Isaribi, Pêcheur pendant Edo

[Isaribi]

Isaribi, Pêcheur pendant Edo

Ce texte fait partie d’une suite d’articles dans lesquels je vais présenter les jeux Japon Brand qui seront présents lors du salon d’Essen 2014.

Isaribi, quel plus joli titre que celui-là ? Sauf que ça n’évoque pas grand chose aux joueurs occidentaux, ni même à vrai dire à nombre de Japonais à qui le jeu a été présenté. Et pourtant, il s’agit là selon moi de l’un des jeux de stratégie les plus thématiques de la création japonaise.

Alors, ce titre, quoi qu’est-ce ? J’y viens… Isarabi est un jeu de “pick and delivery” de Hisashi Hayashi, qui se joue de 3 à 5 joueurs, à partir de 10 ans, pour des parties d’environ 45 minutes à 1 heure. Le jeu est sorti pour le Tokyo Game Market en avril 2014 et sera présenté à Essen !

Isaribi, Poissons au feu !

Alors, cette expression, venons-y. En fait, Isaribi est composé des deux caractères chinois suivants : 漁火, “poisson” et “feu”… Ça reste toujours énigmatique pour la plupart d’entre vous, je le conçois bien. A l’époque Edo, il y a plus ou moins 300 ans, il n’était pas rare que les pêcheurs sortent en mer à la nuit tombée. Pour attirer les poissons, beaucoup d’entre eux démarraient un feu sur leurs embarcations… Et, apparemment, ça fonctionnait très bien. Ne me demandez pas pourquoi, je n’ai guère trouvé d’explications.

Toujours est-il que dans le jeu de Hisashi Hayashi, les joueurs vont incarner des pêcheurs qui essayent de répondre aux demandes fluctuantes, et disons-le, capricieuses du marché. Chacun est à la tête d’une petite embarcation qui, si l’argent rentre suffisamment après quelques nuitées de pêche fructueuses, pourra être améliorée, tout comme les filets d’ailleurs qui, au départ de l’aventure, ne sont pas particulièrement efficaces.

Chaque joueur reçoit donc en début de partie une petite pièce de bois représentant son bateau, une carte avec les spécificités de son embarcation et 3 Ryo (la monnaie de l’époque mais tous les Japonais avec qui j’ai joué le jeu ne cessaient de dire “yens”… le thème, les amis, le thème bordel !). Il est à noter que l’argent que vous serez parvenu à collecter jusqu’au dernier tour représente aussi vos points de victoire.

Les choix seront difficiles, vous pouvez l’imaginer : améliorer votre bateau, sachant que chaque amélioration coûte plus cher que la précédente, faire de même avec vos filets, vous adjoindre le soutien de personnages qui vous aideront à conserver le poisson invendu, ou à vendre des poissons qui n’intéressent pas le marché ?

Je vous expliquerai les cartes situées au-dessus plus tard. La carte en bas de l’image représente votre bateau. En haut, la vitesse de déplacement ainsi que votre capacité à effectuer des actions diverses. En bas à gauche, la qualité de vos filets, essentiels pour ramener de bons poissons en grand nombre, et en bas à droite, les poissons que vous avez pêchés (ou un cube invendu que vous pouvez conserver pour le tour suivant).

Bref, le jeu est une suite de choix plus durs à effectuer que les précédents. Ahhhhh, frustration !

En mer, ou au marché ?

Isaribi a aussi une dimension “jeu de course” qui fonctionne très très bien. Je vais tâcher de vous expliquer rapidement et simplement les règles. Je me suis adjoins les conseils avisés de I Was Game, l’auteur de Dungeon of Mandom, spécialiste de la lecture de règles nippones… Et même pour lui, ça n’a pas été si simple !

On effectue d’abord la mise en place. A droite sur l’image ci-dessous, vous pouvez voir deux plateaux. Le plateau situé à gauche représente l’argent qu’engrangent les joueurs, tandis que celui de droite est celui où se dérouleront toutes les actions du jeu. Ce deuxième plateau est lui-même divisé en deux parties bien distinctes : à gauche, les zones de pêche où divers poissons sont représentés par des cubes de couleurs différentes, à droite, le port et ses marchands. Vous aurez remarqué qu’au début du tour, les joueurs ne peuvent voir qu’un marchand.

Ici, le marchand voudrait acheter un cube de “Brème de Mer” () pour une valeur de 6 Ryo. C’est une très bonne opportunité, financièrement parlant, mais un seul cube vaut-il de se lancer sur cette zone de pêche ? Surtout que si vous restez avec du poisson invendu en quantité trop importante, vous perdrez de l’argent ! Bon, tout espoir n’est pas perdu puisque à chaque fois que le premier joueur jouera de nouvelles actions, une nouvelle carte marchand sera découverte.

