Avis basé sur 7 parties en solo et duo (2021).
Tales of the Northlands est un jeu de pose d'ouvrier très thématique, prenant place dans le monde de Noggin the Nog, un dessin animé anglais des années 60. Je ne connais pas le dessin animé, donc je n’ai pas toutes les références, ni ne suis sûr d’avoir parfaitement compris la trame, mais voici l’histoire que j’ai cru comprendre (ou que j’ai imaginé)…
Le Northlands vit des heures sombres. Le roi Knut vient de mourir d’une façon aussi brusque qu’inattendue, entrainant une lutte pour sa succession. Si Noggin, le fils du défunt roi aurait pu être l’héritier légitime, cela n’est pourtant pas aussi simple en Northlands. Chez les nogs, il ne suffit pas d’être « fils de » pour hériter du trône, il faut avoir démontré sa valeur. Or, le gentil Noggin au tempérament doux et enjoué, n’a pour l’instant jamais démontré avoir l’âme d’un leader. S’il est plutôt apprécié du peuple, personne ne s’avancerait sur ses qualités de souverain ; il doit faire ses preuves s’il veut reprendre la couronne de son père. Face à lui se dresse son oncle Nogbad, qui n’a jamais caché ses ambitions. Contrairement à Noggin, il a su démontrer ses qualités en accomplissant moult exploits. En revanche, son caractère retors et son machiavélisme lui a valu de nombreuses inimitié. Mais dans l’ombre, il travaille à parfaire son autorité sur les nogs et pourrait bien gagner le trône si Noggin ne se dresse pas face à lui…
Les joueurs en tant que chef d’une famille influente du Northlands ont pris parti pour Noggin (sauf dans un mode de jeu avec un traitre). Ils vont tout faire pour aider Noggin à atteindre le trône. Pour cela, ils vont l’aider à accomplir des exploits héroïques qui vont nourrir la renommée de Noggin. Bien sûr, vous n’êtes pas vous-même un héros, vous n’allez pas participer directement à ces sagas, mais vous serez dans l’ombre, apportant le ravitaillement nécessaire à leur réalisation (en apportant de la nourriture, du bois, de la pierre…) ; chaque saga apportera de la renommée à Noggin et lui permettront e s’approcher de la couronne. Si Nogbad devait atteindre le trône avant Noggin, ce serait l’exil (et la défaite collective). Mais ces temps troublés sont aussi l’occasion d’ascension sociale inespérée. En prouvant votre valeur à Noggin, si celui-ci est couronné, il devrait être reconnaissant et vous pourriez finir main du roi. L’objectif du jeu se décline ainsi selon deux niveaux : un niveau global demandant aux joueurs d’aider Noggin à accomplir des sagas pour être couronné, et un niveau individuel dans lequel les joueurs doivent gagner le maximum de points de soutien pour être choisi main du roi. Ces points ne se gagnent pas qu’en aidant Noggin à accomplir des sagas, mais aussi en réalisant des inventions (qui donnent aussi des pouvoirs supplémentaires), en construisant des bâtiments (utiles ou sources de points), en replantant des arbres…
Chaque joueur dispose au début d’un petit terrain avec des champs, des arbres, des chariots, des bâtiments et surtout des nogs prêt à œuvrer pour la famille. Nos vaillants nogs (nos ouvriers) seront donc envoyés pour pécher, miner, semer ou récolter, construire des bâtiments, apporter des ressources pour les sagas, mais aussi pour fabriquer des inventions ou gagner des objets rares aux enchères… Le jeu assemble tout ce que l’on trouve classiquement dans un jeu de placement d’ouvriers, mais il apporte aussi son lot de petites originalités et un ton bien particulier. Cela se ressent fortement sur un élément qui pourra plaire ou déplaire selon les joueurs : le jeu est assez contraint. Cela ne transparait pas dans les actions (on peut en réaliser beaucoup de différentes), mais dans leur réalisation : on est limité dans ce qu’on peut rapporter, stocker, dans les bâtiments à construire, dans les nogs qui peuvent être bloqués sur des inventions ou des sagas (tant qu’elles ne sont pas finies), dans les ressources qui s’épuisent (on doit replanter des arbres ou réintroduire des poissons si on a trop puisé…). Certains critiquent ça, mais c’est pour moi une vraie force. On sent qu’on est dans un monde de Nog. Les terres ne sont pas extensibles, pas si riches et il faut entretenir tout ça. Par exemple, les nogs refusent de prendre plus que ce qu’ils peuvent transporter ou stocker. On ne peut pas se débarrasser d’un morceau de pierre pour prendre de l’or, on doit le dépenser… pas de gâchis chez les nogs. L’aventure n’est pas spectaculaire, loin d’une expansion sans limites pourtant à la mode dans les jeux de société (et la société elle-même). Ici, on vit une grande aventure, mais à hauteur de Nog. On est vraiment dans le thème. A noter que la collecte de ressources obéit à des règles propres à chaque ressource et toujours très thématique (du hasard pour la pêche, en fonction des saisons pour la culture des champs…). Cela renforce d’autant l’immersion dans ce petit monde. Une autre originalité du jeu est la double gestion des nogs (des ouvriers donc) et du temps mis par les tâches qu’ils vont réaliser ; une roue de temps permet de suivre l’évolution du temps (et des saisons). Chaque action a un coût en nogs, mais aussi en temps. Il s’agira alors de bien gérer l’équilibre entre dépense de temps et de nogs (on les récupère à chaque début de saison). En plus de cela, il n’y a pas de tour de jeu classique : c’est toujours le joueur en dernière position qui va jouer jusqu’à atteindre la première place. Cela fait que l’on peut enchainer plusieurs actions lors de son tour. Il y a un côté très tactique dans la gestion du timing pour réaliser les actions que je trouve très intéressant.
