Du Championnat au Print ‘n Play

[Les Inventeurs]

Le championnat comme campagne massive de playtest

Comme vous le savez sans doute, il se déroule actuellement le championnat de France des Inventeurs. Pour Bombyx et moi-même, cet événement fait quelque peu figure d’expérience. En effet, il se distingue par la dualité des fonctions qui lui sont attachées.

Sa première fonction, la plus visible, est marketing et communicationnelle. Il s’agit de faire connaître le jeu afin, à terme, d’en optimiser le potentiel de diffusion (donc, très prosaïquement, d’en accroître les ventes). C’est dans cette même optique que s’inscrivent la page Facebook, les bandeaux publicitaires que vous pourrez voir ici même et évidemment les articles tels que celui-ci qui, tout en se voulant informatifs, agissent nécessairement à la façon de "rappels" auprès de leurs lecteurs.

Sa seconde fonction, plus atypique, réside dans l’utilisation du championnat comme d’une campagne massive de playtest dont la finalité est de voir évoluer le jeu vers sa forme optimale (forme chimérique qu’il n’atteindra jamais et qu’il est pourtant capital de poursuivre). Pour ce faire, chacun des 75 prototypes envoyés aux 123 associations était accompagné de vingt à trente questionnaires qui, dans un premier temps, invitaient les joueurs à évaluer le jeu sous différentes dimensions : clarté des règles, durée d’explication, accessibilité, intérêt du jeu et enfin l’envie de rejouer qu’il génère. Dans un second temps, les questionnaires proposaient un espace de commentaires libres permettant de centraliser les remarques sur les éventuelles réserves concernant le système ou ses équilibres et les pistes d’améliorations envisageables. A ce jour, avec 85% du championnat réalisé et plus de 7600 km parcourus, ce ne sont pas moins de 758 fiches d’évaluation qui ont été récupérées au cours des sélections régionales.

Toutes ces fiches d’évaluation ont été soigneusement dépouillées et des récurrences significatives en sont ressorties. Je ne m’attarderai pas ici ni sur les retours dithyrambiques ni sur les diagrammes de notes, parce que « l’effet prototype » a toujours tendance à gonfler positivement la notation, avec pour conséquence de rendre les moyennes exagérément bonnes. Ainsi, alors qu’une version commerciale du jeu se retrouvera très certainement avec des courbes de notation de forme gaussienne pour chacun de ses items, la version prototypale se caractérise par des courbes de formes systématiquement exponentielles. Or, même si ces courbes font terriblement plaisir à lire, il faut savoir admettre qu’elles sont nécessairement déformées par deux biais cognitifs : celui du rapport peu inter-médié entre l’auteur et le joueur et celui du rôle de primo découvreur qu’endosse de fait le playtester, lesquels agissent toujours très favorablement sur la perception du jeu. C’est donc au contraire sur les problèmes mis en exergue et sur la façon dont ils ont été solutionnés que je me concentrerai.

Les points qui suivent sont exposés dans l’ordre décroissant de leur volume de récurrence.

Les points problématiques saillants

1) Trop court (n = 83, soit 11 %).

Un nombre significatif de commentaires regrette l’absence d’une quatrième phase de jeu permettant aux joueurs de pleinement exploiter les développements de leurs personnages.

2) Déséquilibre entre la stratégie « brevets » et la stratégie « personnages » (n = 68, soit 9 %).

Nombre de retours soulignent l’écart important de gain de points de victoire entre l’obtention de brevets et le développement des personnages, au profit du premier.

3) Déséquilibre entre les équipes de personnages (n = 66, soit 9 %).

Les playtesters ont mis en exergue deux sources de déséquilibre : le set up des équipes et leurs axes de développement.

4) Regret de la dissociation entre les inventions et les époques (n = 44, 6 %)

C’est un fait, les inventions du prototype n’avaient aucune cohérence avec leur époque d’apparition dans le jeu.

5) L’absence des femmes (n = 38, 5 %)

AAArrrggghh, un sujet politique donc potentiellement polémique. Il n’y avait en effet aucune femme dans le prototype. De plus, il faut bien l’avouer, la seule femme que nous avions initialement prévue était Marie Curie.

6) L’absence d’informations biographique concernant les personnages (n = 36, 5 %)

5 % des joueurs expriment le regret de ne pas voir apparaître d’informations sur les inventeurs qu’ils sont appelés à jouer.

