Quand les médias financiers parlent jeux.
Le jeu est un loisir, un truc pour se faire plaisir. Nous évoluons dans un monde de passionnés. Nous aimons jouer. Et comme toutes les passions, certains en font un métier. Parfois sans s’en rendre compte. Parce qu’ils en ont les compétences, les qualités et que tout doucement, ce savoir se monnaye sans même faire exprès. Parfois avec l’envie, la volonté, parce qu’il est toujours bon d’évoluer dans un écosystème où l’on se sent bien. Quand on a les compétences et l’envie, on met toutes les chances de son côté. Peut alors se construire un secteur complet, une industrie.
L’industrie ludique.
Le jeu de société est depuis longtemps une industrie. Les Hasbro et autres Mattel existent depuis belle lurette. C’est vrai. Mais ce n’est pas tout à fait la cour dans laquelle nous aimons jouer. « Nous », c’est le « Core Market » comme disent les pros du marketing. Mais un Core qui a bien changé en 20 ans. Un Core qui a su évoluer, conquérir couche après couche le joueur qui sommeillait au fond de chacun. Et ce secteur Core est devenu plus « Main Stream ». Pour certains c’est un bien, pour d’autres un mal. Il en est toujours ainsi. Pour certains on tire vers le bas, on appauvrie en simplifiant. Pour d’autres on s’ouvre, on touche de plus en plus de monde et c’est sain. Ces différences de ressentis sont le lot de tout ce qui est « culturel ».
En France, un éditeur est l’artisan de cette métamorphose. Avec son nom de démon, depuis 25 ans il a su écouter, transformer, analyser, modeler l’industrie ludique dans laquelle nous baignons, tout en respectant la passion qui les animait. Asmodee est devenu distributeur et il a posé les jalons dans un milieu qui avait sans doute besoin d’une structuration moins… enfin plus…
Le succès, la réussite imposent des changements. On ne gère pas une entreprise amicale de 5 personnes comme on manage une PME de 80 employés. Avec sa vision, son expérience, l’éditeur / distributeur est devenu la locomotive du secteur francophone. Asmodee a grossi, Asmodee a investi, s’installant à l’étranger, en faisant l’acquisition d’entités existantes, des équipes bien implantées pour exporter son savoir-faire et structurer un marché à l’international. Malgré ce développement, l’équipe fondatrice a gardé à l’esprit le secteur Core, celui qui lui a donné le jour. Asmodee a toujours pris soin des boutiques hyperspécialisées, en imposant aux grandes surfaces sa logique qui consiste à laisser d’abord vivre un « produit » dans les petites boutiques avant de le faire passer dans le réseau des marchands de lessive. Ces méthodes sont le fruit d’une vraie réflexion industrielle à long terme. Et cela a marché. Terriblement bien marché. Cette réussite s’est accompagnée d’investissements du genre CAC 40 « ici Jean-Pierre Gaillard à la bourse de Paris » et autres bizness plan. Une vision qui nous fait toujours un peu tiquer, mais que pourtant nous utilisons très souvent, l’air de rien, quand nous optimisons nos coups à « Age of Steam » ou à « Myrmes ».
Asmodee a ouvert il y a quelques années ses portes à un groupe d’investissements, Montefiore. C’est à partir de là que les choses sont montées d’un cran. Et un nouveau palier va être franchi dans quelques jours puisqu’une discussion exclusive est en cours avec Eurazeo, un « accélérateur de transformation » fort d’un capital de 4 milliards d’€uros d’actifs diversifiés ! Ne me demandez pas ce que c’est, je sais juste que c’est un très GROS chiffre. En résumé, cela veut dire qu’Asmodee est racheté par Eurazeo, un rachat de type « on met des sous parce que vous êtes bon et qu’on pense qu’on peut faire des trucs de fous avec de l’argent dedans ».
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Asmodee accélère sa transformation !
