La création du jeu La Vallée des Rois (deuxième partie)

La création du jeu La Vallée des Rois (deuxième partie)

Bonjour à toutes et à tous !

Ici Pascal Bernard et P.O. Barome, les auteurs de La Vallée des Rois, un jeu de cartes pour deux dont la sortie est prévue pour fin 2015.

La semaine dernière, nous vous avons présenté notre équipe et les inspirations qui nous ont donné envie de créer ce jeu. Cette semaine, nous allons retracer le développement de La Vallée des Rois de A à Z.

Le démarrage

Pascal :

Au début, on se téléphone, on se voit (coup de chance, nous habitons des villes voisines). Cela commence toujours par une discussion. Nous parlons de films, de reportages, du monde qui nous entoure, d’expositions, de rencontres, et même de choses plus personnelles qui n’ont rien à voir, bref, on « tape la discute » !

Et c’est alors qu’à un moment, au cours de ces vagabondages, une idée de jeu émerge naturellement. Parler est important, même si cela peut prendre quelques semaines ou même quelques mois avant d’arriver à quelque chose de concret. Nous arrivons toujours, par une sorte de « sélection naturelle », à un accord sur un sujet qui nous fait envie mutuellement. Si l’envie n’est pas là, il n’y a pas de jeu.

P.O. :

C’est vrai. Même si, dans le cas particulier de La Vallée des Rois, l’idée est venue beaucoup plus vite ! Début 2009, nous cherchions des idées et nous échangions beaucoup. J’ai proposé à Pascal d’en créer un qui s’inspirerait d’un univers d’aventures comme celui d’Indiana Jones, et il a tout de suite accepté. Comme nous vous le disions la semaine dernière, nous avions chacun nos sources d’inspiration pour un sujet comme celui-ci.

Nous avons donc commencé à nous poser des questions pour construire notre histoire, déterminer l’endroit où se passerait l’aventure, à quelle époque elle se situerait, quels seraient les protagonistes, le but de leurs recherches, etc.

Pascal :

À ce stade, nous n’avons encore qu’une idée, une vague histoire, pas de mécanique ; nous ne savons pas si nous arriverons à en faire un jeu. Et même si c’est le cas, nous savons que cela prendra au moins 2 à 3 ans pour le développer et le porter à maturation, et qu’il faudra une bonne vingtaine de versions différentes avant que nous soyons satisfaits du résultat. Nous ne nous imposons pas de délai, le jeu ne sort que lorsqu’il nous paraît fini.

Le choix des principes de base

Pascal :

Nous avons décidé que ce serait un jeu de cartes pour deux joueurs qui reprendrait les mécanismes des jeux de cartes à collectionner, mais sans achat aléatoire ni construction de decks (paquets de cartes). C’est-à-dire un jeu fermé, mais avec des concepts de jeux de cartes ouverts.

Juste un aparté pour évoquer la différence entre ces deux grandes familles de jeux de cartes et sa conséquence sur l’élaboration des nôtres.

Dans les jeux de cartes dits « ouverts », c’est-à-dire basés sur un système d’extensions successives, comme les jeux de deckbuilding (par exemple Dominion) ou les Living Card Games (jeux évolutifs) comme Conquest ou Le Trône de Fer, il est possible pour les auteurs de corriger ultérieurement d’éventuels déséquilibres présents dans la boîte initiale.

Les jeux « fermés », en revanche, à l’instar des jeux de plateau, n’ont pas droit à l’erreur et doivent être parfaitement réglés, qu’ils soient composés d’une pioche commune ou de deux decks distincts.

(Les jeux de cartes à collectionner comme Magic, Pokémon, etc… sont également des jeux ouverts, mais relèvent d’un cas différent de celui dont je parle ci-dessus, puisque chaque joueur compose librement son deck à partir d’une multitude de cartes. L’équilibrage intervient alors sur le long terme, pour éviter que la puissance et la complexité des cartes n’augmentent de façon incontrôlée.)

L’image mentale du jeu s’est formée au fur et à mesure ; cette vision devait être commune et, pendant des heures, comme des conteurs, nous avons construit le récit du jeu, duquel découlent les mécanismes.

Dans un premier temps, lors de la création d’un jeu, c’est assez flou, des suggestions telles que « j’aimerais un truc de ce genre », « il faudrait provoquer une pression », « lutter contre un timing », « jouer les cartes d’une manière différente de celles qu’on rencontre habituellement », etc.

