Du parallèle entre le jeu de société et la bande dessinée…
Une semaine de livraison pour une librairie de quartier !
© Le Tome 47
Depuis la rentrée, cela n’aura échappé à personne, Trictrac s’ouvre à de nouveaux horizons : après les jeux de société, la bande dessinée !
Le parallèle entre ces deux univers m’a, à première vue, paru très judicieux, coulant de source ! Il n’y a qu’à voir la qualité sans cesse grandissante des illustrations de jeux, notamment français, dont les artistes se mesurent sans complexe aux plus grands du monde de l’animation, du graphisme, de l’édition jeunesse et… de la bande dessinée.
Au niveau production, aussi, bien évidemment : pour les points de vente (boutiques / libraires) et les consommateurs (joueurs / lecteurs), il y a clairement un déferlement de références qui fait qu’un titre (jeu / album), non porté par une communication réfléchie et budgétée, restera noyé dans la masse des trop nombreuses sorties.
Les magasins physiques ne peuvent plus suivre, les acheteurs non plus.
S’ils sont fidèles et modérés, ils continueront à miser sur des valeurs refuges ou rentables, s’ils sont curieux et passionnés, à eux de faire le tri parmi une offre astronomique. En cela, des sites tels Trictrac ou d’autres, aideront plus qu’à leur tour : un jeu vous fait de l’œil, un peu de lecture ou de visionnage, vous vous ferez vite une idée et saurez…
… Si ce jeu est fait pour vous ou non.
La vidéo qui ne mange pas ses mots !
Suite à l’interview improvisée de Fred Henry durant le dernier salon d’Essen, cet auteur aux multiples facettes — que, soit dit en passant, j’apprécie particulièrement — a mis le doigt sur plusieurs choses qui ont fait écho immédiatement à mon univers et puis, après coup, m’ont fait réfléchir.
Alors voilà. Je suis auteur de BD et joueur passionné. Passionné de jeux, et passionné aussi par le monde du jeu vu sous l’angle des flux et reflux de la toile essentiellement, bien calé le cul sur mon siège face à mon écran ou à mes enceintes. Pour faire bref, je bouffe à longueur de temps, tout en dessinant, podcasts et vidéos autour de la chose ludique.
Et maintenant, après avoir constaté les évidentes similitudes entre la BD et le jeu de société, une différence de taille m’est apparue : elle me soucie et m’effraye tout autant pour l’avenir.
Sans me proclamer spécialiste — je ne suis pas du tout acteur du milieu ludique, je dirais juste un spectateur lucide et assidu —, je m’en vais donc de ma petite analyse personnelle, qui n’engage que moi, c’est dit.
Dans les bas-fonds des auteurs
Dans le monde de la création ludique, un débat a lieu depuis plusieurs années autour des auteurs de jeux : leur reconnaissance, leur statut, leur rémunération… Si la présence de son nom sur la boîte semble acquise, l’auteur d’un jeu, du point de vue fiscal, n’est pas un « auteur », dans le sens auteur d’une œuvre culturelle, le jeu n’étant pas considéré comme telle. Même si, à mon sens, il devrait l’être, là n’est pas le débat. Percevoir des royalties semble alors compliqué et à l’éditeur d’user de stratagèmes pour biaiser ce flou administratif (l’auteur du jeu et de sa mécanique deviendrait alors auteur de la règle du jeu, dans sa forme écrite, par exemple). En fait, l’auteur de jeu, il me semble, est le cul entre deux chaises : entre inventeur (au sens concret, comme l’inventeur du tire-bouchon) et auteur (au sens artistique), la mécanique ludique n’ayant pas, je crois, de reconnaissance aux yeux de la loi, quant à facturer ce type de prestation, à moins d’être à la tête d’une SARL, je ne vois pas…
En regard, l’illustrateur — de plus en plus mis en avant, donc — a un statut plus clairement reconnu, celui d’indépendant qui peut être rémunéré au forfait pour le travail effectué. S’il devait toucher des droits, cela serait aussi plus aisé car son statut est plus proche de celui d’un auteur de BD.
Car en BD, c’est plus facile : un auteur, qu’il soit dessinateur ou scénariste, reste l’auteur d’une œuvre artistique, il est donc payé classiquement en avance sur droits et touchera des droits supplémentaires sur les ventes une fois son avance atteinte.
Pourtant, beaucoup d’auteurs en vivent, plus ou moins bien. Mais ils en vivent. Beaucoup, ça fait combien, me direz-vous ?
Nous partîmes 500…
En France, pas loin de 2000 auteurs de BD sont référencés : tous ne vivent pas de la BD, la plupart sont illustrateurs dans d’autres domaines (et pourquoi pas dans le jeu !), enseignants ou font un autre boulot pas forcément en rapport… Ces dernière années, d’ailleurs, un malaise généralisé des auteurs dû une paupérisation de la profession pose une vraie question : est-ce viable de nos jours d’être auteur de BD ?
À la louche, en coupant la poire en deux, on pourrait dire que 1000 auteurs de BD vivent en grande partie de leur art. À titre personnel, je fais partie de ces auteurs.
Voyez-vous où je veux en venir ? …
1000 auteurs de BD qui en vivent contre… combien d’auteurs de jeu ?
Le chiffre de 10 a été plusieurs fois avancé, ici et là, entre les historiques, les prolifiques (pondérés et talentueux), les auteurs de succès qui perdurent ou ceux à la double casquette d’éditeurs de leurs propres jeux, parfois avec leurs tripes…. J’ai personnellement beaucoup de respect pour ces gens : ceux qui récoltent le fruit d’un travail, passionnés et éveillés, pas philanthropes non plus, ce n’est pas ici qu’on les blâmera. Et je ne mets personne en opposition, petits artisans face aux gros industriels. Mais une réussite reste une réussite, elle ne sort jamais de nulle part.
Le constat est là : ces chiffres sont à prendre avec des pincettes (sources du web pas toujours fiables, calculs persos sortis de ma botte) mais cela donne une idée.
1000 auteurs BD contre 10 auteurs de jeu.
4000 nouveautés BD contre 900 jeux de société.
Entre 10 et 15 euros pour un album contre une grosse moyenne de 20-30 euros pour un jeu (de 10 à 80 pour les grosses boîtes).
Certes, les moyens de production et de distribution sont différents (des imprimés aux formats approchants contre des boîtes de multiples tailles, parfois énormes et bien remplies) mais le rapport me paraît à la fois vertigineux et paradoxalement, très proche.
Les chiffres d’affaire des deux milieux tendent à se rapprocher, tout comme les ventes.
Une chance au grattage !
Et quand on compare les tirages , ça paraît plus encore lié… Si un jeu produit à 1000 exemplaires ne risque pas d’envahir le marché, les albums tirés à très faible quantité sont légions ! Même un gros éditeur tel que Glénat, Dargaud, Dupuis… ne misera pas sur une nouveauté sans être sûr d’en vendre un minimum : il gonfle simplement son catalogue en espérant tomber sur la perle rare. Le fameux hameçonnage cité par Fred Henry (inonder le marché avec de nombreux titres à de très faible tirage en espérant un Titeuf / Dobble) est commun aux deux mondes.
Maintenant, il faut être franc sur un point : un champion des ventes profitera toujours à tous. Un Titeuf ou un XIII qui broie tout sur son passage, même si le secteur est en perte de vitesse, permettra à un jeune auteur ou à un auteur confirmé mais confidentiel de faire partie du catalogue. Itou dans le jeu, j’imagine : les gains d’un vrai carton permettent aux nouveautés d’être financées et, a fortiori, aux échecs d’être compensés. Oui. C’est mathématique. Je suis le premier à en profiter.
À la différence que… les auteurs de BD obtiennent souvent des avaloirs qui leur permettent de bouffer ! Enfin, pourvu que ça dure…
Du gruyère dans les pâtes
Des auteurs de jeu passionnés, qui mettent du beurre dans les épinards en créant des jeux sans pour autant payer les épinards, il y en a beaucoup, ça a même démarré ainsi : cela tend à se professionnaliser, c’est bien. Force est de constater que l’effet inverse se produit dans la BD : les auteurs de métier sont peu à peu rattrapés par de jeunes auteurs bien souvent talentueux qui acceptent parfois des conditions à la limite de l’amateurisme.
Bref, même si les généralités sont toujours à manipuler avec précautions — comparer la création de différents jeux entre eux reste déjà approximatif, alors la comparer avec la réalisation d’une BD… —, j’aimerais que les auteurs de jeu soient reconnus (ET statutairement ET financièrement) tout autant que les auteurs de BD. Mais aussi qu’ils ne soient pas promis au même avenir incertain !
Si l’édition du jeu de société prend le même chemin que la bande dessinée, il doit y avoir une reconnaissance de leurs principaux acteurs : sans auteur, pas de jeu, pas d’album. C’est la base, l’évidence même. Encore faudrait-il que tout le monde en soit conscient…
Ça part sans doute dans tous les sens, un poil brouillon peut-être. J’ai hésité à publier cet article directement dans le forum. Je n’ai pas la plume de certain mais il me paraissait important de partager mon regard, avec son lot d’erreurs et d’a prioris.
Merci de m’avoir lu, si toutefois vous êtes parvenu au bout !
En liens connexes :
• La liste des rapports de l’ACBD, pour les chiffres de la BD ;
• Une virgule de France Culture (datée de 2012 mais cela ne s’est pas s’arrangé…) ;