We could be (Twelve) Heroes - Carnet d'éditeur

[Twelve Heroes]

Twelve Heroes est un jeu d’affrontement minimaliste de Takashi Sakaue et Masato Uesugi, initialement publié au Japon par Product Arts (la maison d’édition de Takashi) et que nous (Catch Up Games) venons de publier en langue française le 10 mars 2017. Les joueurs cherchent à remporter des territoires à l’aide d’un deck de 12 cartes, les 12 Héros de leur armée, dans une guerre d’usure dont la gestion de la nourriture est le nerf.

Comme nous avions pu le faire pour Freak Shop il y a quelques temps, nous trouvions intéressant de vous proposer un carnet d’éditeur sur Twelve Heroes, qui est un projet atypique dans notre parcours, en tout cas nouveau par rapport à ce que nous avions connu jusqu’ici avec Sapiens, SOL et Freak Shop. Un projet à gestation plus courte, en ce qui nous concernait directement, puisqu’il s’agissait “simplement”, au départ en tout cas, d’en proposer la traduction.

Heroes from the dead so I will rise out of bed

Au moment de nous positionner sur une édition, nous n’avions que peu d’interrogations sur le jeu lui-même et notre envie de le “défendre” en dehors du Japon. Au delà du bon premier ressenti sur le rapport entre simplicité de règle et complexité de réflexion, toujours assez impressionnant dans ce courant minimaliste, nous trouvions que Twelve Heroes était de ces jeux qui donnent l’agréable sensation de se bonifier au fil des parties. Il avait pour lui également à nos yeux un format et un rythme suffisamment inhabituels pour un jeu en petite boîte.

Mais même avec un coup de coeur, et la conviction et l’envie de défendre un bon jeu, un jeune éditeur aspirant à vivre de son activité - et pas encore en situation de le faire - est forcé de passer un projet au crible d’autres filtres moins romantiques, d’autant plus dans le contexte actuel. La principale nouveauté pour nous était de devoir évaluer un projet déjà édité, pour lequel nous ne devions, au départ des discussions, pouvoir bénéficier que des droits pour la langue française. Cela amenait de fait la question suivante : Vis-à-vis du matériau disponible et en tablant, faute de certitudes, sur des ventes “normales” pour nous (jeune éditeur, peu connu, présentant un jeu qui même avec des règles simples reste sur un positionnement et des subtilités résolument “gamer”, ...), quelles modifications pouvait-on envisager, et souhaitait-on investir une partie de notre année d’édition sur ce projet ? La réponse à la deuxième partie de cette question est aujourd’hui connue. Restent les choix de modifications que nous avons pu faire pour notre version, en accord avec l’auteur-éditeur Takashi Sakaue et son co-auteur Masato Uesugi.

"Oh qu’il est beau, qu’il est beau le Héros (Oh - Hé - Oh !)" : Les visuels

Typiquement, voilà bien un aspect sur lequel il nous fallait globalement nous positionner dès le départ sur un mode un peu binaire : “les illustrations et le thème nous vont-ils tels qu’ils sont ? Sont-ils suffisamment raccord avec le public susceptible d’aimer le jeu ?”

C’eût pu être un critère rédhibitoire si nous n’avions pas trouvé les illustrations matures et dures de Tomasz Jedruszek réussies et en accord avec le propos ainsi que la dimension “gamer“ du jeu.

Ce que nous avons tout de même souhaité modifier légèrement se situait davantage au niveau graphique: revoir légèrement l’habillage des cartes pour éclaircir un peu l’impression d’ensemble en supprimant les bords noirs ; profiter de l’espace ainsi gagné pour mettre encore un peu plus en avant les illustrations, en ajustant leur cadrage ; modifier l’icône de Nourriture ; celle des Points de victoire ainsi que la police d’écriture sur les tuiles Territoire ; ...

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Eros Quest : Le matériel

Outre le nombre d’exemplaires fourni pour les cartes, sur lequel nous reviendrons un peu plus loin, il nous semblait nécessaire d’adapter le format de boîte aux caractéristiques du marché francophone. C’est pourquoi nous avons opté pour un format carré, identique à celui que nous avions choisi pour Freak Shop. Il nous apparaissait également intéressant de différencier davantage les éléments matériels du jeu, en transformant les cartes Territoire d’origine en tuiles pour faire la distinction avec les cartes Héros, et les cubes de nourriture en jetons pour s’éloigner des cubes de contrôle.

Nous nous sommes également attaqués à la rédaction et mise en page des règles, qui nous semblaient trop longues pour nos standards : plus de 20 pages, même s’il s’agissait d’un plus petit format de livret.

