Les mains dans le moteur - episode définitivement 3

Les mains dans le moteur - episode définitivement 3

Voici le troisième et dernier article de ma série dans laquelle je tente de partager ma vision, en ce qui concerne nos jeux favoris, du « Pourquoi ça marche » par opposition au « Comment ça marche ». Une analyse basée sur l’émotionnel des joueurs plutôt que sur l’architecture mécanicienne des jeux.

Les deux premiers épisodes vous ont présenté deux aspects que je trouve essentiels dans les jeux :

- Le sentiment de (juste) frustration
- Son amie la tentation

Mais il nous manque encore quelque chose pour équilibrer le système.

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Prenez une table. Et mettez lui un seul pied… pas facile de la faire tenir en équilibre.

Ajoutez un deuxième pied : la situation reste tout aussi instable.

Ajoutez un troisième pied : c’est magique ! la stabilité est parfaite, même si la surface n’est pas forcément horizontale (reste à régler le longueur des pieds).

(après, on peu encore ajouter des pieds, mais les équilibrages seront d’autant plus compliqués qu’ils seront nombreux… et à 12 pieds, ce n’est plus de la mécanique mais de la poésie… en alexandrins !)

Et bien dans ma vision du « Pourquoi ça marche », c’est un peu pareil, il nous manque le troisième pied.

Ce troisième pied, c’est… la SASTISFACTION !!!

Satisfaction dans le sens de plaisir par rapport à l’expérience ludique qui vient d’être vécue, dans le sens aussi d’auto-satisfaction, d’être content de soi.

Lorsque j’ai rencontré mon premier éditeur, je lui ai demandé ce qu’il cherchait comme type de jeu. Et il m’a répondu, avec un petit sourire, « des bons jeux ». je lui ai donc demandé de préciser pour lui ce qu’était un bon jeu, il m’a fait la réponse suivante :

« Un bon jeu, c’est un jeu dans lequel, lorsque tu as gagné, tu es content parce que tu peux penser que tu as bien joué et/ou a été plus malin que les autres, et quand tu as perdu, tu n’es pas trop déçu car tu peux être content de ce que tu as fait et en plus tu peux te dire que tu y étais presque et que tu dois recommencer tout de suite»

C’est assez drôle, car cette phrase contient les trois éléments :

Ne pas être trop frustré
Etre tenté… de recommencer bien vite
Etre satisfait de son résultat

Concentrons nous donc sur cet aspect Satisfaction.

De façon générale, cette satisfaction peut être rencontrée sous deux formes distinctes (et complémentaires) :

- La satisfaction vis à vis de l’expérience ludique elle-même:

Dans les Party-Games, cet aspect est essentiel. C’est même l’argument de base de chacun de ces jeux : Là, on comprendra satisfaction dans le sens plaisir. A l’issue de ma partie, je suis heureux du moment partagé, le résultat final importe finalement peu, j’ai bien rigolé, je suis heureux, je suis satisfait.

Autre exemple, dans un coopératif, on sera satisfait d’avoir réussi à contourner collectivement tous les pièges proposés par le jeu et ses fourbes auteurs.

- La satisfaction vis à vis de son propre comportement (ou performance) au sein de cette expérience ludique :

Dans un Party Game, toujours, on pourra se réjouir d’avoir eu telle ou telle saillie verbale (Cyrano), ou d’avoir réussi un mime particulier (Times up), et de façon plus générale, d’avoir réussi à faire rire l’assemblée.

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Dans un coopératif, un joueur leader aura une grande satisfaction à guider les pas du groupe afin d’optimiser les probabilités de victoire (… au risque de trop frustrer les autres du fait de son leadership… tout est lié…)

Dans un jeu compétitif, on pourra être satisfait de la victoire bien sûr, mais aussi dans beaucoup de jeu, on pourra être satisfait de petits moments de gloire momentanés au sein de la partie :

Un bluff réussi à Skull & Roses
Etre le seul à avoir identifié un coup incroyable à Five Tribes
Avoir trouvé une solution ultime à Rasende Roboter
Ou même simplement, avoir la satisfaction du devoir accompli, comme par exemple l’ensemble de ses routes et colonies aux colons de catane, ou sa ferme à Agricola etc etc…

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C’est d’ailleurs un des aspects qui explique l’engouement pour bien des jeux de développement sans trop de confrontation directe. Finalement, à la fin, il y en a un qui s’en est mieux sorti que les autres, mais chacun a construit quelque chose, et peut s’en satisfaire. En tentant lors de nouvelles parties, d’améliorer sa propre performance.

En synthèse, cette satisfaction vis à vis de son propre comportement permet d’améliorer le regard que l’on a sur soi, d’améliorer (ou de conforter) son estime de soi.

Et c’est d’ailleurs cette notion de regard sur soi qui explique aussi pourquoi certaines personnes n’aiment pas, ou se font prier, pour jouer.

Oui, il y a des personnes qui n’aiment pas jouer. Pendant longtemps, j’ai cru tout simplement que c’était parce qu’on avait pas su leur présenter le Bon jeu. Mais en fait, le blocage est souvent plus profond que ça.

En effet, ces profils psychologiques ont généralement un vrai souci de confiance en soi, et le regard qu’ils ont sur eux-mêmes est dur et peu flatteur. Ils vont alors vivre l’expérience ludique comme une confrontation à d’autres qui (au moins en apparence) maîtrisent l’exercice à la perfection. Du coup, cet exercice devient simplement terrorisant. Pas envie de se sentir ridicule en public. Pas envie de se sentir évalué. Pas envie de briser l’image que l’on a réussi à se forger à grand peine au quotidien. Le jeu est alors vécu comme une mise en danger, et là, plus de satisfaction du tout dans l’expérience ludique.

Par exemple, c’est le côté segmentant de bien des jeux de communication. Dans ces jeux on va devoir s’exprimer publiquement, faire preuve d’imagination. Et ceux dont le regard qu’ils ont sur eux-mêmes les amène, de façon générale, à penser qu’ils ne sont pas à la hauteur, devoir le faire sous le regard goguenard des autres et sous le stress du chronomètre ne peut que leur donner envie de fuir. Point de satisfaction à l’horizon…

De même dans les jeux compétitifs, dans lesquels tout résultat nettement inférieur à ceux des autres sera vécu de façon analogue à celle d’un enfant rentrant à la maison avec un 5/20. Là non plus, point de satisfaction.

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Reste alors le cas des jeux coopératifs qui peut, parfois, permettre de se sentir plus à l’aise… Et là, cette fois-ci, si il y a un leader à la table, ce ne sera pas vécu comme de la frustration, mais du réconfort.

En conclusion, mon credo est que tout jeu qui permet à un participant d’augmenter sa satisfaction, soit grâce au bon moment passé, soit en augmentant ou confortant on estime de soi, va posséder un fort goût de reviens-y. Parce qu’il n’y a jamais de mal à se faire du bien. (et le premier qui me traite de branleur…).

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Et si l’on fait une synthèse des trois articles, alors le graal, l’utopique jeu idéal, pourrait bien se trouver au milieu du triangle Frustration – Tentation – Satisfaction !

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bonjour série d’articles très intéressant ^^ puis je suggérer un 4ème coin, point ou pieds c’est selon ^^ la dissuasion (frustrer - tenter -satisfaire- dissuader)