L’entreprise est évaluée à 143 millions d’€uros, ce qui n’est pas rien et c’est là qu’on mesure la réussite de cette entreprise qui, je le rappelle, se nommait Siroz et vendait du jeu de rôle à base de baston entre anges et démons dans début des années 90. Eurazeo va mettre 102 millions de fond propre pour booster l’entreprise et l’accompagner pour passer les nouvelles étapes qui l’attendent, à savoir jouer dans la cour des très grands. Et c’est là que certains vont crier « Mon dieu, on est en train de les perdre, l’argent pervertit tout », là où d’autres vont se réjouir du potentiel qui s’offre au monde du jeu. Chez Tric Trac nous sommes plutôt dans la seconde catégorie. Oui. Parce que nous avançons avec Asmodee depuis des années et que nous avons la chance de côtoyer de très près les équipes, à tous les niveaux, de leur parler, de les écouter, de les observer. Même depuis les changements de direction qui se sont opérés début 2013. Je le rappelle pour ceux qui auraient loupé l’information, les membres fondateurs, Croc, Philippe Mouret et Marc Nunes, ont quitté le cocon familial pour s’installer chez les Space Cowboys. Juste pas loin. Et l’âme insufflée par ces 3 là n’a pas quitté les locaux de Guillancourt, c’est d’ailleurs cette âme qui séduit les investisseurs. Lisons plutôt ce que dit Virginie Morgon, Chief Investment Officer d’Eurazeo.
Nous sommes très heureux d’annoncer aujourd’hui cette opération. Nous avons été séduits par la capacité d’Asmodee à identifier et élaborer des jeux malins et innovants, tout en animant intelligemment son marché. Le profil de croissance de la société et son potentiel important de transformation tant en matière de nouveaux produits que de nouvelles géographies répondent entièrement aux critères d’investissement d’Eurazeo. Aux côtés des équipes d’Asmodee, conduites par Stéphane Carville, nous avons l’ambition de faire d’Asmodee un acteur mondial de l’édition et de la distribution de jeux.
Virginie Morgon, Chief Investment Officer d’Eurazeo
Là, c’est de l’ambition ! C’est Hasbro et Mattel qui doivent regarder ça de près… Mais la question se pose. Devenir un acteur mondial, ce n’est pas risquer de perdre cette âme justement. Pour se rassurer, il faut lire la réaction de Stéphane Carville, le Président d’Asmodee. Il dit ceci.
Les équipes d’Asmodee se réjouissent de l’arrivée d’Eurazeo comme actionnaire et partenaire pour les prochaines années, partageant une vision commune pour la société. Nous allons pouvoir, ensemble, poursuivre et accélérer le succès d’Asmodee aussi bien en France qu’à l’international.
Stéphane Carville, Président d’Asmodee
Les mots importants sont « poursuivre et accélérer ». L’idée est donc de continuer la même politique. Mais quelle est-elle actuellement en fait ? On sait que le secteur des hyperspé représente 33% de l’activité. C’est beaucoup. Nous ne voyons donc pas Asmodee laisser tomber les petites boutiques et les joueurs que nous sommes. Et nous avons raison. Pourquoi sommes-nous sûrs de nous ? Parce que nous venons de discuter avec les équipes dirigeantes et le service marketing de la présence d’Asmodee sur Tric Trac, et il est clair qu’ils veulent nous soutenir, qu’ils ont besoin de Tric Trac parce que les boutiques, les joueurs ont besoin de nous, d’un média d’information qui traite du secteur (et de leur conçurent, car cela est sain). Donc leur « investissement » en publicité chez nous est poursuivi et même réajusté à la hausse, afin d’offrir les HD et les avants-premières de leurs vidéos, etc. Cela montre bien que l’idée est de faire entrer ce que nous sommes (joueurs), ce qu’est notre loisir dans des sphères nouvelles, plus large et non de lorgner du côté des trucs qui font « pouet » pour séduire Mamy Claudette.
