"J'ai rencontré", journal d'un créateur

[Baba Yaga]

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Ce texte a été écrit par l’auteur du jeu.


Etre auteur de jeu, c’est faire des rencontres, des tas de belles rencontres.

Au commencement, j’ai rencontré une idée.

DefaultL’idée de départ est simple : J’ai envie de jouer à un jeu dans lequel un joueur est sous tension car il doit agir vite et bien. J’aime les jeux frénétiques où la réflexion et modulée par les réflexes. Je suis un sportif.

Je décide donc de trouver une mécanique simple où on lutte contre le temps. Je fais des tests sur un jeu de mémoire et de prise de risque, chronométré. Les résultats ne sont pas très concluants : répétitif, paradoxalement un peu mou, pas interactif, difficile. A ce stade, je me dis que ce serait original et plus varié si la pression temporelle pouvait être modifiée en fonction du contexte et de la difficulté de la tâche. J’envisage plusieurs pistes : sabliers de différentes valeurs, un joueur qui décompte, un pivert qui descend sur son mât, des cartes objectif… Au passage, j’essais plein de thèmes différents : des zombies soft, des zombies hard, des voleurs de pièces de musée, des gentlemen cambrioleurs, des ninjas et… des pandas enragés (c’était l’époque du Spiel pour Zooloretto, on voyait des pandas partout).

En réfléchissant avec d’autres auteurs sur le forum consacré à la création de TT, je me souviens d’un jeu d’extérieur appelé par chez moi « le chronomètre ». Dans ce jeu, deux équipes s’affrontent, l’une court en relais pendant que l’autre se passe une balle en cercle pour mesurer le temps. Pour être original et éviter l’éternel sablier, l’idée me vient de transposer cela dans le jeu : un joueur aura une tâche à réaliser (mémoire, prise de risque) tandis que tous les autres s’associeront ponctuellement pour effectuer une autre tâche (adresse), le plus rapide des deux remportant la manche.

Le prototype de « Baba Yaga ».

J’ai rencontré le FLIP en juillet 2010

Je décide de participer au Trophée FLIP Créateurs pour la seconde fois en 2010. L’année précédente, j’avais proposé un jeu qui n’avait pas attiré l’attention du jury, mais cela m’avait permis de bien comprendre ses attentes et de celles du public pour le moins hétérogène du FLIP. Je présente donc « La rébellion des pandas », un jeu dans lequel un joueur fuit des pandas enragés en leurs jetant des objets au museau (oui, c’est un peu spécial comme thème). Mécaniquement parlant, un joueur avait pour objectif de retrouver des objets cachés tandis que les autres faisaient progresser le groupe de pandas en posant un à un des jetons colorés sur un « plateau-chemin », en veillant à alterner les couleurs. Si le fugitif s’en sortait, il gagnait des morceaux de bambou pour calmer les pandas. Et bien croyez-le ou non, ce jeu a remporté un Trophée cette année-là. J’en suis resté moi-même assez étonné. A posteriori, il semble que le jury voulait récompenser l’originalité mécanique et m’encourager à poursuivre le développement du jeu.

J’ai rencontré mes doutes

L’effervescence du festival retombée, j’ai de sérieux doutes sur les potentialités éditoriales du jeu. Même si le jeu plait aux joueurs, le thème est totalement improbable et je constate qu’il y a encore beaucoup de travail de développement. Pendant deux ans, je le démonte complètement, je l’oublie et j’invente d’autres petits jeux en reprenant à chaque fois une partie des mécaniques. Je fais de nombreuses parties, j’explore différents univers. Mais sans trouver de « recette » aussi enthousiasmante que celle de La rébellion des Pandas. Rétrospectivement, je me dis que c’est durant cette période que j’ai testé des tas d’options qui s’agenceront finalement bien plus tard.

En 2011, en me repenchant sur ce proto et pour relancer le processus de développement, je décide de m’accrocher aux idées fortes qui font l’essence de ce jeu : l’asymétrie des tâches poursuivants/fugitif, les bras qui s’entrecroisent (fun) et le chronomètre humain (ça tient à peu de chose, en fait).

Pour renforcer les croisements de bras et les bousculades, je décide d’interpénétrer les deux espaces de jeux poursuivants/fugitif. J’utilise des tuiles pour former une seule zone de jeu pour tous les joueurs. Les tuiles présentent aussi l’avantage de pouvoir moduler le plan de jeu.

Pour améliorer l’ergonomie, j’arrondie les tuiles à retourner pour le fugitif et je remplace les jetons utilisés par les poursuivants par un seul objet préhensible à déplacer collectivement de tuile en tuile le long d’un chemin.

