**Tout d'abord un peu d'histoire :**
La première édition de *Vampire: the Eternal Struggle* (*VtES*) est sortie en 1994, et à l'époque le jeu s'appelait ***Jyhad***. C'est suite aux critiques faites sur ce titre et qui lui reprochaient sa proximité avec le jihad islamiste que le jeu a été renommé. Il a été créé par Richard Garfield, l'auteur de *Magic: the Gathering*, et fut tout d'abord édité par Wizards of the Coast. Ce n'est que plus tard que White Wolf en racheta les droits, bien logiquement vu que l'univers du jeu est celui de sa gamme de jeux de rôles du *World of Darkness*, à commencer par Vampire (la Mascarade), dont il va jusqu'à reprendre directement certains éléments (les clans et les disciplines).
*Jyhad* est donc sorti en 1994, en septembre. Il a été le troisième jeu de cartes à collectionner tel qu'on les connaît aujourd'hui, après *Magic: the Gathering* (août 1993) et *Spellfire* (juin 1994). Si *Spellfire* a maintenant disparu, on sait que *Magic* prospère toujours (il en est à sa dixième édition et cumule bon nombre d'extensions). En ce qui concerne *VtES*, il existe toujours bel et bien, et continue à être édité et à voir des extensions paraître de temps à autres. Bien moins médiatisé que *Magic* à cause de son accessibilité plus restreinte, il n'a jamais été traduit en français, mais il a su conserver son public au fil du temps, et l'on y trouvera sans difficulté des joueurs, des forums internet dédiés, et des manifestations (rencontres, tournois, etc.).
Pour la communauté française, vous pouvez par exemple commencer par *Sabbat in France* (www.sabbatinfrance.org).
**Oui, bon alors, ce jeu ?**
*VtES* est à peu près diamétralement opposé à *Magic: the Gathering*. *Magic* était à l'origine un petit jeu de duel (deux joueurs), vite expliqué (10 minutes), et aux parties courtes (10-20 minutes). Ce n'est qu'avec l'apport de pouvoirs de plus en plus variés au fil des extensions que le jeu s'est complexifié pour devenir le jeu très technique qu'il est aujourd'hui.
*VtES* est un jeu plutôt complexe (une bonne demi-heure d'explications), long (1h30-2h) et qui rassemble en général 4 ou 5 joueurs pour une partie ou la technique, mais aussi la ruse, la diplomatie et la négociation auront leur place.
Il s'agit en fait d'un véritable jeu de plateau qui se joue avec des cartes...
**Dans les grandes lignes ?**
Les joueurs incarnent des *Methuselahs*, des vampires très anciens, qui vont prendre le contrôle de plus jeunes vampires (des personnages représentés en jeu par des cartes) pour éroder l'influence des autres *Methuselahs*.
Cette influence est représentée par des *points de sang*. Chaque *Methuselah* en dispose de 30 au début du jeu, et il va en dépenser pour prendre le contrôle de ses minions. Il enverra ensuite ses cohortes pour tenter de faire perdre aux autres *Methuselahs* les points qui leur restent, et/ou les gardera pour se protéger des attaques. Ainsi plus un joueur va dépenser de points de sang dans ses personnages pour se faire un bouclier efficace, plus il sera fragile derrière...
Un joueur qui perd tous ses points de sang se retrouve éliminé et sort du jeu, laissant les autres poursuivre leur guerre d'influence...
**Un jeu de cartes ?**
Il y en a de plusieurs types dans *VtES*. Certaines représentent les jeunes (et un peu moins jeunes) vampires dont les joueurs vont prendre le contrôle. D'autres représentent des équipements, des alliés ou des familiers que ces vampires vont pouvoir acquérir. D'autres encore permettent au personnages d'effectuer certaines actions particulières, comme des attaques spéciales, ou le lancement de référendums, des votes auxquels les joueurs vont participer pour autoriser certains événements ou au contraire les interdire. D'autres permettent aux *Methuselahs* d'agir directement plutôt que par le seul intermédiaire des personnages qu'ils contrôlent. Et enfin les dernières servent pendant les combats : attaques, esquives et autres coups tordus sont au menu.
**Quatre à cinq joueurs ?**
La très grande richesse de ce jeu vient de son aspect négociation/diplomatie. En effet, supposons une partie à cinq joueurs, assis autour de la table dans cet ordre : Anne, Bruno, Christian, Denise, Eric.
Le principe est que chaque joueur a à sa gauche *sa proie*, et à sa droite *son prédateur*. Ainsi Christian doit donc vaincre Bruno, tout en résistant à Denise. Si Christian détruit Denise, c'est à Eric que cela bénéficiera puisque c'est ce dernier qui en est le prédateur. Des alliances vont donc naturellement se faire entre joueurs non directement opposés (Christian va être l'allié d'Anne et d'Eric) : plus Eric va taper sur Denise, plus Christian aura la paix pour s’occuper de sa propre proie.
Mais ce n'est pas non plus toujours aussi simple... Imaginez qu'Eric soit très puissant, et soit en train de mener la vie dure à Denise, qui est donc trop occupée à se défendre pour pouvoir attaquer Christian. Pour ce dernier c'est une situation confortable, mais si Denise succombe, le cercle va se refermer et Eric va devenir le prédateur de Christian. Christian peut donc voir un intérêt à aider Denise à résister quelque temps, afin qu'elle lui serve de "tampon" contre Eric...
