Interview de Dominique - Responsable du Spiel à Essen !

Le lundi 25 Mai, je me suis entretenue avec Dominique Metzler, responsable de l’organisation des Internationale Spieltage in Essen - les Journées internationales du jeu à manger Essen, donc. Elle m’en a dit un peu plus sur le fameux “Spiel”, sur les raisons exactes qui l’ont décidée à annuler, sa version Digitale prévue pour octobre, et les éditions suivantes.

Madame Mathilde : Salut Dominique, est-ce que tu pourrais te présenter, toi et les Spieltage d’Essen, en quelques mots ?

Dominique Metzler : Bien sûr ! Je m’appelle Dominique Metzler, je suis la propriétaire de Merz Verlag, qui est l’entreprise qui organise le Spiel à Essen. Je suis responsable du Spiel depuis maintenant 26 ans. Le Spiel, c’est le plus gros événement ludique ouvert au public du monde ces dernières années : 1.200 exposants venant de 53 pays, 83.000 mètres carrés, et plus de 200.000 visiteurs en 2019.

MM : Vous avez annoncé la semaine dernière [Le lundi 18 Mai 2020] que vous annuliez l’édition 2020 du Spiel. Pourquoi en êtes-vous venus à cette décision ?

Dominique : Il y a de multiples raisons à cela. Tout d’abord, si on avait maintenu, ça aurait été paradoxalement un événement encore plus grand que les années précédentes. J’avais aussi l’impression que beaucoup d’exposants voulaient à tout prix que le Spiel soit maintenu, et ont un peu perdu la réalité de vue. Nous avions envoyé un premier mail en prévenant que si le Spiel ne pouvait pas avoir lieu, ils seraient remboursés pour la réservation du stand. C’est peut-être la raison pour laquelle les réservations ont continué à affluer de partout dans le monde. Nous avons été surpris par cet effet : je le comprends pour les éditeurs qui viennent de très loin et ne connaissent pas forcément bien la situation locale, mais pour les éditeurs européens je n’ai pas compris pourquoi ils ont continué à réserver.

En Allemagne, les salons ont d’abord été interdits de façon générale, jusqu’au 31 août. Je ne sais pas comment ça s’est passé en France, mais en Allemagne la situation changeait très rapidement, et nous avons eu beaucoup d’informations contradictoires, semaine après semaine. Madame Merkel a d’abord annoncé le 6 mai que les salons seraient à nouveau autorisés [après le 31 août]. Le Président de la région Rhénanie-du-Nord-Westphalie (dans laquelle se trouve Essen) a annoncé que seuls les salons commerciaux seraient autorisés, et ce dès le 1er Juin. Nous sommes un salon ouvert au public, ça fait une différence. En Allemagne, c’est l’agence de santé de la ville qui décide si un événement peut avoir lieu ou pas, j’ai donc appelé celui d’Essen et j’ai demandé, partant du principe que le président de région annonçait que les salons commerciaux pouvaient rouvrir - même si nous n’en sommes pas un, sous quelles conditions se passera leur réouverture ? À ça, il a répondu qu’il ne le savait pas et qu’il l’apprenait via la presse, comme moi. Après ça, il a été très gentil, et nous avons longtemps discuté de concepts sanitaires, de distance de sécurité, etc. Pour conclure, je lui ai posé la question suivante : "Je lis partout que les salons commerciaux seront limités en termes de visiteurs. De quel ordre de grandeur sera cette limite ?" Il m’a alors dit qu’il ne pouvait pas encore répondre exactement, mais que la limite se situerait entre 5 et 10 mètres carrés par personne. Cela ne concerne pas que les visiteurs, mais aussi les exposants et le personnel du Messe [NdlT : Équivalent du Parc des Expositions]. J’ai donc ensuite calculé combien d’exposants pouvaient rentrer – et encore, je n’ai compté que les exposants fixes : tu peux aussi avoir un pass Exposant sans stand. Quand j’ai reposé ma calculatrice, il était devenu clair que nous pouvions aussi bien ne pas laisser rentrer de visiteurs, ça reviendrait pratiquement au même. C’est à ce moment que j’ai dit que je ne voulais pas tromper nos clients, les exposants, qui ne savaient pas qu’il n’y aurait que très peu de gens dans les allées. Je n’avais pas non plus de concept de sécurité adapté, puisque de toute façon il n’y aurait eu personne. Il restait quelques aspects à régler avec le Messe. Nous avions un contrat à respecter. Nous avons donc essayé de trouver une solution, et ils nous ont permis de prolonger le contrat pour l’année suivante. C’est là que j’ai dit « Ok, on annule ». Il y avait d’autres raisons : l’accès au Messe aurait été compliqué au vu des normes de sécurité ; c’est un salon international et nous ne savions pas quelles seraient les restrictions de voyage… Et c’est une telle montagne… Mais, comme je l’ai dit, si on ne peut pas laisser entrer de visiteurs, ou presque pas, alors c’est logique de ma part de dire, « Bien, ça n’aura pas lieu ». C’était tout un processus de décision, la vue d'ensemble était très complexe, mais je me la suis toujours bien représentée. Par exemple, beaucoup de gens à l’étranger se sont dit « Ha, l’Oktoberfest a été annulée, donc le Spiel sera annulé aussi », mais il y avait de grandes différences : d’abord, l’Oktoberfest a lieu en Bavière, où l’autorité qui prend les décisions est autre. Mais surtout, les contrats des tentes, etc… n’avaient pas encore été signés. Nous, on avait déjà plein d’exposants inscrits. Pour la Bavière c’était facile de dire « Ok, on annule ». Chez nous, c’était un peu différent. […] On a annulé 5 mois à l’avance, en essayant de minimiser les dégâts.