Je garde l’idée phare du chronomètre humain : un joueur agit seul pour réaliser un objectif (retourner les bonnes tuiles) pendant que les autres coopèrent pour ne pas lui octroyer trop de temps (déplacer ensemble un objet le long d’un parcours).

Il me fallait maintenant trouver un bon thème retranscrivant bien l’idée d’une course-poursuite. Un thème familial et original. Au détour d’une conversation sur le forum « de la création » de TT, j’opte pour Baba Yaga, la sorcière unijambiste des contes russes réunis par Afanassiev dont j’avais relu l’histoire à mes enfants récemment. [Au passage, j’en profite pour remercier Balarehir et Œnomaüs pour leurs idées pertinentes qui m’ont menée à cette thématique]. D’autant plus qu’il en ressort une petite idée mécanique très sympa qui va être renforcée dans la suite du développement: les tuiles indiquent au recto un ingrédient et au verso un indice de l’ingrédient, par exemple pour obtenir une plume noire le joueur doit retourner la tuile sur laquelle apparait un corbeau.

De ce thème va découler une dernière mécanique, évidente, en lien avec l’histoire la plus connue de Baba Yaga. Lorsqu’un joueur rassemble les bons ingrédients dans le temps imparti, un sort est déclenché. Ce sort va modifier la place des ingrédients, faciliter la tâche du fugitif ou au contraire ralentir Baba Yaga. J’ai aussi ajouté au dernier moment une nouvelle idée dans le prolongement du fait que l’on réalise des sorts grâce à une combinaison d’ingrédients prélevés dans la forêt: quand un sort est réalisé, on le lance sur un adversaire. Les sorts sont par exemple: jouer avec sa “mauvaise” main, jouer avec une main sur un œil, annuler le sort d’un autre joueur, ingrédient joker etc… »

J’ai rencontré Benoît Forget, l’homme au cerveau violacé

En juillet 2012, je suis membre du jury des Trophée FLIP Créateur au côté du Dr Mops, Mathilde Spriet, Christophe Loyre, Yohann Mallet et Benoît Forget. Comme je suis un petit malin, j’ai dans mon sac un proto de Baba Yaga que je présente à Benoît. Le jeu lui plait. Le hasard faisant très bien les choses, Benoît m’apprend qu’il va monter sa propre maison d’édition (Purple Brain Creations) et qu’il envisage de développer une intéressante gamme de jeux sur les contes ( dont « Les Trois Petits Cochons » de Laurent Pouchain fut le premier volume). Comme Benoît est persuasif et que son projet me branche bien (note de l’éditeur : « et que Benoît est un être doux et sympathique »), il repart avec mon adhésion et mon proto sous le bras.

Dès le mois de septembre 2012, Benoît et moi travaillons d’arrache-pied pour développer le jeu. Vincent Joubert, avec qui Benoît a déjà travaillé sur Le petit Poucet et la forêt mystérieuse, entre dans la partie et nous dévoile progressivement ses superbes illustrations.

Durant un an, le jeu a continué d’évoluer par petites touches au rythme des tests et des retours de joueurs. Les règles multilingues ont été rédigées et testées. Benoît s’est chargé de réécrire le conte en y intégrant subtilement tous les items que l’on retrouve dans le jeu. Le choix du matériel pour la « figurine » de Baba Yaga est mûrement réfléchi mais aussi le fruit d’un beau hasard. L’idée de la matriochka est venue à Benoît alors qu’il entrait dans une boutique de jeu en bois. La forme est parfaite d’un point de vue ergonomique et thématique.

Pour moi, le jeu poursuit et complète l’expérience du conte puisqu’il propose aux joueurs de prendre la place des enfants qui s’échappent de l’Isba de Baba Yaga avec l’aide des habitants de la forêt, poursuivis par son affreuse propriétaire dans son chaudron (mortier) volant.

Fin août 2013, le développement du jeu est terminé. J’adresse un énorme MERCI à tous les intervenants de ce projet collectif qui n’aurait pu aboutir sans un partage d’idées et sans confiance mutuelle (note de l’éditeur : « merci aux belles rencontres, Jérémie et Vincent »).

Maintenant, c’est à Baba Yaga de rencontrer son public.

► La vidéo dans la Tric Trac Tv, c’est par ici !


« Baba Yaga »
Un jeu de Jérémie Caplane
Illustré par Vincent Joubert
Publié chez Purple Brain
Distribution Iello
Pour 2 à 5 joueurs dès 6 ans
Public : Jeunesse et familial
Durée :15 min
Prix : environ 23€
Disponible : depuis le 22 novembre 2013
Langue : français


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