Premier test sur une partie "courte" à trois joueurs qui a effectivement duré une heure trente avec un score 85/45/40.
Les premières impressions sont étranges mais positives.
Etranges parce que cela ne ressemble à aucun autre jeu de Chad Jensen même si l'on reconnaît sa patte, par certains côtés faiduttiesque, dans l'accumulation d'événements imprévus (qui souvent déclenche des décomptes d'argent ou de prestige, des élections, ou des événements plus ou moins positifs en tout genre).
Au début on ne sait pas trop par quel bout prendre la bête, parce qu'on ne voit rien venir. A mon avis il faut profiter des situations gagnantes et anticiper sur les évolutions que l'on voudra donner, en essayant les bonnes combos (j'ai eu un tour de grâce comme cela ou entre événements et choix des bons bâtiments j'ai marqué presque trente points de prestige et gagné plein de thunes; à l'inverse, deux tours plus tôt, en tant que maire j'ai dû affronter à la suite un tremblement de terre et un incendie qui m'ont coûté tout l'argent et le prestige accumulés les trois premiers tours...). Et, pour les tours plus difficiles, consolider modestement des positions, préparer la contre-attaque (qui viendra, si le jeu ne s'arrête pas avant). On a donc une forte impression de chaos; à mon avis, après une seule partie, elle n'est qu'apparente. On doit pouvoir assimiler le jeu à un wargame : il y a des positions fortes à prendre et reprendre, que l'on perdra aussi (contractor, urban renewal), mais qu'il faut appuyer sur des soutiens latéraux dont la valeur réside dans le nombre et le peu d'intérêt immédiat qu'ils présentent pour les adversaires, ce qui permet de conserver un bon décompte de prestige ou d'argent même si l'on perd un bâtiment de valeur, de rester dans la course et de pouvoir saisir les autres opportunités, que ce soit en termes de bâtiments, de postes officiels ou de vocations sociales.
La difficulté du jeu vient clairement de la lecture du plateau : beaucoup d'indices sont à prendre en compte, et en plus ils sont mouvants. Le jeu doit être un enfer avec les autistes de l'analysis paralysis, parce que souvent les possibilités sont multiples; il faudra savoir marier optimisation et intuition, ne serait-ce que par respect des autres joueurs pour qui il n'y a pas grand chose à faire entre deux tours.
Positives aussi, parce que c'est drôle et très animé. Les postes de responsables municipaux (maire, procureur, trésorier, chef de la police et patron des syndicats) exposent à des avantages ou des déconvenues et peuvent tourner assez rapidement selon les élections, dont le déclenchement dépend des cartes que l'on retourne (ça rappellera les triggers de Combat Commander). Ca pour le coup c'est ingérable et imprévisible mais donne beaucoup de sel au jeu et impose la flexibilité indiquée plus haut.
On construit la ville, on la voit évoluer, c'est animé, on se dispute les emplacements et les fonctions (pour un peu plus de réalisme il aurait fallu que le paiement d'argent (hors mécanismes habituels du jeu) entre joueurs soit autorisé : qui a l'innocence d'imaginer cette série de contrats publics sans une once de corruption ??).
Et à la fin de la partie (dont on peut moduler la durée, entre courte, moyenne et longue), il y a un gros goût de reviens-y, pour tester d'autres bâtiments (dont beaucoup ont des effets), d'autres combinaisons, etc.
Urban Sprawl est un jeu de planification urbaine et de construction de ville, de contrats et de gros sous : ce n'est pas Sim City dans le sens où l'on n'a pas à gérer la population et ses humeurs, tout cela étant sublimé dans les effets des bâtiments construits et les éventuels événements. C'est un peu dommage mais cela permet de conserver un jeu aux règles vraiment simples (des points d'action qui permettent de prendre des cartes de contrats et de projets; couleurs (= fonctions, commerce, industrie, etc.) et valeurs doivent correspondre entre les deux pour pouvoir construire le bâtiment que l'on posera sur le plateau en le payant selon la valeur du quartier).
C'est un jeu en perpétuel renouvellement, dont deux parties ne peuvent pas se ressembler. A déconseiller aux anglophobes (les cartes ont souvent du texte), aux optimiseurs fous (ou alors en temps limité) et aux allergiques au chaos qui pensent que la vie est un long fleuve tranquille.
Enfin, quand on joue, on regrette que les petits pions n'aient pas été remplacés par des immeubles comme ceux que l'on peut trouver dans la boîte de Manhattan, qui donneraient beaucoup plus d'allure à un jeu d'urbanisme qui reste graphiquement plat.
Jusqu'à ce que je tombe sur les photos d'un fou, sur BGG :
http://boardgamegeek.com/article/7619924#7619924
Et le fou est contagieux car il donne envie de faire comme lui...
Et sinon, coup de chapeau à Chad Jensen et à son impressionnante capacité d'auteur, capable à la fois de faire dans une extrême variété (de Combat Commander à Urban Sprawl en passant par Fighting formations et Dominant species) tout en gardant au coeur de ses jeux un trait très particulier et qui me semble essentiel : chaque partie raconte une histoire.