Perdition’s mouth est un Dungeon Crawler qui se présente d’une façon très classique. On y incarne un groupe d’aventuriers parti à l’assaut d’un donjon (ici un temple sous-terrain en réalité) dans une ambiance de dark fantasy. Ici, nos héros ne sont pas en quête de trésors ou de gloire, mais cherchent avant tout à empêcher une secte d’invoquer un démon insectoïde. Une particularité du jeu est que les auteurs ont voulu retranscrire le caractère sombre et désespérée de ce monde. Ici, le cheminement jusqu’aux tréfonds du temple ne se fera pas sans mal ; les héros en sortiront meurtris, et certains n’en reviendront pas. On est loin des jeux où chaque combat est une balade joyeuse et rémunératrice (en trésors et points d’expérience). Dans PM, tout semble jouer contre nous et le moindre ennemi peut porter un coup fatal ou nous blesser gravement. Ce que l’on fera le plus dans le jeu est ainsi de chercher à se faufiler, à courir pour ne s’attaquer qu’aux ennemis qui nous empêchent de passer, qui gardent un trésor ou un levier, ou qui risque de sonner l’alarme. On a ce sentiment, trop rare dans les DC, que le temps joue contre nous. Les ennemis sont trop nombreux et trop puissants pour envisager de tous les éliminer. Même si nous pouvions y arriver, nous en sortirions blessés, diminués… notre seul espoir est d’avancer, coûte que coûte, jusqu’au dernier niveau où un dernier combat scellera notre destin.
Perdition’s Mouth se place dans un univers de fantasy très classique, tout droit issu d’AD&D (ou Warhammer). On y retrouve des nains, des elfes, des guerriers, des mages… En revanche, les personnages en eux-mêmes échappent un peu aux archétypes, affirmant notamment une belle volonté de parité tout en évitant toute tentative d’érotisation (ce qui est plutôt agréable dans ce type de jeu). On y croisera ainsi une barbare berserk, une naine ingénieure (avec une belle barbe comme chez les nains de Tolkien), un elfe voleur… Les personnages (6 dans la boite de base) sont très variés et se jouent ainsi différemment. Ils composent ainsi une équipe très complémentaire. Les ennemis sont, eux aussi, un peu plus originaux qu’à l’accoutumé, même si on reste sur des choses connues avec des cultistes et des monstres insectoïdes. Ils ont le méritent de bien coller à l’ambiance poisseuse et oppressante du donjon.
Niveau mécanique de jeu, PM présente plusieurs originalités pour un Dungeon Crawler. Tout d’abord c’est l’un des rares DC à faire le choix de plateaux fixes. Chaque niveau du donjon (il y en a 8) correspond à un plateau de jeu. Il existe tout de même des variantes pour chaque niveau. Selon le chemin pris dans les niveaux précédents, le placement des trésors et ennemis varient ; il y a 24 scénarios dans la boite de base. La deuxième originalité est le choix d’avoir rendu bloquant les ennemis mais aussi les alliés et beaucoup d’autres éléments (coffres, etc.). Avançant dans des couloirs étriqués, on se retrouve souvent bloqué par ses propres alliés, et il faut bien synchroniser les déplacements de ses personnages. Certains joueurs n’aiment pas ce choix, car il rend le jeu plus lent et plus lourd. Je le trouve excellent pour ma part. Cela contribue à l’ambiance en simulant le coté claustrophobique et étouffant du temple. De plus, d’un point de vue stratégique, cela est très intéressant.
