Strascendance : La Fièvre du Strasbourg Soir

[Strascendance]

Quand ils arrivent en ville, ça commence par un son. La longue et horrible litanie de la trompette, mêlée au brame lugubre du tambour et au cri déchirant de la cornemuse. Et puis on commence à les entendre, eux, de leur pas métronomique, un-deux-trois, un-deux-trois… Enfin, ils passent le coude de la rue pavée, surgissent de derrière une façade à colombages. Ils roulent en foule et s’éclatent à la queue leu leu, ils font tourner les sardines et sèment la tempête en nous comme un ouragan, ils ont plus d’appétit qu’une Alexandra et mettent le doigt devant : les DANSEURS sont là !

Branchez la guitare

Il m'est devenu rare de faire face, dans une boutique, à un jeu dans je n'ai entendu parler ni d'Ève ni d'Adam. Surtout quand le boutiquier n'en sait pas plus que moi. Et qu'Ève et Adam non plus. C'est pourtant ce qui m'est arrivé à Orléans Joue dernier quand mes yeux se sont mis à battre et que mon cœur a croisé le regard de Strascendance.

Y'a de ces moments grisants, comme ça, où vous tâtez de près l'inconnu. Et la semaine dernière était de ceux-là. J'avais cette boîte à l'esthétique étonnante qui me somptuait entre les mains. J'en avais lu le pitch qui m'improbablait. J'ai sauté. J'ai dit "oui" à un mariage avec l'on-verra-bien.

Et j'ai bien fait ! Car ce jeu familial, premier des éditions Disto Studio, est un petit plaisir de villainie et veules sensations délicieuses. Strascendance est un jeu pour 2 à 5 rabats-joies à partir de 14 ans et pour des parties d'enfer immobilier de 45 à 60 minutes. Le jeu a été crowdfundé via Ulule, notre kickstarter franchais comme dirait Arnaud Montebourg. Il était à l'époque totalement passé sous les radars de la rédac, mais ouf ! On a pu se rattraper car Strascendance est disponible en boutique depuis une semaine. Le jeu est signé par un couple de graphistes-architectes, Maria Paloma Sanchez et Luc Anuszewski, qui en signent à la fois la fluidité des tours et des traits, mais aussi l'édition. Disto Studio est en effet leur maison d'édition créée pour l'occasion, leur permettant d'exercer la folie de leurs univers déjantés et de leurs partis-pris visuels uniques (et l'on espère que cela continuera sur cette belle lignée).Mais pourquoi donc Strascendance attire l'yeu ? D'abord pour ces illustrations au noir et blanc franc, toutes en rondeurs rappelant parfois les formes élastiques du travail de Alexios Tjoyas sur Les Loups-Garous de Thiercelieux. D'autre part par son thème improbable. Strascendance (jeu de mots pour Strasbourg transcendé par la danse) s'inspire des épidémies de danse du XVI ème siècle ayant fortement frappées la vallée du Rhin plusieurs années durant. Je vous invite à fouiller internet pour en découvrir plus sur ces événements de foules dansant jusqu'à la mort, entre hystérie, diablerie, et ergot de seigle.Pour Strascendance, cette histoire est prétexte au retour, en 2020, de foules folles fondant sur le centre-ville de Strasbourg, mettant à mal l'architecture locale. De votre côté, vous incarnez des rabats-joies peu portés sur cette gaudriole de rue, cherchant à maintenir votre contrôle sur les bâtiments de la ville. Bref, les joueurs incarnent des gens au sérieux guindé et à l'immobilier porte-feuille faisant face à un chaos de folie mouvant son body.

Et quoi de mieux pour plonger dans cet univers déluré que de vous proposer la vidéo de la campagne ulule ?

Tout le monde change de trottoir

Dans Strascendance, chaque joueur contrôle des bâtiments, représentés par des cartes lieux et des pions colorés à son effigie sur le plateau. Sur le plateau, on trouve aussi des pions rouges et manodactiles s'agitant follement sur des lieux n'appartenant à personne : les pions cohue. Les lieux sont reconnaissables par une lettre (le quartier) et un chiffre (qui n'est pas une valeur de points mais une particularité d'un lieu).

Votre tour se compose en 4 phases courtes.

Tout d'abord lancez les quatre dés. Deux rouges, un noir, un blanc.

Concentrez-vous ensuite sur les deux dés rouges. Ce sont les dés épidémies, qui activent les foules de danseurs sur le plateau. Pour chaque valeur, vous activez tous les pions cohue sur les cases numérotées correspondantes. Par exemple, un 5 activera tous les pions rouges placés sur des lieux avec un chiffre 5. Cela signifie que tous les lieux adjacents (directement collés ou reliés par des voies rapides), prennent alors 1 jeton danseur. Un lieu qui a reçu, au cours de la partie, trois danseurs, est aussitôt perdu, laissé aux gigueurs fous, et le pion du joueur qui en était le propriétaire est posé sur la piste d'hystérie du plateau. Effet kiss-pas-cool : si un pion cohue activent les éventuels pions cohue adjacents. Il peut donc y avoir des explosions en chaîne de danseurs fous courant les rues. Une fois épuisés, les foules se dispersent et les pions cohues activés sont retirés du plateau.

Vous pouvez ensuite effectuer une action au choix parmi deux, résumées sur votre carte personnage. Chaque action est liée à un résultat de dé et une couleur, avec une action spéciale six noire et une action spéciale six blanche particulière à chaque joueur. Ces actions vous permettent de virer des danseurs, échanger des pions de place, récupérer de nouveaux lieux, ou pourrir vos adversaires, voir encore déplacer le pion accalmie, un pion fort pratique permettant de vous protéger d'attaques de danseurs fous.Tric TracEnfin, vous avez à votre charge d'ajouter des pions cohues au plateau. Ce nombre de pions dépend de la valeur atteinte sur la piste d'hystérie, assurant ainsi l'accélération de l'épidémie au fur et à mesure de la partie. La place de ses pions est à votre bon vouloir parmi toutes les cases libres de la ville, avec une certaine préférence bien entendu pour les cases proches des adversaires. Car tant qu'à avoir un petit contrôle sur les foules de doux dingues, autant les envoyer dans la tronche des autres.Tric TracVotre tour fini, on passe au joueur suivant, jusqu'à faire péter la piste d'hystérie. On compte alors le nombre d'espaces encore disponibles sur vos cartes lieux, et celui qui conserve le plus d'espaces libres sans danseurs sur ses cartes lieux l'emporte, ayant le mieux survécu à l'épidémie.

Valse à trois temps

Vous l'aurez peut-être compris, ce Strascendance a un petit goût de Pandémie compétitif. Sorte de cousin ludique, on y retrouve une menace capable de réaction en chaîne, ainsi qu'une piste gérant l'aggravation de la-dite menace et la fin de partie. Mais ici, cette menace est un outil de chaos général, et toute la fourberie va être de diriger cette menace plus ou moins aléatoire vers les autres joueurs, tout en cherchant à vous en protéger le plus possible. Cette mécanique est de plus mise au service d'une mécanique de positionnement, voire même de majorité (vous êtes en effet mieux protégé si vous possédez tous les bâtiments d'un quartier).

La notion de gestion de chaos est importante à prendre en compte. Vous n'êtes pas soumis à la totale décision du hasard, vous aurez plutôt à la prendre en compte, et utiliser les outils mécaniques du jeu pour parvenir à vos fins en asservissant le hasard : choix entre deux actions toujours utiles même si tirées au hasard, position des pions cohues, provocation des réaction en chaîne, voire provocation de la pioche des cartes événements. Ces dernières, piochées lorsqu'aucune cohue ne peut être activée, viennent équilibrer le jeu. Elles assurent des rebondissements à chaque tour, l'avancée de la partie et la montée de la piste d'hystérie, voire des grands coups infernaux positifs ou négatifs, capables de faire le ménage comme de vous sauver de mauvais pas.Le jeu propose quelques petites profondeurs tactiques, tout en restant familial, avec par exemple votre gestion des jetons rabats-joies. Ceux-ci peuvent en effet être mis à l'abri des cohues pour apporter des points bonus en fin de partie, ou bien être mis en ligne de front pour ralentir l'avancée des danseurs. Un mode expert vous invite aussi à drafter les cartes lieu à la mise en place, afin de mieux gérer votre positionnement de départ. Un aspect déjà présent dans une partie normale, mais qui donnera encore plus de poids si vous souhaitez prendre le contrôle de quartiers ou de vous mettre, en fumier, à l'abri entre deux adversaires qui mangeront les coups de guinche malheureux.Tric TracLa prise en main du jeu se fait rapidement, sur quelques tours à peine, et vous saurez déjà utiliser les possibles du jeu au cours de la première partie. Les tours sont fluides, la mécanique et le tour de jeu se déroulent rapidement, sans accrocs, et toujours accompagnés de ce petit plaisir vil et délectable de faire des coups foireux à vos petits camarades.Le parti-pris visuel, évoquant des travaux de lignes et de cercles plus "graphistes" "qu'illustrateurs" (pour ce que ça veut dire), ne plaira peut-être pas à tout le monde. Mais il offre un univers plutôt somptueux, tout en appuyant l'état d'esprit à la fois carré et déluré de l'histoire du jeu. On peut émettre des remarques envers la lisibilité des plateaux, notamment sur la lecture des lignes raccordant les quartiers, pas très aisée à repérer au début de la première partie. Vous finirez toutefois par appréhender naturellement les informations du plateau après quelques tours, d'autant que les pions de couleur aident à lire l'emplacement des joueurs, des cohues, et de vos pions. À noter aussi que les petits jetons danseurs et rabats-joies peuvent être gênant à manipuler avec des gros doigts, bien que cela ne nuise pas, non plus, à la partie.

Sans être le jeu de l'année, ce Strascendance est une bonne surprise ! Un bon jeu familial, d'une durée classique de 45 minutes, avec une sympathique proposition de jeu de villainie et de résistance à une menace, le tout servi par un trait atypique velouté.

Tric Trac

Strascendance réjouira les amateurs de gestion de chaos, d'enquiquinage des adversaires, d'hystérie en augmentation, de Pan-démie-dantédents, et de kougelhopf surprise.

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Merci pour cette mise en lumière d’un passé hors radar. Curieux je vais voir si mon crémier l’a en stock. J’adore le parti pris graphique !

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Je vous en prie, j’aime toujours autant me faire surprendre par les petits ovni =)
En espérant que les parties vous soient aussi plaisantes qu’à mon groupe de joueurs. =)

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J’adore le thème !

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