Le secteur ludique change. Des bouleversements visibles. D’autres moins. Kickstarter est une révolution en marche. On le dit. On le répète. Mais cette révolution est comme un iceberg. Il y a la partie visible. Celle qui s’étale. Celle qui s’expose. Qui remplit les forums de Tric Trac. Les conversations de salon. Celle qui excite les joueurs passionnés. Qui séduit les éditeurs. Qui inquiète les boutiques. Les distributeurs. Mais sous l’eau, il se passe des choses. Aussi. Beaucoup. Des aléas qui ont des répercutions en surface. Des décisions, parfois microscopiques, commencent à provoquer des ondes qui vont se transformer en vague si cette « révolution » ne redéfinit pas son cadre. Ne les expliquent pas.
Le profil KS.
Il suffit de lister les projets ludiques les plus fameux. Ceux ayant levé un maximum d’argent sur les plateformes de financement participatif. Enfin, sur Kickstarter. Surtout. Et l’on va s’apercevoir que la majorité reposent sur le même type d’offres. Des figurines. De la fig. De la figouzes. Plein. Encore. Plus. On en est même arrivé à parler de projet « Kilo Plastic ». Stretchgoal sur Stretchgoal. Palier après palier. Les boîtes se remplissent de hordes de figurines. Ho oui. On veut un gros colis. On en veut pour son argent. Et on en a pour son argent. Cool Mini Or Not est devenu le maître étalon. Le modèle précurseur du KS type.
Du délais.
On en a pour son argent quand le projet arrive. Et il faut être patient. Car entre le moment où un projet se lance et celui où vous allez pouvoir respirer la bonne odeur du plastique, il peut se passer un moment. Un bon moment. Voire un très long moment. Un moment encore plus long que le plus long des délais annoncés. De ceux qui mettent tout le monde en colère.
Vous l’avez sans doute remarqué si vous êtes un « pledgeur compulsif » de longue date. Ces délais - entre le financement et la livraison - ont subi des variations. Au début du commencement, rien n’était vraiment sûr. Il faut dire que les premiers lanceurs de projets utilisaient le système du participatif pour financer leur propre jeu. Leur bébé. Sans avoir été éditeur. Avant. Sans même savoir comment cela pouvait se passer. Réellement. Les délais annoncés étaient alors assez aléatoires. Le porteur de projet n’ayant pas vraiment idée des process de fabrication. Des embrouilles de production qui pouvaient lui tomber dessus. Mais cela passait. La nouveauté du propos. L’empathie de l’auteur qui demande de l’aide. On pardonne.
Puis, sont arrivés les projets tout bien pensés. Millimétrés. Ceux portés par des habitués de marché. Des éditeurs. Pour de vrai. Des gens qui savent que les boites peuvent se retrouver dans des containers bloqués en pleine mer par une avarie de supertanker que même la meilleure volonté du monde ne débloquera… Sauf si on s’appelle Magneto. Mais, paradoxalement, ces fameux délais se sont (un peu) raccourcis. Ces porteurs de projet lançaient leur KS une fois que tout était prêt. Règle rédigée. Mise en page faite. Devis établis. BAT sur la table. Bref, le porteur n’avait qu’à appuyer sur le bouton de production pour mettre les machines en route une fois l’argent encaissé. Et les délais annoncés, miracle, étaient plus court et - presque - respectés.
Des Succès.
Seulement voilà. Il y a les succès. Oui, les succès. Celui du secteur ludique en général. Celui du financement participatif. Et, surtout, le succès du jeu avec figurines. Oui. La figurine envahit le ludique. Elle n’est plus l’apanage du jeu de baston améritrash avec des dés dedans. Non. Il suffit de regarder un jeu comme « Fourberie » chez Bombyx pour s’en rendre compte. Et c’est là que la catastrophe arrive. Là. Au loin…
Mais pourquoi mon jeu que j’ai payé il y a 1 an n’est pas encore sur ma table ?! Nom d'une pipe de bon sang de bois !!
Du retard.
Force est de constater que la grogne monte chez les pledgeurs. De plus en plus. Mais c’est finalement leur faute. Oui. Vous pledgez trop ! Arrêtez !!!! Quoi qu’est ce que je raconte ?! Quoi je déconne ?! Quoi j’exagère ?! Non. Je vous explique.
Tout tient dans le rapport qualité / prix. Quand on propose un jeu à 100€ avec 500 figurines, il va falloir le meilleur rapport qualité / Prix. Parce que le joueur est exigeant. Il veut du beau. L’éditeur, lui, veut du beau et du rentable. 99% des figurines sont donc faites en Chine. Parce que les meilleures offres sont en Chine. Parce que les meilleurs fabricants sont, en fait, quasi tous en chine. Seulement voilà, mon bon Monsieur, ma bonne Dame, des usines, en Chine, des usines qui assurent, il n’y en a pas 50. Non. Figurez-vous qu’il y en a très peu. Et que ces usines sont… débordées. Dépassées. Elles n’arrivent plus à fournir.
