Carnavalesque : le papiépotache carnavartistique

[Carnavalesque]

Le secteur ludique conserve encore et toujours la marque de projets inattendus et sympathiques. C’est par exemple le cas de la création du jeu Carnavalesque et son un cadre artistique et associatif.

Le papotache pas vidéo

Pour la rédaction de la chronique du jeu Carnavalesque, sortie en parallèle du présent article, nous avons réalisé par mails interposés une petite interview de Juan Rodriguez et Simon Havard, les auteurs du jeu. L'échange devait simplement servir à la narration de l'histoire et des cordes de la réalité qui sous-tendent la genèse du jeu ainsi que son message. Mais celui-ci nous a paru suffisamment riche et intéressant pour vous proposer, comme dans les temps anciens d'avant la radiophonie, un second article reprenant, au propre, notre disparate interview.

De cette conversation informelle, ainsi que d'un petit texte blog de Monsieur Juan, dont il m'a gentiment transmis la réplique, voici donc jaillir un petit papiépotache, remis au propre et au neuf, de Monsieur Juan et Monsieur Simon, traitant de la création toute particulière de Carnavalesque :

Carnaval de questions

Winzenschtark : Carnavalesque est un jeu issu d'une résidence d'artiste, projet proposé par l'association culturelle tourangelle Courteline. Comment Courteline vous a-t-elle débusqué pour ce projet ? Faisiez-vous parti d'un pool d'auteurs, l'un a-t-il contacté l'autre ?

M. Juan & M. Simon : Ce n'est pas tout à fait par hasard, l'association et ces animateurs se servent beaucoup du jeu de société comme outil de rencontre, de cohésion et d'égalité. C'est assez naturellement que la décision d'orienter la recherche de résidence dans ce sens a été prise. Nous n'étions pas des inconnus pour les membres de l'association. Nous avons plusieurs fois participé à des week-ends jeux qu'ils organisaient, en tant qu'auteurs et aussi en tant que joueurs. Ils nous ont contactés et proposé cette résidence commune. C’est donc bien l’association qui nous a choisis.Tric Trac

Winzenschtark : Comment avez-vous réagi à cette idée plutôt rare et sympathique de clairement placer la création d'un jeu dans un cadre artistique ?

M. Juan : Après avoir vécu deux résidences à Toulon, organisées par l'association Les Yeux dans les Jeux etLe Palais des Jeux, avec Philippe des Pallières la première année et avec Julien Prothière la seconde, je n’étais pas particulièrement surpris. Nous avons donc accueilli cette proposition de résidence artistique comme une évidence. Enfin des gens qui dans leur démarche appliquent la simple logique : s'il y a création il y a art. C’est vrai que ça fait plaisir que ce pour quoi on milite arrive avec cette évidence, sans questions, sans justification. Nous nous sommes dit que ce type de situation ne se représenterai pas tout les jours.

M. Simon : Je vais répondre à ta question par une pirouette en forme de question : "les formes d'expressions artistiques sont-elles des jeux?" Prenez vos stylos, je récupère les copies dans deux ans.

W : Quel a pu être l'impact de ce cadre sur votre travail ?

M. J & S : La responsabilité était plus importante que dans d’autres circonstances. Les membres de l’Association Courteline ne sont pas des professionnels du monde du jeu, donc le filtre de l’éditeur n’existe pas. En principe, celui-ci calibre, évalue, ajuste, repense, etc… la création de l’auteur pour en faire un objet commercial. Tout cela et d’autres aspects nous incombaient, et curieusement, nous ont libéré. Comme quoi les aspects commerciaux sont bien un carcan qu’on accepte. Le fait d’être pleinement responsable de tout, donne une vision plus claire et une sensation de liberté très appréciable.

W : [Là, du coup, j'ai envie de creuser la question vers deux points : le temps tout d'abord, et ensuite le cadre foncièrement artistique revendiqué] La contrainte de la résidence d'artiste pousse à aboutir à une création en un mois. Cette deadline génère-t-elle du stress, des heures sup', une motivation folle, un travail génial sans heures ?

M. J : As-tu déjà rencontré un artiste qui crée à heures fixes ? La création de ce jeu c’est fait en trente ans, 6 mois et quelques heures. La motivation était très forte et les enjeux quasi inexistants, donc gigantesques, vis à vis de ceux qui confient en nous.