Nous avons assez rapidement décidé que La Vallée des Rois serait caractérisée par un pouvoir qui ne serait actif qu’un tour de jeu sur deux. D’un point de vue narratif, P.O. a imaginé que ce pouvoir serait conféré à chaque aventurier par un médaillon magique lui rappelant sa vie antérieure à l’époque des pharaons, et que ce médaillon ne cesserait de changer de propriétaire au cours de la partie, comme dans les films d’aventure, où les objets importants passent souvent d’un camp à l’autre, les héros courant après divers joyaux, clés, livres ou objets magiques (rayer les mentions inutiles).

Nous avons ensuite commencé à chercher des héros qui pourraient s’affronter, et les archétypes d’Indiana Jones, de Lara Croft (étant tous les deux de grands amateurs de jeux vidéo, nous avons beaucoup joué à Tomb Raider) et d’un méchant savant allemand se sont imposés. La Vallée des Rois est aussi, en quelque sorte, notre moyen de rendre hommage aux films et aux jeux qui nous ont marqués !

Mais, contrairement à la trilogie des Indiana Jones qui se déroule pendant la Seconde guerre Mondiale, nous avons choisi l’époque des Années Folles, c’est-à-dire les années 1920. J’aime prendre appui sur une époque historique, une bonne documentation, un film et/ou un jeu vidéo pour proposer une autre vision des choses.

P.O. :

Après avoir validé ce mécanisme de médaillon conférant un pouvoir à chaque joueur de façon alternative au cours de la partie, nous avons décidé que les aventuriers exploreraient un temple ou un tombeau. L’Égypte s’est imposée, surtout grâce aux films Les Aventuriers de l’arche perdue, La Momie et, dans une moindre mesure, Le Cinquième élément (séquence d’ouverture).

Pascal :

À l’époque, je jouais également avec mes enfants au jeu La Momie, édité par Ravensburger ; je m’en sers d’ailleurs maintenant lors de mes cours pour présenter à mes étudiants l’exemple d’un très bon jeu familial.

P.O. :

Nous ne voulions pas créer un jeu où chacun progresse dans son coin : les deux expéditions rivales allaient donc « se mettre des bâtons dans les roues » dans leur course au trésor. Les tombeaux seraient truffés de pièges construits par les anciens Égyptiens pour protéger leurs pharaons dans leur dernier voyage, et défendus par des momies gardiennes.

Nous avons décomposé le tour de jeu en deux parties :

- celle où les aventuriers recrutent des personnages pour les aider,

- celle de l’exploration où les expéditions s’engagent dans un tombeau.

Cette distinction a logiquement entraîné la création de deux grandes familles de cartes :

- les cartes de développement jouées hors du tombeau,

- les cartes d’attaque jouées à l’intérieur du tombeau.

(Même si les cartes jouées hors du tombeau peuvent aussi avoir des effets négatifs pour l’adversaire.)

Pascal a mis l’accent sur le fait que nous devions créer des « cartes de camp », c’est-à-dire des personnages possédant des effets logistiques que l’on aurait intérêt à garder d’un tour sur l’autre, et pas seulement des personnages destinés à combattre (les cartes envoyées dans un tombeau étant mises à la défausse à la fin du combat).

Brainstorming, tests et modifications

Pascal :

Lors de cette étape, dans cette ambiance de l’Égypte pharaonique de la vallée des rois, nous avons cherché à définir les sensations qu’allaient éprouver les joueurs. Les idées s’enchaînaient, certaines abandonnées, d’autres gardées. La liste des cartes s’est peu à peu développée. Quand cette première liste nous a semblé assez complète pour permettre de jouer, nous avons réalisé un prototype.

Quelques exemples de cartes de prototype.

D’après mes souvenirs, trois mois ont bien dû s’écouler entre l’idée initiale et le premier prototype. Le mot d’ordre était : simplicité et facilité de prise en main. Il peut y avoir de nombreux pouvoirs et synergies possibles, mais la façon dont on les joue, la structure d’encadrement du jeu, doit rester simple.

Nous avons opté pour une pioche commune plutôt que pour des decks spécifiques à chaque joueur, comme nous l’avions fait dans Alien Menace et dans Opération Commando : Pegasus Bridge, afin de rester dans un côté plus traditionnel des jeux de cartes. Système qui, de plus, était cohérent avec l’histoire : puisqu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux expéditions, il est normal que les joueurs disposent des mêmes cartes.

La première partie est enfin arrivée. Les sensations seraient-elles au rendez-vous ? Quelles frustrations allions-nous rencontrer ? Qu’est-ce qui n’allait pas marcher ? Quelle serait notre ressenti à la fin de cette partie ? Lors d’un test, il faut tout consigner par écrit, aussi bien ce qui fonctionne que ce qui cloche !