**Comment on gagne ?**
A chaque fois qu'un joueur est éliminé, et ce quelle que soit la personne qui l'aura achevé, son prédateur reçoit un point de victoire. Le dernier joueur qui reste en jeu reçoit un point supplémentaire.
Ainsi si par exemple Denise, Christian et Bruno tombent dans cet ordre, Eric va récupérer trois points de victoire, quels que soient les joueurs qui ont porté les coups de grâce (Denise tombe : Eric est son prédateur et gagne un point, puis le cercle se referme et Eric est maintenant le prédateur de Christian…). Si Eric s’incline finalement devant Anne. C'est quand même lui qui gagnera avec ses trois points contre les deux points d'Anne (un point pour avoir vaincu Eric plus un point pour être le dernier *Methuselah*).
**Les mécanismes ?**
Ils sont suffisamment riches pour permettre nombre de stratégies différentes. Allez-vous chercher l'affrontement direct, ou au contraire l'éviter ? Investir dans des équipements ? Prendre des vampires puissants ou au contraire des plus petits, mais plus nombreux ? Quels clans (chacun a sa philosophie, ses particularités) ? Quelles disciplines (il en existe 18 "de base") ? Politique ou pas ?
Malgré sa durée, le jeu est fluide. A son tour un joueur peut jouer une seule carte en tant que *Methuselah*, puis il fait agir ses personnages (normalement une action chacun, et encore seulement s'il ne veut pas les garder en protection, sachant qu’on a souvent entre deux et quatre personnages), puis vient la phase où il peut faire entrer de nouveaux personnages en jeu, et c'est au tour du joueur suivant. A cette fluidité s’ajoute en plus le fait que nombre d’événements font intervenir tous les joueurs même pendant le tour de l’un d’entre eux ("je fais ceci, est-ce que quelqu'un essaye de m'intercepter ?"… si oui, il y aura combat…)
Plusieurs événements, principalement lors des combats, se déroulent sous la forme d'enchères. Par exemple mon personnage est équipé d'une arme à feu, pas mon adversaire : je peux donc souhaiter que le combat se déroule à longue distance pour me mettre hors de portée de ses griffes. On va alors jouer des cartes qui vont mettre en alternance la distance à longue ou à courte portée...
Une autre différence avec *Magic* : dans ce jeu, il n'y a pas de "phase de pioche". On remplace immédiatement les cartes jouées. Cela garantit un déroulement dynamique, mais attention à ne pas vider la pioche où vous vous retrouveriez bien mal en point (les règles précisent les limites au nombre de cartes de votre *deck*).
**La réalisation ?**
C'est peut-être le seul point sur lequel je ne serais pas aussi enthousiaste qu'ailleurs... Les illustrations de ce jeu ne sont pas ce qui se fait de mieux dans le genre. Elles ont pour elles de participer à une ambiance plus sombre que les autres jeux de cartes à collectionner, ce qui est parfaitement en adéquation avec le thème. Mais d'une édition à une autre, force est de constater que le niveau de qualité de ces dessins est assez variable, du photo-réalisme bluffant à un dessin presque déformé. Curieusement, et heureusement, ces différences ne jurent pas sur la table de jeu, et provoquent même plutôt une sorte d'unité permettant par exemple de reconnaître des clans...
Quant à la composition, elle est plutôt bien trouvée, et permet de s'y retrouver rapidement grâce à une iconographie cohérente. Les illustrations sont assez grandes, et les textes clairs et souvent accompagnés de petits ajouts de *background*. Le jeu est en anglais, mais avec un peu d’habitude, les termes utilisés étant toujours les mêmes, on peut vite s’y retrouver sans nécessairement maîtriser la langue de Shakespeare.
Le plus difficile à lire reste le petit livre de règles fourni dans les decks préconstruits, tellement il est écrit petit. Mais on peut trouver ces règles sur le net, et même un résumé en français sur wikipédia...
**Un jeu à collectionner …**
Oui, *VtES* est un jeu de cartes à collectionner. Cependant contrairement à d'autres jeux plus en vue, il n'a pas suivi la folie des surenchères.
Tout d'abord les cartes les plus intéressantes sont souvent des cartes communes, faciles à trouver et à échanger. Ensuite de par le fait de sa médiatisation moindre, les prix ne se sont pas artificiellement envolés. On peut facilement se lancer dans ce jeu avec un *deck* préconstruit et quelques *boosters*, ce qui représente un investissement d'une vingtaine d'euros.
**En conclusion :**
*Vampire: the Eternal Struggle* est définitivement un excellent jeu. Très certainement le plus riche et le plus complet des jeux de cartes à collectionner. S'il n'a pas rencontré le succès qu'il mérite, c'est probablement dû à deux raisons :
- Sa complexité plus élevée que les autres jeux de ce genre.
- Le fait de se jouer plutôt à 4 ou 5 joueurs, ce qui est plus difficile à réunir que deux joueurs.
Vraiment ? Un jeu qui a su garder son public pour être toujours édité quinze ans après sa création et alors même qu'on en entend à peine parler ? Je crois que ça en dit long sur ses qualités...