfant était, pour cette première activité, en possession d'un catalogue de jouets pour lui seul (un large choix s'offrait donc à chacun d'entre eux).
J'ai volontairement utilisé les jeux pour cette 1ère séance sachant qu'ils sont fortement sexués dans notre société. Il suffit de feuilleter des magazines de jouets des grands magasins à Noël !
L'analyse des feuilles rendues par les enfants a dû nécessiter un classement des jeux et jouets choisis.
Ont été considérés comme jeux connotés féminins : les poupons, les poupées, les poussettes, les nécessaires de coiffures, les ustensiles de cuisine, de ménage...
Les jeux connotés masculins sont : les armes, les voitures, les motos, les outils de bricolage...
Les jeux connotés neutres sont les légos, les peluches, les fermes, les jeux d'éveil, les jeux électroniques, les jeux de sociétés, les jeux de moulage, de poterie...
Les filles de 4-5 ans choisissent autant des jeux "féminins" que des jeux "neutres". En revanche, les petites filles de 5-6 ans ne sélectionneront plus autant les jouets neutres, leur préférence va vers les jouets féminins très nettement (77,7%). On peut vois aussi qu'il n'y a pas de réelles différences entre les résultats des garçons de 4-5 ans et ceux de 5-6 ans, ils choisissent à plus de 70% des jouets masculins.
De manière générale, les filles choisissent plus les jeux neutres que les garçons. Sinon, à tout âge et tout sexe confondu, les enfants choisissent toujours des jouets connotés comme propre à leur sexe, et jamais connotés au sexe opposé (sauf les garçons de 4-5 ans avec 1,5% mais ce faible % est négligeable...).
On peut donc en conclure que dès 4 ans, le choix que fait l'enfant à travers ses jeux n'est pas dénué de sens. Leurs choix sont déjà très orientés. A travers eux, on perçoit qu'ils adhèrent indirectement aux stéréotypes sexuels. Ils ont donc déjà fait l'apprentissage des rôles sociaux sexuellement divisés. Ce travail sur l'inégalité entre les sexes est donc indispensable à l'école.
2ème séance, travail sur Frédérique.
Nous avons d'abord observé le livre dans son aspect général, puis plus particulièrement la couverture. Les élèves se sont demandés si le personnage était une fille ou un garçon. Ils ont pu imaginer une situation, voire même une amorce d'histoire. Puis je leur ai lu (en plusieurs fois).
Lors de la lecture de Frédérique, tous les enfants qui le souhaitaient ont pu parler et dire s'ils avaient ou non aimé le livre. Je leur ai demandé pourquoi les autres disent de Frédérique qu'elle est différente. Ils se sont accordés sans problème pour dire que c'était parce qu'elle aimait les jeux de garçons. Je leur ai aussi demandé si c'était normal qu'elle soit traitée de garçon manqué. Ils ont compris que cela était dû au choix de ses jeux. Et ils ont trouvé çà injuste. En revanche, pour eux le ballon, les billes, le football sont des jeux de garçons. Et parallèlement, les poupées, les barbies sont des jeux de filles.
Je leur ai fait remarquer que j'avais observé à plusieurs reprises certains garçons jouer avec les poupées dans le coin chambre et je leur ai demandé si pour autant ils étaient des filles (ils sont d'accord que non !). Je leur ai donc expliqué que chacun avait le droit de choisir les jeux avec lesquels il voulait jouer : les jouets sont pour tous. Les ballons et les poupées sont autant des jeux de filles que de garçons.
Ils savent définir les termes de garçon manqué" (ils sont d'accord pour dire qu'il est injuste), mais lorsque je demande ce que voudrait dire 'une fille manquée" ils ne savent plus : "çà n'existe pas", "je ne sais pas", "c'est une fille pas réussie"...
Quand je décris la situation inverse (un pêtit garçon qui aimerait jouer à la poupée, à la poussette, à la cuisine...à) çà les choque beaucoup plus. Car c'est à leurs yeux dévalorisant !