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Très à la douzaine : Les factions

La version d’origine du jeu se présentait avec 36 cartes Héros, soit deux exemplaires de chacun des 18 Héros du jeu, et deux modes de jeu : un mode de découverte dans lequel les deux joueurs s’affrontaient avec un deck identique, et un mode construit dans lequel chacun construisait plus ou moins librement son deck (selon le nombre de boîtes utilisées).

Notre première et principale demande par rapport à cela a été de pouvoir proposer plusieurs decks différents préconstruits. De notre point de vue il était essentiel que l’on puisse goûter au sel apporté par l’asymétrie des decks dans un jeu de ce type dès la découverte, et que celui qui n’aurait jamais envie de s’investir jusqu’à construire son propre deck ait tout de même de quoi trouver son compte de contenu.

Arriver aux quatre factions d’Humains, Elfes, Orcs et Armée mécanique que comporte aujourd’hui le jeu aura été un casse-tête assez intéressant tant les contraintes étaient fortes, car le jeu d’origine ne comportait en tout et pour tout que 18 Héros différent et les auteurs souhaitaient très logiquement conserver pour une extension en préparation la primeur des Héros supplémentaires sur lesquels ils avaient travaillé. Pour autant nous voulions que ces deck montrent un panel minimum de ressorts de combos possibles dans le jeu, qu’il se dégage de chacun une certaine personnalité, et bien sûr qu’ils soient un minimum équilibrés. Essayer de leur trouver une identité thématique claire étant pour le coup une sorte de cerise sur le gâteau.

Cette volonté impliquait évidemment de fournir suffisamment d’exemplaires des cartes pour que toutes les combinaisons d’oppositions soient possibles sans avoir à trier les cartes à chaque fois de manière trop complexe, pour qui aurait jeté son dévolu sur ce mode de jeu. C’est la raison principale pour laquelle il nous fallait abandonner un peu du minimalisme matériel de la version japonaise, en fournissant davantage de cartes Héros que les 36 de départ.

Au final, même si nous n’avons pas pu éviter d’inclure certaines cartes communes à la plupart des 4 decks, nous avons eu au cours de nos expérimentations la bonne surprise de voir se dessiner presque naturellement ces 4 identités, à mesure que nous dégagions les cartes-clé pour la mise en oeuvre de types d’effets un peu distincts. Cela a également mis en évidence une force (logique, à y réfléchir) de ce système de jeu axé sur un deck de 12 cartes, à savoir que le moindre changement de carte a déjà un impact significatif sur le fonctionnement du deck, et qu’il n’y a jamais besoin de 3-4 exemplaires d’une même carte comme dans les CCG ou LCG typiques, pour assurer qu’une combo que l'on a imaginée pourra être mise en oeuvre suffisamment souvent.

And then a hero comes along, with the strength to carry on

Eighteen Heroes ? : Un goût de Version 1.5

Si nous avons pu travailler de notre côté sur certains points comme les factions avec la bénédiction des auteurs, nous avons également eu la chance d’être autorisés à incorporer à notre version française des éléments de règles qu’eux mêmes projetaient d’incorporer dans un futur reprint de la version japonaise :

Fast and Furious, le Tokyo Draft

Cela paraîtra probablement étonnant tant dans les faits ce mode de jeu se révèle évident et taillé sur mesure pour un jeu dans lequel le deck d’un joueur n’est constitué que de douze cartes, mais le draft que propose notre version est typiquement de ces implémentations prévues par les auteurs pour une V2 japonaise. En tout cas c’est pour nous le mode de jeu roi, proposant le mélange le plus intéressant de renouvellement, de possibilités d’associations et de contraintes, en rajoutant très peu au temps de jeu.

Passe la douzième, les règles avancées

Parmi les règles que nous avons décidé de catégoriser en règles avancées celle permettant d’acheter des actions supplémentaires en défaussant une carte était déjà présente dans la version d’origine. La règle de Popularité fait par contre son apparition dans cette version au même titre que le Draft.

Quand nous avons commencé à échanger avec Takashi et Masato au sujet des ajouts qu’ils avaient en prévision pour une V2, ils travaillaient sur une règle visant à encourager les joueurs à être les premiers à se déployer dans une région pour limiter la pertinence d’une stratégie attentiste. A ce moment il s’agissait d’octroyer un "bonus de pionnier" : arriver dans une région inoccupée générait 1 Nourriture dans cette Région. Après un certain nombre de tests nous avons constaté, eux comme nous, que cette règle sur-valorisait le rush avec certains Héros peu onéreux. Alors que nous approchions de nos échéances de départ du jeu en production, Takashi et Masato sont revenus avec la règle actuelle de popularité. Le seul problème qu’elle posait était de trop affaiblir le pouvoir du golem, qui consistait à pouvoir contrôler même en cas d’égalité. La version alternative du golem qu’ils proposaient était excitante mais ne pouvait fonctionner sans la règle de Popularité.