M. S : La création proprement dite de ce jeu s'est étalée de Novembre 2017 à Juin 2018 (la sortie) lors de plusieurs séances de travail, dont l'organisation dépendait de nos agendas respectifs. Donc la création ne s'est pas faite que pendant notre présence à Courteline, même si les bases ont été posées à ce moment là. Le travail d'illustration ayant commencé en Avril (je crois) en parallèle des derniers changements de règles. Tout ça pour dire qu'on avait plus qu'un mois, mais que le délai était court malgré tout. D'ordinaire, si on excepte les jeux de commande, un jeu ne naît pas avec une deadline attachée à la patte (autre que celle que lui attache éventuellement l'auteur pour se motiver), et la période de création peut s'étaler le temps nécessaire à son épanouissement. Là, la deadline préexistait, et donc il fallait trouver rapidement la ou les idées de base définitives, puisqu'on pouvait difficilement revenir au point de départ ou laisser reposer le jeu si on le jugeait trop faible au bout de quelques mois. Une fois ces idées de bases choisies, il fallait faire avec et les emmener au bout! C'était un peu stressant, mais du fait que nous avions, je pense, tous les deux confiance en nos capacités à trouver des idées et à rebondir, c'était surtout grisant (prenez quelques instants pour vous figurer des auteurs en train de rebondir pour avoir des idées).Tric Trac

W : Le cadre plus libre et clairement arty vous pousse-t-il à vous poser des questions que vous ne vous posez pas, ou à défaut pas de cette manière, d'habitude (par rapport au thème, aux émotions, sensations, idées véhiculées par le projet) ?

M. J : Je ne crois pas que fondamentalement l’approche artistique clairement revendiquée du projet change quoi que ce soit à notre façon de créer. Cela fait partie intégrante de notre démarche et j’ai pour ma part toujours les mêmes ambitions, même si parfois certains choix éditoriaux peuvent affaiblir le propos d’origine.

M. S : Ce qui changeait ma manière de faire ne venait pas du cadre artistique. Qu'est-ce que je veux faire passer comme sensations, comme idées ? Quels sont les outils, les moyens dont je dispose ? Quelles sont les contraintes? Y a-t-il des chemins à défricher ? (...) Je me pose ces mêmes questions centrales, peut importe le medium utilisé. C'est la manière de répondre à ces questions qui va varier selon le medium choisi, ainsi que des questions spécifiques qui y sont liées, mais qui, à mon avis, ne changent pas les questions profondes, essentielles, qui sous-tendent la création. En réfléchissant à ta question, j'ai identifié trois choses qui changeaient ma manière d'aborder la création pour ce jeu :

  • La première était celle de travailler à deux auteurs, expérience stimulante qui amène à prendre des chemins qu'aucun des deux n'aurait pris d'ordinaire mais qui, au final, les reflètent malgré tout (là, pause pour imaginer des genres de miroirs-chemins).
  • La deuxième était celle de penser le jeu pour un public, celui de l'association, dont je ne faisais pas partie. Habituellement, je créé des jeux autour de mes envies en essayant d'y laisser de la place pour les autres. Là il fallait penser un jeu pour d'autres en y laissant de la place pour nous. Il y avait donc un équilibre différent à trouver.
  • La dernière était la liberté du cadre. Nos contraintes se résumaient à un budget, une date de remise du jeu, et le respect de l'association. Autant dire qu'il y avait de la place. Et donc un risque de partir dans tous les sens. Encore une fois, c'était surtout stimulant et, au vu des réactions, je pense qu'on ne s'en est pas si mal tirés.

W : Justement, ce cadre en-dehors des circuits offre-t-il une nouvelle permissivité (je pense par exemple à la présence plutôt fun de cotillons dans la boîte) ?

M. J : Il est clair que d’être hors des circuits traditionnels de l’édition de jeu permet toutes les fantaisies économiquement réalisables. Il aurait été dommage et je dirais même dommageable que cette création se plie à des contraintes qui n’auraient été que dans nos têtes. L’idée d’inclure des cotillons dans la boîte n’était que le prolongement naturel de la création. Habituellement ce type d’idée est écartée dès qu’elle se manifeste et n’est souvent même pas formulée. Et là, incroyable, non seulement on peut l’envisager mais de surcroît cette idée a réjouit tous les intervenants comme les joueurs ! C’est magique !