Du coup, connaître la répartition des cartes est utile pour estimer votre prise de risque. Donc, dans Isaribi, chaque joueur va commencer le tour de jeu est décidant où placer son bateau. Deux premiers choix s’offrent aux joueurs : se placer sur un lieu de pêche (ils sont variés, vous verrez) ou directement au port, pour essayer d’y vendre des poissons au nez et à la barbe des autres joueurs. Une illustration s’impose !

En général, au début des premiers tours, les joueurs vont systématiquement poser leur bateau sur des lieux de pêche… Premiers arrivés, premiers servis ! Encore faut-il savoir ce que la demande du marché sera !

Lors des premiers tours de jeu, les joueurs vont généralement se jeter sur les zones de pêche encore libres. Il faut savoir que vos filets sont encore de qualité modeste et que le nombre de points d’action est très limité. 1 action et demie, en début de partie. Oui, vous avez bien lu. J’ai bien écrit un 0.5 point d’action quelques mots plus tôt. Ça peut paraître bizarre mais on s’y fait vite.

Le jeu se joue en 5 manches. Chaque manche est constituée d’un nombre de tours variables et se termine quand tous les joueurs passent leur tour. A votre tour, vous pouvez effectuer plusieurs actions différentes, pour des coûts en action variables : (je vous fais ça version schéma, parce que c’est pas évident ! Sachez que je n’essaie pas d’insulter votre intelligence qui, sans doute, est supérieure à la moyenne).

Je reprends la terminologie employée dans la traduction de Sathimon, disponible sur BGG (et ici ?).

  • 1) Pêcher : une fois par tour, vous pouvez pêcher du poisson en employant vos filets. Le nombre de cubes que vous pourrez récupérer sera défini en fonction de la qualité de vos filets. Par exemple, en début de partie, vous pourrez pêcher 1 cube de Brème de Mer, 2 cubes de Maquereau 鯵, アジ 2 de Crevette 海老 et 1 de Palourde 蛤, ハマグリ. Pêcher aux filets vous coûtera 1 point d’action. Les joueurs peuvent aussi pêcher à la main… c’est moins coûteux en action (0.5) mais du coup, vous ne pourrez pêcher qu’un cube. A savoir que les Palourdes ne peuvent être pêchées qu’à la main !
  • 2) Déplacer votre bateau : cette action peut être effectuée plusieurs fois pendant un même tour. Chaque déplacement vous coûte 1 point d’action.
  • 3) Vendre vos prises : là encore, selon que vous utilisez 1 ou 0.5 point d’action, la quantité de poisson vous pourrez vendre sera différente. Si vous utilisez 0.5 point d’action, vous ne pourrez vendre qu’un cube (parfait pour la première image que j’ai intégrée à cet article !). Par contre, vous pourrez vendre deux cubes si vous utilisez 1 point d’action. Cette action ne peut être effectuée qu’une fois par tour. Opportunisme à tous les étages !
  • 4) Améliorer votre bateau ou vos filets : une fois par tour, vous pouvez améliorer vos filets (1 point d’action plus un coût en argent qui augmente petit à petit : 3, 4, 6 et 9 pour augmenter votre nombre de points d’action, 3 et 6 pour améliorer la qualité de vos filets de pêche). Il est aussi possible de vous adjoindre les services d’un expert, représenté sous la forme de cartes. Il en existe deux dans le jeu : la cliente privilégiée (cette carte coûte 3 Ryo et vous permet de vendre 1 cube pour 4 Ryo à chaque manche) et le fumoir (qui coûte 4 Ryo et permet de conserver trois cubes de poisson supplémentaires pour la manche suivante).
  • 5) Retourner une carte marché : pour les curieux ou les plus pressés, il est possible de dépenser 1 point d’action pour retourner une carte Marchand et connaître ainsi quel poisson sont demandés par le marché. Est-ce que ça vous sera utile, ou utile à l’un de vos concurrents, c’est tout le sel du jeu. Voilà pour les actions principales.

A la fin de la première manche, le premier joueur à passer son tour aura le privilège de choisir une carte personnage parmi les 5 disponibles. Ces cartes ne sont pas des “technologies” mais plus des soutiens (Carson City-like).

Leurs capacités spéciales sont très utiles :

  1. Le Vieux Pêcheur : il permet de placer 3 cubes supplémentaires sur une zone de pêche.
  2. Le magasin de poisson “séché” : il permet de conserver deux poissons de plus pour la manche suivante (associée au Fumoir, ça pourrait vous faire gagner un tour de pêche entier !).
  3. Le Changeur de Monnaie : recevez 3 Ryo.
  4. Le Spéculateur (ah, mon préféré !) : vous pouvez jeter un oeil aux cartes “Marchand” cachées (je vous laisse imaginer l’avantage avant de poser le bateau !).
  5. Le Charpentier : Il vous permet de payer 3 Ryo moins cher n’importe quelle technologie. Le jeu se déroule ainsi pendant 7 manches. Le joueur qui a gagné le plus d’argent à la fin de la partie l’emporte.

Ressources… cartes et cubes multicolores !

Première manche ! Un retardataire… Pourtant, ses Brème de Mer lui rapporteront beaucoup d’argent. Ah, l’opportunisme et la prise de risque payent !