MM : Et en termes de coûts et de conséquences sur les éditions suivantes ? En termes de durée ou de taille par exemple ?

Dominique : Dur à dire, je crois que c’est trop tôt. Je pense qu’on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Ce qu’on sait, c’est qu’en Mai au plus tard, on aura un concept de sécurité en place – mais on ne connait pas encore le contexte de Mai prochain. Il est tout à fait possible que dans un an, on n’ait pas un plan complet mais qu’on sache déjà que l’édition aura lieu. Il y a tellement de choses, de variables qu’on ne maîtrise pas, il faut qu’on voie comment se développe cette pandémie. Comment les gens réagissent, aussi ! Je ne sais pas comment c’est en France, mais en Allemagne, en ce moment, il y a beaucoup de manifestations, de gens qui vont dans la rue pour dire qu’ils veulent récupérer leur liberté et leurs droits. Pour ma sensibilité c’est trop rapide, et en même temps je remarque que moi-même je m’habitue à cette nouvelle façon de vivre – même si j’essaie de faire attention - , puisque pour l’instant, on a aucune donnée montrant que le virus s’en va. C’est presque normal de porter un masque pour sortir en ville, en tout cas bien plus que ça ne l’était il y a deux ou trois mois, en mars. C’est vraiment dur à dire, nous devons attendre. En revanche, on organise une version digitale pour le Spiel, tu as vu ?

MM : Ça tombe bien, c’était ma question suivante ! Donc, la semaine dernière, en même temps que l’annulation, vous avez annoncé une édition en ligne : que pouvons-nous en attendre en tant que public ?

Dominique : Nous avons reçu une première vague de réponses de joueurs et d’exposants, et nous allons recevoir plusieurs centaines d’exposants à cette occasion. La plateforme est en cours de programmation et le temps court : on ne sait pas encore exactement quels seront les détails, et si tout ce à quoi nous avons pensé sera réalisable. […] Ce qui est sûr, c’est que ça ne changera rien si tu es un petit ou un gros éditeur, le coût sera peu élevé et tu pourras y présenter tes jeux, les visiteurs pourront les acheter, il y aura du streaming en direct, des tournois, des concours… Il faut le voir non pas comme un salon virtuel, mais comme un vrai salon : je propose une plateforme, mais en tant qu’exposant qui réserve un stand virtuel il faut se poser la question : que vais-je en faire ? Que faire avec l’espace ? C’est aussi pour ça qu'il est difficile de donner des détails sur ce qu’il va se dérouler : ça dépend aussi des exposants. Ce sera peut-être un peu difficile pour certains exposants qui devront y travailler, mais de mon côté, je peux dire, à mon avis, que cette année, il n’y aura aucun salon ludique en présentiel. C’est important pour la branche de pouvoir présenter en Octobre les centaines de nouveautés dans les tuyaux, au sein d'une vue d’ensemble – pour que les joueurs n’aient pas à se rendre sur des centaines de pages d’éditeurs ou de chaînes Youtube. Donc tout avoir au même endroit, c’est important. Et bien-sûr, il y a aussi la possibilité de pouvoir jouer ensemble.