Les solutions et leurs mises en place

Les points 1 et 2 partagent une racine commune : la perception d’une trop faible rentabilité du développement des personnages. Mais tandis que le point 1 met l’accent sur la frustration de ne pas pleinement pouvoir user de leur puissance nouvellement acquise (donc de librement user de leur fonction de moyen) le point 2, lui, pose la question des points de victoire récompensant le développement de chaque inventeur (donc de leur fonction de finalité). C’est selon moi cette ambivalence fonctionnelle (les personnages sont tout à la fois un moyen et une fin) qui fait en grande partie la technicité du jeu. Elle oblige en effet le joueur à savamment résoudre la question de l’optimum de développement au-dessus duquel les actions qui sont allouées à la progression se révèlent avoir une rentabilité marginale décroissante. Or, l’observation empirique de la réalité de la pratique du jeu par les playtesters (pratiquée systématiquement au cours des sélections régionales) nous fournit une explication partielle à cette perception : nombre de joueurs échouent à résoudre la question de l’optimum en cumulant deux erreurs de timing dans le jeu de leurs personnages.

La première erreur consiste à trop temporiser le moment du réveil de ses personnages, notamment lorsque le joueur dispose de personnages développés. La seconde consiste à thésauriser trop longuement ses jetons de progression et donc à abaisser la rentabilité des actions qui ont conduit à leur acquisition.

Pour autant, nier l’existence de cette perception et en reporter l’intégralité de la responsabilité sur une erreur de jugement d’une partie des playtesters se révèlerait être une faute de gamedesign. Dans une discipline qui flirte si fortement avec le goût, les représentations sont toutes aussi importantes que le réel. Aussi des ajustements ont été réalisés : les cartes Inventions ont toutes vues leurs PV dégradés d’un point. Désormais, chaque invention rapporte un nombre de Points de Victoire strictement égal à l’époque de sa création. Par ailleurs, la quantité de ressources nécessaire à la réalisation d’une invention s’est vue croître. Ainsi elles sont respectivement de 5/7/9 au lieu de 5/6/8 pour les époques I, II et III, de façon à augmenter l’impact du développement sur le système de majorité. Par contre, il n’y aura pas de quatrième époque dans le jeu car elle changerait fondamentalement la façon de jouer et transformerait trop brutalement la durée de jeu que je souhaite pour Les Inventeurs.

Le point 3 est purement factuel. Les équipes du prototype étaient effectivement déséquilibrées. L’une était clairement plus faible que les autres dans son équilibrage (chacun de ses inventeurs y débutait avec une unique compétence de niveau 2). Et plus globalement, les axes de développement des différentes équipes avaient des probabilités de réalisation trop diverses. Tout a été corrigé grâce à un petit algorithme très simple, qui attribue à chaque développement une valeur en fonction de sa probabilité de réalisation. Ainsi, alors que les probabilités de développement divergent fortement d’un personnage à l’autre, les collectifs de personnage que sont les équipes, ont tous un coût global de développement identique. C’est donc désormais au joueur d’établir sa stratégie de développement la plus rentable en fonction des éléments qui constituent son équipe.

Le point 4 fut très aisé à corriger. Les inventions du prototype étaient de toute façon temporaires et n’avaient encore fait l’objet d’aucun travail d’illustration. Désormais, chaque invention correspond à son époque. Par ailleurs, les numéros de série des brevets ont eux aussi été thématisés. Chacun correspond maintenant à une ligne thématique qui évolue époque après époque (armement, communication, transport…).

Le point 5, l’absence des femmes, nous a posé quelques problèmes. En effet, le jeu se veut familial et grand public. Il nous semblait donc important que les personnages incarnés soient tous très connus. En outre, il semblait tout aussi important que les caractéristiques initiales des personnages, mais aussi leurs axes de développement, correspondent à leur réalité historique. Cela fait donc 3 filtres successifs qui ne laissent que bien peu de place pour les femmes scientifiques, surtout lorsque l'on s’éloigne dans le temps. Nous avons utilisé comme mesure la « popularité » des personnages, l’ordonnancement de leurs référencements Google, pondéré par les volumes respectifs des marchés des pays dans lesquels sera distribué le jeu. Or, force est de constater que les femmes scientifiques arrivent en bien mauvaises positions lorsque l'on ne tient pas compte du genre. Une fois la poignée de femmes scientifiques célèbres isolée, il est bien difficile de la faire coller de façon cohérente avec la distribution des caractéristiques nécessaire au bon équilibre du jeu.