Les Space Cowboys
Pour s’en persuader, il suffit de voir ce que nous préparent les Space Cowboys et les nombreux studios soutenus par Asmodee. Ils vont certes faire du jeu qui fait « Pouet », voire « Pouet Pouet », mais il est hors de question qu’ils ne prennent plus soin des fondamentaux. En tout cas pour les prochaines années. Après, ne nous voilons pas la face, c’est le monde merveilleux des affaires. Oui. Si le bilan est toujours aussi positif, on les laissera sans doute continuer de gérer la barque comme ils l’entendent. Par contre, s’il y a des ratages, les investisseurs risquent de venir mettre leur nez derrière le paravent pour voir s’il y a un bon équilibre de cubes de blé et de cubes de tissu pour aller convertir tout ça en Cubes d’Or. Mais à ce petit jeu là, on peut leur faire confiance. Assurément. Chez Asmodee, ils savent quand il faut calculer le différentiel et ils connaissent le concept de « point de bascule ». Ce sont des joueurs, des joueurs qui lancent parfois des dès, mais qui ont toujours la petite carte « Bonus » sous le coude au cas où…
Quoi qu’il en soit, c’est fait, nous autres, joueurs, nous ne pouvons qu’observer en espérant que notre locomotive ne déraille pas, mais connaissant les machinistes, on est en pleine confiance. Et puis si cela arrive, ce n’est pas bien grave, on sera toujours mieux qu’en 2000, une époque où les éditeurs francophones se comptait sur les doigts d’une main. On ne connaitra plus, quoi qu’il arrive, le temps où les jeux se trouvaient uniquement en importations en langue étrangère, et tout ça grâce à des passionnés, dont Asmodee…
Chez Tric Trac, nous savons ce qui est important.
Nous avons posé deux petites questions à Stéphane Carville, le Président d’Asmodee, des questions qui nous semblent importantes, ce genre de questions que les médias financiers ne peuvent pas poser et qui pourtant sont essentielles. Oui.
Question : « Avec ce rachat, cet investissement, Asmodee va-t-il finalement se focaliser sur la distribution plus que sur l’édition ? » :
Réponse : A la différence de certains acteurs du secteur qui ont une stratégie basée sur leurs marques, notre stratégie est centrée autour du Produit. Chez nous, le Produit veut dire Jeu de Société. Nos équipes sont composées pour la plupart de personnes passionnées de Jeu de Société et dont l’objectif est d’amener de nouvelles expériences ludiques, nouveaux concepts aux joueurs et ce sans distinction entre jeux édités et jeux distribués. En effet, que cela soit à travers notre périmètre de Studios ou de celui de nos partenaires Editeurs, notre démarche est et restera la même à savoir faire connaître de nouveaux jeux en privilégiant d’abord toujours les petites boutiques ou réseau dit « hyper spécialiste ».
Ce qui est important pour nous est que nous avons la même envie qu’un nouveau jeu réussisse et s’installe à long terme sur le marché que ce soit un jeu édité ou distribué par Asmodee.
Question : « Est-ce qu’il va y avoir une bascule dans l’édition, à savoir Asmodee va faire tout ce qui est grand public et les Space Cowboys plus ce qui est Core ? »
Réponse : Nous avons la chance chez Asmodee au travers de nos Studios d’avoir des lignes éditoriales très complémentaires. Space Cowboys, avec sa liberté de création et d’édition, va significativement renforcer le développement éditorial de jeux de société orientés vers le Core market.
Voilà, je crois que nous avons fait le tour de la chose. Oui. Nous avons la chance d’être au coeur d’une modification d’un secteur, nous pouvons nous réjouir d’être au première loge.
► Le site d’Eurazeo, c’est par ici !
► L’article qui explique les Space Cowboys, c’est par là !
Des Chiffres, parce que c’est très intéressant !
- Marché du jouet -
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Total marché : 2.1 milliards d’euros en 2012, -4% vs 2011.
Asmodee est le 7e intervenant et 1er fabricant français.
Les grandes tendances et produits stars pour la fin d’année 2013 :
- Storio 2 – Vtech
- Gamme Monster High - Mattel
- Gamme Furby – Hasbro
- Gamme Robot Fish - Splashtoys
- Dobble - Asmodee
- Pokémon, principale licence du marché et numéro 1 chez les garçons.
- Marché du jeu -
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Environ 340 millions d’euros en 2012.
Marché flat en 2012. Ce segment subit très peu d’évolutions et reste stable d’années en années.
Les jeux stars du marché :
- Dobble – 800 000 ex seront vendus en 2013. Le jeu le plus vendu en France.
- Jungle Speed : 350 000 ex en 2013
- Times’ up : 380 000 ex en 2013
- Loups garous de Thiercelieux : 120 000 ex en 2013
Sources des chiffres NPD Group et Asmodee
Il y a eu une vague de reprise de l’info par tous les journaux et sites spécialisés en finance de part le monde.