P.O. :

Au fil des très nombreuses parties de tests, les mécanismes ont beaucoup évolué, toujours pour éviter la complexité inutile et donc favoriser la jouabilité, sans pour autant appauvrir le jeu. Les cartes ont elles aussi énormément changé, aussi bien au niveau de leur structure de base que des effets et du nombre d’exemplaires de chacune d’entre elles.

Voici quatre exemples d’évolution et de difficultés rencontrées :

- À l’origine, la plupart des cartes comportaient le symbole d’un dieu égyptien qui conférait un bonus de force en fonction du tombeau exploré. Mais cela compliquait inutilement le jeu en entraînant trop de calculs de bonus, qui, finalement, s’annulaient la plupart du temps car ils étaient présents chez les deux joueurs.

- Lors des premières parties, les cartes de pièges et de morts-vivants se jouaient face visible et possédait un coût en pièces, et la phase de combat était lourde et peu intéressante. Nous avons ensuite testé en jouant ces cartes face cachée et gratuitement. Une seule partie a suffi pour nous convaincre que nous avions rectifié le tir.

La pose face cachée et le fait de ne pas limiter la pose de ces cartes à la possession de pièces (contrairement aux cartes jouées pendant la phase de camp) ont créé une phase de bluff et de tension très forte en termes de sensations de jeu, obligeant les joueurs à faire leurs choix en fonction des cartes que pouvait avoir jouées leur adversaire.

- Dans la règle initiale, les papyrus n’en étaient pas, c’étaient simplement des cartes plus puissantes mélangées à la pioche commune, ce qui provoquait une part de hasard trop importante si l’un des joueurs avait la chance d’en piocher plus que son adversaire.

Tout a changé lorsque nous en avons fait des cartes spéciales, distribuées en nombre égal à chacun en début de partie (mais pas dans leur intégralité), avec des dos de carte distincts. La phase de pose des gardiens est devenue très stratégique, chacun devant savoir prendre des risques en fonction de la situation, en choisissant ou non de jouer une ou plusieurs de ses trois puissantes cartes de papyrus.

- La condition de victoire est passée par plusieurs stades. Au tout début, chaque carte tombeau possédait une valeur en trésors (c’est-à-dire en points de victoire), le vainqueur étant celui qui totalisait le plus de trésors une fois tous les tombeaux explorés. Cette option rendait certains tombeaux moins intéressants que d’autres et incitait donc les joueurs à ignorer les « petits » tombeaux pour économiser leurs forces avant d’explorer les « gros », d’où des tours sans conflit. Il fallait donc trouver autre chose.

Avec le deuxième système, la victoire dans un tombeau permettait de lancer quatre jetons possédant chacun une face trésor et une face vide, et d’empocher autant de trésors que le nombre de jetons réussis. Cette fois, les tombeaux avaient a priori tous le même intérêt, mais le problème était ailleurs : récompenser le fait d’avoir remporté un tour de jeu par une valeur aléatoire allant de 0 à 4 faussait complètement le déroulement de la partie, puisqu’un joueur pouvait remporter plus de victoires que son adversaire mais gagner au final moins de trésors, et donc perdre la partie. Sans oublier l’intense frustration lorsque vous n’obteniez aucun trésor à l’issue d’un combat acharné !

Nous sommes en fin de compte parvenus à la conclusion que le système le plus simple était le meilleur : chaque victoire dans un tombeau rapportait un point (symbolisé par la carte tombeau), et le premier joueur qui parvenait à en gagner quatre remportait la partie. Ainsi, tous les tombeaux avaient la même valeur et chacun d’eux comptait. Les joueurs étaient dans l’action dès le premier tour pour éviter de se laisser distancer, même si remonter au score était toujours possible ! Autre avantage de ce mode de victoire : les parties pouvaient être plus courtes, car les sept tombeaux n’étaient pas forcément joués.

Rendez-vous la semaine prochaine pour la fin de l’article, où nous vous raconterons les aléas de l’édition !

En attendant, vous pouvez d’ores et déjà vous rendre sur notre site pour faire la connaissance des quatre aventuriers et découvrir la mécanique du jeu, notamment avec un exemple de tour de jeu détaillé et illustré.

L’adresse est la suivante : vallee-des-rois.com

Et vous trouverez régulièrement de nouvelles informations sur la page Facebook du jeu : www.facebook.com/TaraWolfdanslavalleedesrois

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toujours bien intéressantes ces plongées dans la création...

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