C’est finalement grâce à la résolution du point 6 que nous avons partiellement solutionné le problème. En effet, en incluant dans chaque boîte commercialeun livret biographiquerelatant la vie de chacun de nos inventeurs, il devenait possible d’introduire des personnages méconnus du grand public, et donc de puiser dans ce nouveau réservoir suffisamment de femmes pour assurer la visibilité du genre sans pour autant trop fortement transiger avec la réalité historique. Malgré tout, les femmes ne représentent encore qu’un quart de nos personnages. Mais, même si ce n’est pas une excuse, il est important de souligner que c’est bien plus que la place insignifiante que leur a laissé l’histoire des technologies.

Le Print 'n Play du prototype

Le Print ‘n Play que nous avons mis à disposition ici clôt l’expérience. Bien qu’encore à l’état de prototype (il n’y a ni travail de graphisme, ni travail d’illustration) l’ensemble des données qu’il contient est finalisé. Toutes les modifications réalisées à la suite des retours du championnat et discutées plus haut y ont été mises en œuvre et testées en interne. Bien qu’assez long à réaliser, il faut compter 3 h de travail par prototype, cela reste très faisable (j’en ai moi-même fabriqué 75). Il devrait permettre à chacun de juger de l’intérêt du jeu et de son adéquation avec ses goûts propres et ceux de son ou ses groupes de joueurs.

Il n’est jamais aisé de dévoiler ainsi publiquement un jeu encore non édité et qui plus est non illustré. C’est s’exposer à un potentiel rejet de la part du public le moins à même de se projeter sur ce que donnera la version commerciale une fois illustrée et dotée d’un matériel de qualité industrielle. Ce faisant, c’est prendre le risque de voir l’implantation du jeu mise à mal par un bouche à oreille négatif. Aussi, si nous prenons malgré tout le risque de dévoiler ainsi le jeu, c’est parce que nous croyons que ceux qui feront l’effort de réaliser le P ‘n P auront suffisamment d’expérience de la chose ludique pour être à même d’opérer le distinguo entre un prototype et sa version commerciale, et ce faisant, seront parfaitement capables de ne juger que des seules qualités des systèmes sans être influencés par l’esthétique « Power Point » actuelle. Quoi qu’il en soit, dans quatre mois le jeu sera disponible et nous saurons alors si nous avons bien fait…

En attendant, il vous suffira de cliquer sur cette phrase pour avoir accès au mode d’emploi ainsi qu’à tous les fichiers nécessaires à la réalisation du Print ‘n Play.

Frédéric Henry

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Entrée intéressante sur l’analyse des tests d’un jeu et de son impact sur son évolution . Ce fut un vrai plaisir d’y jouer au PEL (je n’sais pas s’il avait déjà été modifié à l’époque mais le gagnant de notre table avait alors misé sa tactique sur la progression des inventeurs) et j’attends, du coup, avec impatience sa version définitive.

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Salut. Le proto du PEL était deja partiellement révisé et tres proche de la version actuelle.

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C’est marrant d’imaginer un jeu dans lequel les inventeurs seraient remplacés par des auteurs de jeux de société.
La carte Bruno Cathala aurait le pouvoir de donner un bonus à tous les autres auteurs, Fred Henry celui de réinvestir intégralement son pécule dans le projet suivant, etc.

Merci de partager ces réflexions, c’est enrichissant.

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J’ai fait 2 parties sur le proto envoyé dans le cadre du championnat et je n’ai vraiment pas accroché, et mes camarades de jeux non plus d’ailleurs. C’était des parties à 5 joueurs et je me demande si ce n’est pas une part du problème. En effet, une invention pouvait apparaitre et être terminée avant même que le tour d’un joueur vienne, ça nous a vraiment refroidi. Il n’y a pas eu d’autre retours sur les parties à 5 joueurs ?

Histoire de goûts. La config 5 joueurs est ma préférée.

Merci pour ce P’n’P, j’ai eu l’occasion de faire 3 parties sur le proto initial, je retrouve dans les points énoncés (1, 2 et 3). Pour le point 4, je pensais carrément qu’il n’y avait pas de femmes : Curie pouvant aussi évoquer Pierre (aussi nobelisé…) :wink:
Mais franchement Hildegard Von Bingen (vu dans la règle) ??? Une “religieuse bénédictine mystique” (sur Wikipedia)… Là je préfère pas de femme du coup… Bref je suis pas fan c’est pas grave.
Sinon : sur le P’n’P il n’y a que 18 inventeurs, c’est fait exprès ou ?

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Non c est qu il manque un fichier. Nous allons corriger cela au plus vite.