Un élément appréciable (ou pas, selon les joueurs), c’est le niveau d’interaction. Ici, les ouvriers des adversaires ne se gênent pas (on ne bloque pas les emplacements), mais il y a un mélange très sympa d’entraide et de concurrence pour finir les sagas et les inventions. Cela créé une dynamique très intéressante. On a besoin de collaborer pour finir des sagas, mais sans pour autant trop aider les autres… Il y a une vraie tension là-dessus. Cela en fait un jeu à interactions assez fortes pour un jeu de placement d’ouvrier.
Avant de l’essayer, j’avais beaucoup entendu parler de la longueur de ses parties… eh bien, je ne comprends pas trop cette remarque. Le jeu a une longueur classique pour un jeu euro expert (45min-1h en solo, 1h-1h30 à 2). Je ne l’ai pas essayé à 4, et je peux imaginer une longueur d’environ 2h-2h30. Cela me parait être dans les standards, et plutôt moins long qu’un Underwater Cities (ou Terraforming Mars) par exemple. Cela sera peut-être à réévaluer quand j’aurais pu essayer le jeu à 3 ou 4.
Je n’ai pas parlé du travail d’édition, ni du matériel. Le jeu bénéficie du visuel de la série (qui plaira ou pas). Pour ma part, je trouve que cela lui donne une réelle personnalité et cela renforce l’immersion. Il peut sembler y avoir un décalage entre un jeu euro assez touffu en termes de règles et les dessins enfantin et le thème de comte. Mais pour moi, cela n’est pas antinomique : on peut aimer jouer à des jeux complexes et les mondes joyeux… Et puis encore une fois les règles sont toujours très thématiques, donc il n’y aucune incohérence pour moi. Pour le reste, le matériel est très bon. Les plateaux joueurs, les tuiles et les cartes sont de bonne qualité (à noter pour les amateurs de sleeve, que celles-ci sont des formats bizarres). Les ressources dans la version de base (celle que j’ai) sont représentées par des cubes en bois colorés qui font bien le job (la version de luxe a des ressources aux formes plus suggestives). Les meeples sont classiques, mais là encore sont facilement identifiables et agréables. Le jeu a une belle présence sur la table… par contre, il prend de la place.
Pour finir, je vais dire un petit mot sur le solo officiel conçu par Ricky Royal (enfin je crois). L’objectif est de faire couronner notre prince et marquer au moins 100 points. Pour ajouter du chaos et nous mettre des bâtons dans les roues, des « dummy players » (pas de vrais automas) assez faciles à jouer viennent s’inviter à la fête. Ils participent aux sagas et inventions et parfois (souvent), mais aussi épuisent les ressources (pouvant faire progresser Nogbad) et même l’aide encore plus directement. Le challenge est assez équilibré (les parties sont bien tendues), et facilement réglable en difficulté (il suffit de modifier la position initiale de Nogbad). Le jeu devient plus chaotique (pas de stratégie lisible de l’automa) et on perd certaines subtilités du jeu, mais cela reste très intéressant.
Au final, je suis pour l’instant vraiment emballé par Tales of the Northlands. Bien sûr, il me faudra continuer à y jouer pour bien évaluer la profondeur stratégique, le rejouabilité et comment il tourne à 3 et 4, mais j’ai tiré de mes premières parties un grand plaisir. J’ai pu tester différentes stratégies qui ont l’air toute valables (jouer plutôt les inventions, les maisons d’enchères, les bâtiments, les sagas…) et qui permettent une belle variété de stratégie. A côté de ça, il y aussi une part de tactique et d’opportunisme comme dans tout jeu avec de vraies interactions. Et puis bien sûr ce que j’adore et presque le plus important pour moi est son excellente symbiose entre thème et mécanique de jeu, ce qui n’est pas si courant dans un jeu de placement d’ouvrier… A chaque partie, je me sens vraiment transporté dans le Northlands avec Noggin et ses amis…