Nous avons ensuite recherché ensemble quelle était la phrase la plus importante et pourquoi. Cette recherche collective a permis aux enfants d'accéder à la signification morale de l'histoire. Ils ont choisi la phrase suivante : "l'essentiel c'est d'être soi-même comme on a envie".
Ensuite pour élargir le problème d'inégalité (autre qu'entre les sexes) j'ai demandé aux enfants s'ils ne pouvaient pas citer des exemples d'enfants (ou d'adultes) qui avaient été sujets à moqueries parce qu'ils étaient différents (à cause de singularités). Axel nous a alors raconté que dans la cour, des grands s'étaient moqués de sa forte corpulence. Le récit de cet incident nous a permis d'aborder la notion de respect de soi et des autres. Puis, pour mettre en relief que nous sommes tous différents ne justifie en rien la supériotrité de l'un sur l'autre, j'ai fait relever le maximum de différences dans la classe (couleur de la peau, sexe, taille, âge...). Tout ceci en insistant sur la richesse des contacts et des échanges lorsqu'ils sont entre des gens différents. Nous avons réalisé à l'issue de cette séance un grand panneau sur lequel chaque enfant a peint un jeu, un enfant a peint un garçon et une fille et un grand a écrit la phrase choisir dans l'album.
Retour aux collages
Lors de la 3ème séance, les élèves ont à nouveau réalisé les collages demandés avant la lecture de Frédérique (les consignes et le déroulement ont été les mêmes). Ceci a permis de voir si ces séances avaient eu un effet sur les élèves.
En fait, il n'y a pas eu d'évolution significative. Les filles semblent choisir plus volontiers des jeux connotés masculins (9,4% contre 0% à la 1ère séance). En revanche, pour les garçons c'est le contraire. Ils n'ont pris acuun jeu féminin et 84,7% de jeux connotés masculins (la 1ère fois 75%). LA réticence est d'autan plus forte lors du 2nd collage -les résultats obtenus sont donc tout le contraire de l'effet escompté ! Apparemment seules les filles ont compris qu'elles pouvaient accéder de l'autre côté de la barrière, "du côté du sexe fort". Mais les garçons semblent affirmer plus fortement encore leur appartenance sexuelle qui est bien distincte du "sexe faible". Ils semblent comme angoissés par la possibilité de la non-différenciation d'avec l'autre sexe.
En ce qui concerne la lutte contre l'inégalité entre les sexes, la simple lecture de cet album reste insuffisante, car il est difficile d'enrayer cette influence que nous subissons tous avant notre naissance, et donc il n'est pas simple de casser la chaîne des conditionnements qui se noue d'une génération à une autre. Certes, dans notre société les garçons sont plus compétitifs que les filles. Mais la lecture de Frédérique n'avait pas pour objet de transformer les petites filles en garçons manqués. Ce projet ne consistait donc pas à former les petites filles à l'image des modèles masculins, mais à faire en sorte que chaque individu qui naît ait la possibilité de se développer de la façon qui lui convient le mieux. Ce travail doit donc être de longue haleine. Mais pour être efficace il faut traiter les relations dans l'école, entre les enfants à tous les moments de la journée et dans toutes les activités.
Voilou de j'en ai mal aux doigts...
Pour ne pas trop déborder d'un sujet tournant autour de "la création de jeux et des maths", je souhaitais vous partager cette lecture qui m'a interpellée et posée les questions suivantes :
1° ) D'après vous, est-ce que le jeu de société a-t-il vraiment un connotation neutre ?
2° ) Quelle est la pression sociale et/ou culturelle, voire économique qui pousse à créer et éditer tel ou tel jeu de société, en fonction d'un thème particulier ? pour des cibles particulières ?
......si d'autres questions vous tarraudent sur le sujet... n'hésitez pas à faire part de vos réflexions...
En attendant vos réactions quant à cet article, je vous souhaite bien du plaisir ludique, Rémy-lee
Ps: j'crois que je détiens désormais le prix de la longueur du post....!!!