Pour décrire la situation, prenons un exemple. Un projet KS partant sur un minimum de X€ pour faire 5.000 boites avec 100 figurines dedans. Les gars ont bien anticipé la production en se disant qu’ils vont atteindre autour des 300%. Au final du dernier jour, voilà que le bouzin explose. 900%. Dingue. Magique. Joie. Malheur. Il avait prévu 1,5 millions de figurines, il en faut 4,5 millions ! La production va demander plus de temps. Le transport va peut-être se faire sur plusieurs bateaux. Et ne parlons pas des envois. Cela en fait des paquets. Des colis…
Si ce type de projets, de réussites, étaient rares, cela irait. Mais ils sont de plus en plus nombreux. Pire. J’attire aussi votre attention sur le succès planétaire des jeux avec du Star Wars dedans. Ils ne sont pas en mode « participatif ». Certes. Mais à votre avis, où sont fabriqués les magnifiques vaisseaux de « Armada » ? Ceux de « Impérial Assault » ? Pas dans la Silicon Valley. Non. Mais en Chine. Oui.
Rajoutez là dessus que les sculpteurs, les fabricants de moules, la fournisseur en matière première, etc. ne sont pas des milliers sur la place et vous commencez à comprendre le malaise.
A la chaine.
Finalement. Il doit se passer quoi dans ces usines. A votre avis. Quand il y a un problème de production sur une ligne. Quand l’agenda est remplit sur les 6 prochains mois. Quand on ne veut pas perdre la face. A votre avis. Il doit se passer quoi dans les couloirs feutrés des salons internationaux, lors de repas de négociations. À votre avis. Il se passe quoi quand un très gros client discute avec un fabricant, un directeur d’usine… Qu’il lui demande si ce n’est vraiment pas possible de faire un effort sur le délai ? De passer avant lui là. Où lui plutôt… Oui. Elle est comme ça la vie. Rude. Vous feriez quoi vous ? Si vous étiez le patron, vous voudriez entrer l’argent des salaires de vos employés. Si vous étiez employé, vous voudriez que votre patron fasse ce qu’il faut pour entrer l’argent des salaires. Normal.
En ce moment, c’est la folie chez les fabricants. A tous les niveaux. C’est Dallas. Ça se bouscule au portillon. Il faut jouer des coudes. Il faut faire appel à des techniques ancestrales afin d’optimiser tout cela en votre faveur. Vous avez la technique des yeux doux. La technique du réseau de connaissance. Celle de l’amitié. Celle du retour d’ascenseur. Celle de la pression. Celle de l’intimidation. Celle de la menace. Celle de la motivation du projet dingue qui va vous épanouir en changeant, en plus, le monde. Et vous avez l’arme absolue. La technique des techniques. Celle des yeux doux de l’amitié du réseau avec un retour d’ascenseur pour un projet dingue avec de l’intimidation de menace à pression d’épanouissement dedans en, bien sûr, changeant le monde. Celle là, ils sont très peu nombreux à la maîtriser…
Du business.
Oui, il est en train de poindre un vrai gros problème avec l’un des maillons important. Celui de la production. Celui de la fabrication des figurines. Trop de demandes. Pas assez d’usines. Et là, vous vous dites qu’il y a un truc à faire. Oui. Un bon business. Monter une usine de fabrication de figurines. Haaaa, la bonne idée. Qui se lance ? Pas moi. Vous vous souvenez du passage sur le rapport qualité / prix. Qualité est un mot important. On ne s’improvise pas fabriquant de figurines. Non. Prix est un mot important. être compétitif n’est pas simple. On ne s’installe pas en Chine, on embauche pas de la main d’oeuvre en claquant des doigts. Si c’était aussi facile, vous imaginez bien que les usines existantes auraient déjà grossis, installé des chaines supplémentaires. Si c’était aussi facile, des entrepreneurs malins seraient déjà sur le coup, en train de monter de nouvelles structures. Mais ce n’est pas vraiment le cas.
De la conclusion.
Les porteurs de projets participatifs vont devoir revoir leur copie, analyser la situation et intégrer cet état de fait s’ils ne veulent pas subir l’ire (justifiée) des joueurs qui ont mis la main à la poche et qui attendent ce pour quoi ils ont payé. Il va falloir que les pledgeurs se rendent compte que les délais sont souvent un mirage. Et que, peut-être, ce n’est finalement pas très grave. L’important est que le jeu arrive à un moment et qu'il tienne ses promesses ludiques. Il va falloir que KS mettent en place des outils pour que ces histoires de délais soient plus claires, appréhendées au moment de la création d’un projet. Sinon, nous allons nous retrouver avec des forums plein de rancoeur, de colère et c’est dommage pour ce qui est un loisir qui n’est là que pour passer du bon temps autour d’une table.