Fin de la partie, la 7ème manche. Il sera difficile de rattraper Takako qui a réussi à vendre tous ses poissons, alors que plus personne n’y croyait !

Bonne pêche !

Le jeu de Hayashi est une fois encore une petite perle ludique. Je ne saurais trop vous conseiller d’aller l’acheter s’il reste des exemplaires lors de l’ouverture du salon d’Essen. Le jeu n’a pourtant pas fait grand bruit lors du TGM. Je suppose que c’est parce que le nombre d’exemplaires disponible était très réduit (une cinquantaine, si je ne dis pas de bêtise).

Les règles ne sont pas simples au premier abord mais une fois la première partie jouée, et le système des points d’action assimilé, le plaisir est vraiment intense. Je parlerai d’abord des illustrations et graphismes du jeu. Très liés au thème, Ryoko Hayashi, a redoublé de talent pour s’approcher au mieux de ce qui avait cours à l’époque Edo.

Les impressions ressenties lorsqu’on observe les cartes, le plateau de jeu… tout laisse à penser que l’ukiyo-e a envahi cet univers des pêcheurs. Mais après tout, la traduction pour l’ukiyo-e n’est-elle pas “image du monde flottant” ? Quoi de plus vrai dès lors. Le jeu nous invite aussi à traverser le temps parce que le thème est tellement bien intégré à la mécanique (pêche à la main ou au filet, l’attente des marchands qui décident de l’offre et des prix…) que pendant le temps d’une partie, on a vraiment l’impression d’incarner un pauvre pêcheur épuisé par l’iode et la sévérité de la concurrence.

Pour dire la même chose en plus simple, c’est beau, quoi !

Là où le jeu prend tout son sens, c’est qu’évidemment, à votre tour, vous manquerez toujours d’actions pour réaliser tout ce que vous avez en tête. Ce mécanisme de frustration bien connu fonctionne à merveille ici. Vous manquerez souvent de technologie mais là encore, si vous optez pour le tout technologique, vous prendrez un sacré retard sur les autres joueurs, puisque je vous le rappelle, l’argent dans le jeu sert aussi de compteur de points de victoire.

Quand améliorer ses filets ? Quand décider d’améliorer votre embarcation ? Et puis, est-il préférable de faire appel au Fumoir, ou bien aurez-vous la possibilité de tout vendre ? Des tas de questions qui vous harcèleront jusqu’à l’épuisement et ce, pour le plus grand des plaisirs ludiques. La chance imposée par les marchands posés face cachée n’empêche pas le jeu de récompenser les opportunistes ou les amateurs de planification extrême.

Si vous voulez avoir plus d’informations, après tout, rien ne vous empêche de demander conseil au Spéculateur. Ou alors, vous prenez cette petite avance pécuniaire sur les autres, parce que l’air de rien, 3 Ryo de plus à chaque manche, c’est quand même pas mal du tout. Là aussi, le choix sera une étape difficile…

Alors, bien sûr, ce jeu n’offre pas de l’innovation à tout va… non, ce n’est pas Trains, ni Sail to India, mais pour moi, c’est l’un des jeux les plus agréables et prenants de sa ludographie (what?!) !

Conseil d’Izo, ne le ratez pas !

Izobretenik

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Isaribi
Un jeu de Hisashi Hayashi
Illustré par Ryo Nyamo
Publié par Okazu Brand
3 à 5 joueurs
A partir de 10 ans
Langue des règles: Anglaise, Japonaise
Durée: 45 minutes
Prix: Non renseigné


6 « J'aime »

Ahlalala c'est MA-GNI-FI-QUE !
Merci Yannick de nous faire rêver.

Il y a moyen de précommander pour Essen la gamme Japan Brand ?

Je suis pas fan de la couverture du jeu, un peu creuse, mais le matériel du jeu est très très beau.

Un lien intéressant, direction un site superbe pour en apprendre sur l'estampe japonaise.

http://expositions.bnf.fr/japonaises/

Superbe exposition virtuelle.

Mon rêve serait qu'il tente un éditeur occidental acceptant de le conservant avec ses illustrations d'origine: il est effectivement superbe!

Très beau, voire reposant...

"Pour attirer les poissons, beaucoup d'entre eux démarraient un feu sur leurs embarcations...": l'ancêtre de la "pêche au lamparo" je suppose :-)

1 « J'aime »

@Gaetbe Oui, il y a des précommandes Japan Brand pour Essen que tu pourras trouver ici : http://boardgamegeek.com/geeklist/176609/item/3337597#item3337597

Non, Isaribi est complètement sold out : "Our initial stance was indeed to keep a certain number of copies out of the preorder system, but that stance was abolished due to a number of reasons. Isaribi is unfortunately completely sold out. Your only chance is if someone cancels their preorder."

Très joli jeu ! Merci de nous faire rêver Mr Izobretenik !

Superbe ! Y a-t-il une chance de pouvoir l'avoir en VF un jour?