Pour les actions des joueurs, le jeu utilise un double système : une roue d’action et un deck de cartes. La roue d’action contient toutes les actions réalisables (mouvement, attaque, magie, course…), les joueurs doivent utiliser des points d’actions pour se déplacer sur la roue d’action et atteindre la case souhaitée. Il y a de plus, comme dans les jeux de placement d’ouvriers, un nombre d’emplacement limité pour chaque action : impossible par exemple de se mettre à 4 personnages sur l’action d’attaque. Cela induit la nécessité de bien se coordonner (renforçant encore ce point) et de devoir planifier sa stratégie sur plusieurs tours. Il y a un coté Euro dans ce DC qui personnellement me plait beaucoup. Cela est encore renforcé par l’absence de dés. Ici, on manipule des cartes, qui sont plus facilement contrôlables (on sait celles qui sont passées). Le jeu utilise deux types de cartes. Les premières remplacent les dés et permettent de simuler l’aléa : force de l’attaques et de la défense des ennemis (comme dans Gloomhaven), nombre d’activations des ennemis… Vous allez vraiment frémir au tirage de certaines cartes. Le deuxième type de carte correspond à celles des decks des personnages. Chaque héros dispose d’un deck de cartes qui lui est propre. Les cartes proposent des bonus pour les actions et des effets/pouvoirs divers qui peuvent se révéler très utiles. Cela permettra de mitiger l’aléatoire qui est tout de même bien présent dans le jeu. Cependant Perdition’s mouth est un jeu très stratégique dans lequel, il faudra bien réfléchir à votre stratégie. Une autre originalité du jeu est, comme cela a été évoqué, de ne pas proposer de système d’expérience. On joue des aventuriers aguerris ; ce n’est pas quelques combats supplémentaires qui vont les rendre plus fort, bien au contraire. Chaque point de vie perdu se traduit par une carte blessure qui s’ajoute à notre deck (à la façon d’un mage Knight). Au fur et à mesure de la descente, les personnages, de plus en plus blessés, seront moins forts alors que les ennemis se multiplient. C’est là que les sacrifices seront parfois nécessaires ; un personnage déjà bien blessé pourra bloquer les ennemis le temps que les autres fuient. Il y aura bien sûr des trésors à glaner et de malheureuses victimes à sauver, nous apportant quelques avantages, mais globalement, plus la campagne avance, plus notre équipe s’affaiblira.
Car Perdition’s mouth est un jeu sui se joue principalement en campagne. Il faudra enchaîner les différents scénarios jusqu’à arriver au démon. Il y a 8 étages à franchir avec pour chacun des choix modifiant les étages inférieurs. Il y a ainsi un total de 24 scénarios dans la boite de base. Cela peut paraitre peu (surtout comparé à un Gloomhaven), mais le jeu est difficile et il vous faudra certainement en recommencer certains (par exemple si un personnage meurt trop tôt dans la campagne). De nombreuses heures de jeu s’offre ainsi à vous, si vous prenez goût à ce jeu. A chaque scénario, vous pouvez choisir les personnages que vous souhaitez utiliser. La plupart des scénarios sont calibrés pour 4 personnages (il y a tout de même de petites modifications selon le nombre de personnages joués). Cependant, il peut être, pour certains scénarios, plus intéressant de jouer avec moins de personnages, notamment pour les scénarios basés sur de la fuite (ça évite de se gêner dans les couloirs). Il faudra en tout cas choisir minutieusement ses héros et choisir une équipe complémentaire. Le jeu peut se jouer en solo ou à plusieurs en se répartissant les personnages. Le jeu propose un peu de narration (une page) entre chaque scénario vous permettant de mieux connaitre les personnages, leurs motivations et leurs relations, ainsi que d’introduire le niveau à venir.
Le matériel est globalement de bonne qualité. Les figurines sont correctes à défaut d’être très belles. Une fois peinte, elles font bien le job. Les plateaux et les cartes sont de d’une bonne épaisseur avec un fini agréable. Les illustrations sont correctes mais ce n’est vraiment pas le point fort du jeu. Le pire étant les deux roues d’action. Elles sont fonctionnelles et d’un carton assez épais mais bizarrement moches (on dirait qu’elles ont été dessiné par un enfant). C’est un détail, mais c’est un peu dommage.
Cela n’entache pas le plaisir de jouer à Perdition’s Mouth qui se place comme un bon Dungeon Crawler. Bien évidemment de par ses choix, il ne plaira pas à tout le monde. Les amateurs de lancers de dés ou ceux qui veulent jouer à un essai sans trop réfléchir pourront le trouver frustrant. Personnellement, le mélange Ameritrash/Euro me convient parfaitement et j’apprécies vraiment ce jeu. A noter qu’il dispose de différentes extensions venant ajouter du contenu (personnages, scénario…) et est porté par des auteurs assez actifs sur BGG. C’est peut-être l’avantage des petites maisons d’édition qui gardent un contact fort avec leur communauté de joueurs.