MM : Alors, ma dernière question, qui revient souvent (peut-être seulement en France, je ne sais pas !) mais pour les gens qui ne connaissent peut-être pas très bien les Spieltage : quel est le rapport entre les Spieltage et le Spiel des Jahres ?

Dominique : Aucun ! Le Spiel des Jahres est un groupe de journalistes ludiques qui attribuent le prix, mais ça n’a rien à voir avec Essen. De notre côté, on a le Deutscher Spielepreis, il est moins famous (sic), mais nous savons que les éditeurs aiment le recevoir et qu’il est regardé aussi à l’étranger. A la différence du Spiel des Jahres, le Deutscher Spielepreis est un prix du public : c’est le public qui vote pour le jeu qu’il ont préféré dans l’année (pour adulte, pour enfant…). Ce sont deux prix complètement différents. Mais on me pose, ou plutôt je lis souvent des formulations où je me dis « HA ! Mais ils n’ont toujours pas compris ou quoi ? » (rires).

Le Spiel des Jahres, pour nous, c’est un client parmi d’autres, ils ont un stand de 21 mètres carrés où ils communiquent eux-même. […] Bien-sûr, on se connaît, et on s’entend bien, mais d’un point de vue administratif nous n’avons rien à voir.

MM : C’est très clair, merci ! C’était tout pour moi, y a-t-il un dernier message que tu souhaites faire passer au public français ?

Dominique : Oui, restez en bonne santé et continuez de jouer ! On fait aussi cette édition digitale parce que nous pensons qu’il est important que la scène ludique travaille de concert pour soutenir les commerçants. J’ai vu l’initiative en France pour soutenir les boutiques (NdlT : Le #ShopTonJeu dont nous vous parlions lors du café du matin du 7 Mai, le jeudi précédent la réouverture des boutiques ludiques), je crois vraiment que c’est la direction dans laquelle il faut aller. Cette pandémie est très dure globalement et c’est très, très, très important pour les jeux de société que nous soyons tous créatifs : les éditeurs, les plateformes permettant de rendre les jeux disponibles au public… C’est important que les joueurs achètent des jeux, et ce particulièrement chez les petits éditeurs. Il y a besoin d’un effort mondial : nous avons annoncé l’annulation le lundi, le mardi la GenCon annonçait la sienne. […] Nous ne sommes pas seuls, nous devons être créatifs ensemble, pour que la scène ludique reste aussi vivante que ce qu’elle est actuellement.

Tout comme l'interview d'Alex, de la Berlin Con, l'intégralité de cet échange a été traduit depuis l'allemand par votre Madame Mathilde nationale. J'ai passé le texte final au peigne fin, mais si des petites coquilles subsistent, n'hésitez pas à les signaler !

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Merci pour cette interview

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Avec plaisir :slight_smile:

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Classe la traduction depuis l’allemand. Moi, j’écoute du Rammstein régulièrement mais ça suffit pas pour maîtriser la langue de Goethe. Du…Du hast… Du hast mich

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Es fängt gut an !

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Merci pour l’interview de Frau Metzler. Pour chipoter : ce ne serait pas plutôt 86 000 m2 la surface d’exposition ? Parce que ESSEN c’est grand, mais 38 hectares ça me parait quand même beaucoup trop (cf. https://www.spiel-messe.com/en/exhibitors/ par exemple)

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Bien vu, j’ai réécouté l’enregistrement original et j’ai effectivement traduit 380.000 au lieu des 83.000 que m’a donnés Dominique ! C’est corrigé, merci beaucoup pour cet oeil affûté, et tut mir leid !

Depuis que Tric Trac.de n’est plus, ces incursions en terres ludiques d’outre Rhin sont vraiment sympas. Pourvu que ça dure, qu’il y en ait d’autres ! Gratulierung!

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