W : Comment Bony se retrouve-t-il pris dans la boucle, pour pondre aussi rapidement et efficacement les illustrations du jeu ?

M. J : La problématique de l’échéance a commencé à se poser. Le choix de Courteline était que le jeu soit « livré » dans son état définitif pour leur fête de fin d’année, le 30 juin. Il nous fallait un dessinateur, nous avons rapidement choisit, Simon et moi de proposer Bony. Il présentait pas mal d’avantages au vu de la situation. Il n’était pas très loin, nous nous connaissions bien et avions un peu travaillé ensemble, il pouvait aussi traiter la maquette. Nous avons pensé qu’artistiquement son style correspondait, le côté naïf de ses personnages et ses couleurs chatoyantes, sans compter sa force de proposition et sa qualité d’écoute (bon là j’arrête !). Le délai était court, mais Bony disponible et très réactif. Nous avons eu beaucoup d’échanges et l’avons fait jouer au prototype avant qu’il ne commence. Il a vraiment apporté au jeu un supplément de fraîcheur et quelques idées farfelues. La direction artistique était je crois assez claire, mais extrêmement libre, je crois que Bony n’en est pas encore tout à fait remis de cette liberté !Tric Trac

Bony, cherchant à garder l'anonymat au FLIP 2018 en portant son masque connu de tous.

W : Quel est l'avenir de Carnavalesque ? Bénéficiera-t-il d'un autre tirage à plus grande échelle ? J'ai vu qu'il était aussi disponible en PnP, quel est votre point de vu sur ce geste ? Monsieur Simon m'a confié pendant le FLIP que vous envisagiez développer le jeu et ses mécaniques sous une autre forme, pour le glisser dans le circuit classique. Avez-vous des pistes, des idées précises de ce que vous souhaiter modifier, transformer, améliorer ?

M. J & S : Pas de tirage à plus grande échelle ! Nous avions décidé avec Courteline que cette démarche pouvait être un exemple de ce qu’il est possible de faire quand on se permet ses envies ! C’est ce qui nous à incité à créer un Print and Play et à déclarer le jeu en Créative Commons. Pour que sa diffusion soit facilitée et sa démarche reproduite ailleurs. Oui nous pensons à développer le jeu sous une autre forme mais il est trop tôt pour en parler, car il nous faut trouver la logique artistique qui fera qu’un autre jeu aura autant de sens que celui-ci. C’est globalement plus la recherche de sens et de geste artistique que nous recherchons plus que de publier un enième jeu.

W : Et de conclure sur vos ressentis finaux quant à cette expérience de création ludique !

M. J : Quand le jeu est arrivé et qu’il a enfin été joué d’abord par les animateurs de l’association qui allaient le faire jouer au public, ça a été un réel succès. L’association avait fait monter la pression en annonçant régulièrement l’avancement du jeu et sa prochaine disponibilité. L’attente était forte et les espoirs n’ont visiblement pas été déçus, à notre grand soulagement ! On a du mal à s’imaginer à quel point tout créateur a besoin de retours et de validation. La création n’est que doute et faire des choix c’est aussi laisser de côté des choses potentiellement intéressantes, donc hésitations et inquiétudes. Alors, quand les joueurs enchaînent les parties sans s’occuper des auteurs présents, ces derniers jubilent ! Puis quelques jours plus tard le jeu a été présenté aux personnes pour qui il avait été conçu et cette même évidence a été ressentie. Aboutissement d’un petit périple tendu mais tellement joyeux de bout en bout, tellement accouché sans aucune douleur ! J’en veux encore des projets de ce type !

M. S : Un cadre générant une expérience stimulante que je souhaite à tout créateur. [Puis d'ajouter :] Je serai ravi de discuter d'avantage de la création en général et des arts en particulier (qui sont probablement des formes de jeux. Mais c'est à discuter...).

Un Grand merci à Monsieur Simon et Monsieur Juan d'avoir pris le temps de répondre à mes questions,
d'envoyer des images, et d'avoir commis un jeu sympathique dans des conditions qui le sont tout autant !

Tric Trac

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Géant !!! Merci beaucoup pour ce sublime entretien (et pour le PNP) !!!

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