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Et merci d avoir pris le temps de lire l article. Je me rends compte en le relisant qu il est sans doute trop long.

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Bah c’est la moindre des choses :wink:

Hildegarde Von Bingen : “Elle consigne, entre autres, ses connaissances en matière d’hygiène et
d’alimentation et dresse une étonnante ébauche de la physiologie humaine.
Elle préconise, par exemple, l’emploi de farine d’épeautre pour ses qualités
nutritives, fait aujourd’hui avéré ; elle encourage la consommation de fenouil,
de châtaignes et de légumes, qu’elle oppose à l’abus de viande (bien en avance
sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé).
Dans une démarche similaire, Hildegarde de Bingen relie les états émotionnels
à la santé physique, non sans un aspect spirituel propre à son environnement
et à son époque. Elle insiste sur l’importance de l’action des organes, ce qui est
alors une idée très novatrice.
Ses travaux sur la santé rencontrent un grand succès aux xiie et xiiie siècles. En
2012, sainte Hildegarde devient la quatrième femme à être proclamée docteur
de l’Église.”

Jeanne d’Arc aussi avait un côté mystique, est-ce pour autant qu’on doit l’enlever des livres d’histoire ?

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je n’avais pas trop suivi ce jeu jusqu’à maintenant, mais je vais m’y intéresser de plus près :slight_smile:
Merci pour cet article “technique”, qui démontre à la fois le sérieux et l’écoute de son auteur

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Il y avait une coquille dans le comptage des points de victoire. Le fichier a été corrigé et est à jour sur le serveur.

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Petite question concernant la version 2 joueurs : à la lecture des règles il n’y a aucun changement si ce n’est le nombre d’inventions disponibles qui dépend du nombre de joueurs.
La question est sur l’intérêt du jeu à deux (parce que personnellement, je ne joue quasiment qu’à deux avec ma femme, les soirées jeux à plusieurs se faisant relativement rares…) : ça se passe bien ? ça conserve son intérêt ? ou au contraire, on fait “ce qu’on veut” sans trop être inquiété par le joueur adverse ?

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Cher Monsieur,

J’aime assez cette nouvelle forme de “participatif”, finalement… Il est fort ce Monsieur Fred, ils sont forts chez Bombyx ! ;o)

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@fred henry, j’apprécie vos jeux et j’attend avec impatience de voir ce qu’il en retourne pour les Inventeurs .
Cependant, et avec toute ma sympathie, j’ai carrément été refroidi par le chapitre “Les solutions et leurs mises en place”.
Déjà on se demande si on parle de jeu ou d’une thèse sur la variabilité temporelle de l’émission des trous noirs. J’ai relu certaines phrases plusieurs fois et à la toute première lecture, au sujet des points 1 et 2, j’ai compris que c’est parce que les joueurs n’ont rien saisi à la profondeur du jeu… o_O

Encore une fois je regarde de loin car je suis tout de même intéressé par ce titre, mais je ne connais pas les règles, ni joué à fortiori.
Je veux juste dire que de mon point de vue externe ça me parait très laborieux et peut être que ce genre de communication relativement “compliquée” ne sert pas du tout le jeu.

Bonne suite pour le développement !

Alors le jeu est très différent selon le nombre de joueurs. A deux le point le plus important à maitriser est le timing de réveil des personnages (quand se revele t il plus judicieux de passer son tour pour reveiller ne serait ce qu un personnage plutot que de poser). Perso je prefere le jeu nombreux mais Cyril d Ystari (Karis) prefere le jeu à deux où il excelle (8 parties et 8 victoires) car il ne souffre d aucun parasitage d une tierce personne.

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Vnabet. Je m en rends compte en relisant. Le but etait d exposer le plus factuellement possible la procédure que j ai suivi pour cette expérience grandeur nature. J essai d explorer des pistes avec plus ou moins de succès. Pour le point precis de l “echec d une partie des joueurs” c est lié à un manque d explication de ma part. Pour moi il avait toujours eté clair que l objectif absolu etait la récupération des brevets. Le developpement des personnages n en était qu un moyen. Or, en observant la pratique des joueurs je me suis rendu compte qu il y avait une volonté que ce developpement soit une “stratégie” de jeu à part entière.

Le financement participatif à la côte et la création participative aussi !

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Salut.
Je dois être un peu bête, ça ne marche pas chez moi. J’ai bien un pdf de dix pages avec instructions de montage, mais aucun élément de jeu à télécharger (ni la règle, ni les tuiles).
C’est moi ou bien ? Merci pour votre aide, les amis ! :slight_smile: