
Quand on parle de kickstarter, les débats sont toujours animés. Il y a les pour, il y a les contre, il y a les partagés, il y a les « qu'est ce que c'est kickstarter ? », il y a autant d'avis que de joueurs au final. Mais s'il y a une bien une catégorie de personne qui voient souvent ça d'un mauvais œil, ce sont les boutiques. Et, on peut les comprendre. Sur Kickstarter, les éditeurs vendent leur produit en directs aux backers ce qui coupe les boutiques (et les distributeurs aussi).
Pourtant, aucun éditeur ne se dit qu'il veut passer outre les boutiques. Ce sont des maillons essentiels de notre loisir préféré. Mais quand on est un petit (je ne peux parler que pour moi) éditeur, qu'on ne tire pas de revenu de ses jeux alors qu'on y passe des dizaines d'heures chaque semaine (en développement, production, com' et démonstration), c'est tentant de se tourner vers un modèle qui multiplie les marges par 4 ou 5, qui permet d'être un relais de communication très puissant et qui sécurise le financement de sa production.
Mais quand on est un petit éditeur, on a aussi besoin des boutiques pour faire vivre son jeu ensuite, passé le « buzz » du KS. On a besoin de ce réseau de points de vente, de ce réseau de professionnels passionnés pour qu'ils présentent votre jeu à tous les joueurs qui ne vont pas sur KS. Et ce n'est pas toujours simple pour les boutiques de commander un jeu que toute une partie du public a déjà acheté sur KS. Il y a un risque pour elle de ne pas les vendre. C'est pour ça que beaucoup de jeux sur KS ont du mal à vivre ensuite en boutique.
Bien entendu, loin de moi l'idée de critiquer les éditeurs qui vont sur KS, c'est parfois indispensable, parfois nécessaire pour proposer le jeux à un prix décent. Je l'ai fait pour 10' to kill, c'était indispensable pour la survie de ma société. Et même quand c'est purement par confort financier, on ne peut pas jeter la pierre à un éditeur qui essaye de sécuriser l'avenir de son entreprise.
Après 10' to kill, qui a rencontré un certain succès sur Kickstarter et en boutique (merci à tous les backers et à toutes les boutiques de France d'ailleurs), je me suis posé la question de questionner ce modèle dichotomique : Kickstarter/Boutique. Y-a-t-il une place pour autre chose ?
Quand je vais sur Kickstarter pour un de mes jeux, c'est que je n'ai pas le choix : son développement a coûté cher ou je n'ai pas l'argent pour le produire, etc... Je suis donc obligé d'utiliser ce moyen, mais d'un autre côté je souhaite que mon jeu vive au delà du KS et je ne souhaite pas nuire aux boutiques qui font connaître notre passion chaque jour à de nouveaux joueurs en les conseillant.
Pour comprendre la difficulté il faut comprendre l'économie du jeu de société. Prenons un jeu que je souhaite vendre 20 euros (ce qui va suivre est très schématique et les chiffres sont purement démonstratifs) :
- Dans le circuit classique, la boutique l'achète au distributeur 10 euros. Le distributeur me prend 30% de marge. Je touche donc 7 euros pour mon jeu. Sur ces 7 euros, il faut que je paye les illustrations (1 euro), l'auteur (1 euros), le développement, et la production (3,5 euros). Je gagne donc 1,5 euros. Quand j'ai vendu 1000 boites, j'ai donc gagné 1500 euros sur lesquels je suis imposé.
- Sur Kickstarter, si on prend le même jeu à 20 euros : je paye les illustrations (1 euro), l'auteur (1 euros), le développement, et la production (3,5 euros), ça ne change pas. Ensuite KS me prend environ 8% de frais donc 1,5 euros puis la TVA 20% donc 4 euros. Je prélève ensuite sur ma marge quelques euros pour réduire les frais de port de mes backers (disons 4 euros). Je gagne donc 5 euros par boîte... Soit pour 1000 boîtes 5000 euros.
On comprend vite pourquoi le modèle est plus rentable sur Kickstarter. Les chiffres que j'ai donnés ne sont pas réels, c'est un exemple pour que chacun comprenne. Ce qui veut dire qu'un jeu que je peux vendre 20 euros sur KS, je vais devoir le vendre 25 ou 30 en boutique pour avoir une marge qui permette de ne pas mettre la clef sous la porte (on parle même pas de se payer à ce stade là). Et si je veux qu'en boutique mon jeu coûte quand même 20 euros, je dois donc le financer sur KS puis l'amener en boutique pour que tous les joueurs bénéficie de la baisse de prix liées au fait que le jeu a été financé sur Kickstarter.
Alors comment redonner une place aux boutiques dans ce contexte ?
Pour le Kickstrater d'Outlive (voir l'article sur le jeu de Monsieur Guillaume), nous proposons de tenter quelque chose. Pour les boutiques françaises (et peut être Belges), nous allons proposer, via le distributeur du jeu (Blackrock) de rétro-céder une partie de notre marge kickstarter aux boutiques qui acceptent de devenir points de retrait pour les backers.
Tout le monde y gagne. Les backers qui iront retirer leurs jeux en boutique, ne payeront pas de frais de port pour les exemplaires « Kickstarter » (avec les stretch goals). Les boutiques qui feront point de retrait se verront rétrocéder la partie de notre marge que je consacre au frais de port (via un système de facturation de prestation). Elles gagneront moins que si elles avaient vendues le jeu en direct mais elles n'avancent pas d'argent (pour acheter le jeu), elles verront de nouveaux clients venir dans leur boutique et surtout elles ne seront plus exclues du modèle KS. Enfin, elles auront droit à des exemplaires « boutiques » (sans les stretch goals) en avant première. C'est à dire qu'elles recevront leurs exemplaires boutiques avant les boutiques n'ayant pas choisies de participer. Pour les backers qui veulent recevoir leurs jeux, pas de problème. Ils pourront aussi en payant les frais de port.
Je ne sais pas si ce modèle marchera, mais ça vaut le coup d'essayer non ?
Rendez vous en Mars pour le Kickstarter d'Outlive, parce que je n'en ai pas parlé dans cet article mais le jeu est une vraie tuerie !
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Commentaires (44)
Oh P..... !!
Y'en a enfin un qui a compris !! Oo
Chapeau ! :)
T’inquiète que bon nombre de boutiques ont du y penser déjà, moi le premier. Le problème vient surtout du "comment faire".
De plus, la plupart du temps, si les éditeurs veulent passer par KS c'est pour :
- ne pas avoir à prendre le risque financier de la création
- se mettre dans la poche la marge (ou au moins une partie) des distributeurs et des revendeurs.
Si on considère ce second point, il ne faut pas s'attendre à ce que les distributeurs (et donc les boutiques) soient les bienvenus vu que, à la base, se passer d'eux était l'un des 2 objectifs principaux de la démarche.
C'est surtout en ça que la tentative est remarquable : on a un éditeur qui a besoin du participatif pour créer, mais qui conserve malgré tout de l'estime pour le circuit classique du jeu, de ces acteurs et qui n'a pas oublié l'importance de la visibilité de ses produits.
Chapeau à Blackrock aussi d'ailleurs, car quand il faut mettre la main à la pâte et faire des efforts pour le bien du Jeu et sa promotion, ils sont bien les premiers à répondre présent !
Y'a pas à dire, je les aime bien eux :)
Bon, la partie BR j'adhère évidemment, surtout que ce sont eut qui me distribue. En revanche, je trouve ton analyse des motifs majeurs du passage par KS de la part des éditeurs très caricatural et du coup totalement fausse. malheureusement tu n'es pas le seul à avoir et véhiculer ces idées reçues.
Je te donne les raisons en vrac qui motivent le passage par KS :
- toucher directement l’international (80 à 90% des vente par KS sont hors de France, ce qui fait en gros 300 client français KS pour 10' to kill par exemple.... loin, très loin de saturé le marché français de ce type de jeu dont la clientèle n'est majoritairement pas sur KS),
- avoir de la visibilité (une visibilité d'un mois sur un site regardé par le monde ludique entier ce qui crée plein de contact : distributeurs, bloggeurs, journalistes,...., français et étrangés)
- avoir une avance sur financement (le système actuel fait que l'éditeurs touche les premières ventes (juste la mise en place donc) jusqu'à 4 mois après avoir payé l'intégralité de sa production)
- proposer des éditions plus atypiques et/ou plus qualitatives qu'avec le système classique en maintenant un prix accessible,
- proposer des jeux invendable par le système classique : prix, publique de niche, ...
Comme tu le constate, il n'y a pas le "s'en mettre pleins les fouille" que tu évoques.
sur le prix KS l'éditeur déduit : la TVA, les frais KS, plein de charge de comm' qu'il n'a pas sinon (réalisation de video par exemple), une grosse partie des frais de port pour ne pas annoncer les coût réels qui sont psychologiquement énormes, une baisse de prix pour être attractif, des SG, ....
j'espère avoir apporté un autre regards sur l'utilisation du KS et de ses conséquences réels sur les vente boutique française.
Toute généralisation et caricature est fatalement fausse et néfaste. Chaque projet est différent aussi.
Bravo! c'est une belle idée, qui valorise le partage.
En tout cas, un avantage non négligeable pour nous est le SAP. Ayant eu un soucis avec ma boite, j'étais content de pouvoir passer par la boutique plutôt que par l'éditeur US.
Du coup, les boutiques devront s'inscrire avant le KS? Il y aura une liste de points de retrait dès le début? Ou bien cela sera-t-il géré plus tard, avec un pledge manager?