Or, même si leur apport coulera de source pour des gros joueurs, auxquels elles sembleront rapidement indispensables, nous tenions à détacher la Popularité et l’achat d’Actions Supplémentaires dans des règles avancées facultatives, afin de faciliter autant que possible la découverte pour un public un peu moins “gamer”. C’est pourquoi nous avons au final pris le parti d’inclure les deux versions du Golem, en préconisant d’utiliser la version correspondant aux règles choisies pour la partie.

Retracer ici la chronologie de ce projet a quelque chose d’amusant, et en tout cas instructif pour nous : cela souligne le poids que peuvent prendre des facteurs non anticipés / anticipables dans un projet d’édition, tant ce jeu qui était sur le papier, dans ses grandes lignes, “à prendre ou à laisser” peut aujourd’hui vous être présenté avec des différences notables, en raison d’un concours de circonstances favorables, en partie extérieur à notre travail d’éditeur. Et c'est en tout cas un bel honneur et une fierté pour nous que d’avoir cette opportunité de proposer au public francophone, à travers et pour ses auteurs Takashi et Masato, une version 1.5 voire 2.0 de Twelve Heroes, avant même qu'ils aient eu l’opportunité de présenter ces améliorations au Japon.

9 « J'aime »

Sympa ces articles sur l’envers du décor et le pourquoi du comment on en arrive à faire différents choix.

Un grand bravo ! C’est un coup de cœur et tous vos changements pour cette édition ont été ressentis :

  • jeton plutôt que cube, c’est limpide.
  • tuile plutôt que carte, c’est agréable et “pose” le lieu.
  • ajustements graphiques sur les cartes, simplifiants la lecture de celles-ci
  • factions, qui donne une porte d’entrée au jeu (le temps d’une ou deux parties afin d’apprendre à jouer)
  • le draft, en effet évident par la suite.
  • le pion popularité qui vient faire monter la sauce
  • système d’actions en plus via la défausse de cartes

Un super jeu à 18 euros dans une boîte plutôt petite avec une bonne qualité de matériel… que demande le peuple ? Plus de héros ! :wink:

3 « J'aime »

Super jeu que nous apprécions beaucoup, moi et mon épouse.

Pouvons-nous espérer la traduction française chez Catch Up Games si une extension voit le jour ?

Nous avons également deux petites questions sur l’interprétation des cartes.

  1. La carte de l’Orc dit :
    “Quand l’Orc est déployé, chaque joueur doit défausser 1 Nourriture dans cette Région, s’il le peut.”

Si je déploie mon Orc dans une région qui ne contient pas de nourriture mais que j’emmène une nourriture avec mon Orc, dois-je la défausser ?

  1. La carte du Géant de Fer dit :
    “Quand le Géant de Fer est défaussé depuis une Région ou votre Campement, piochez une carte.”

Comment est-il possible de défausser le Géant de Fer (ou tout autre carte) depuis notre campement ?

Merci d’avance et encore félicitations pour ce super jeu !

Hello,
 
Déjà merci pour vos messages sympa par rapport au jeu et cet article.

@Anthracite je t’ai répondu (avec plus de délai que je ne l’aurais souhaité, désolé) sur le forum des règles, mais au cas où, voilà ce que j’y écrivais :

  1. L’effet de l’Orc (et les effets de déploiement plus généralement) se déclenche au moment où il est effectivement déployé dans la Région, quand il y est. Du coup la nourriture qu’il a apportée avec lui est dans la Région, et il doit en tenir compte pour la contrainte de défausser.
    De fait l’Orc est une carte qui peut avoir un pouvoir de nuisance certain par sa capacité à dérégler ce qu’a planifié l’adversaire, mais ce n’est pas la carte la plus facile du jeu à optimiser. Elle tend à requérir une certaine patience pour pouvoir l’utiliser là où le gain comparé est significatif.

  2. Cette formulation vise à exclure les cas dans lesquels la carte serait défaussée à partir de la main (ou directement du deck si jamais de tels effets faisaient leur apparition par la suite).
    Il n’y a effectivement aucun moyen a priori dans le jeu à cet instant de défausser une carte de son campement. Mais dans un jeu comme celui-là qui pourrait très bien se prêter à accueillir de nouvelles cartes et capacités, on a préféré opter, sait-on jamais, pour une formulation plus ouverte.

Un grand merci pour les réponses!

Bonjour,

je me demandais avec protege-cartes sur les cartes, est ce que le tout rentre tj dans la boite ?? Et si non, qu’elle est la taille des tuiles que je vois si je peux trouver une boite alternative (car je compte si possible protégé mon exemplaire pour le sortir a l’apero ^^ )

Merci pour cet article très intéressant, qui facilite l’appropriation du jeu par une meilleure connaissance des circonstances qui lui ont donné naissance.