Cloudspire n’aurait pas dû être un jeu pour moi. Aussi formidable que soit l’idée d’utiliser du néoprène pour constituer un terrain modulaire et des jetons de Poker pour les unités que l’on y déplace, le résultat arbore des couleurs trop fades pour le plateau, trop flashy pour les unités, ne faisant pas honneur aux superbes illustrations que l’on devine de temps à autre dans les manuels ou au sommet des jetons. Son énorme boîte, pour un prix parfaitement justifié mais conséquent, annonçant un titre complexe, ses règles très peu exemplifiées et illustrées et demandant plusieurs passages d’une page à l’autre, son abstraction, la très grande part de calcul et de maîtrise qu’il exige pour en profiter pleinement, sont autant d’arguments qui me feraient habituellement fuir.
Et pourtant, on se surprend à en apprendre les règles aussi vite, puis à le mettre en place aussi intuitivement, à le pratiquer de façon aussi fluide alors même que la compréhension des spécificités de chaque faction confère à Cloudspire une considérable courbe de progression. Si l’asymétrie n’est pas aussi poussée que celle de Root, les quatre factions de la boîte de base sont si distinctes mécaniquement les unes des autres que l’on prendra également un plaisir considérable à jouer et rejouer la même afin de l’apprivoiser, et les autres pour les comprendre et mieux les contrer.
Il faut tout savoir afin de préparer et d’anticiper, et on se réjouit que cela représente plus de parties que de réels efforts, tant cela peut rentrer naturellement, petit à petit. La meilleure preuve que l’asymétrie de Cloudspire est réussie… est qu’après avoir assimilé quelques factions, on a juste envie de s’essayer sur et contre les extensions, quand on pourrait être découragé de tant d’apprentissage ! Les auteurs n’ont ainsi pas seulement travaillé leur équilibrage malgré leurs différences, mais ils ont aussi accordé le plus grand soin à leur prise en main.
Cloudspire est ainsi redoutablement mathématique, ce qui pourra surprendre de la part d’une adaptation des mécaniques du MOBA, que l’on attendrait bien plus démesurée, nerveuse, chaotique… mais les graphismes assez froids et le matériel relativement abstrait auraient déjà dû nous mettre sur la piste d’un jeu précisément passionnant de rigueur, et aussi riche, jusqu’à proposer des modes coop et solo qui ne sont pas des à-côtés négligés, proposés seulement pour mettre en avant les nombreuses manières de le pratiquer sur KickStarter, mais parviennent à exploiter toute la richesse des règles multijoueurs en y intégrant une dimension de défi cérébral et une histoire vraiment captivantes.
Moi qui suis si réfractaire au solo, j’ai été absolument conquis par celui de Cloudspire. C’est que je trouve généralement la mise en place d’un « vrai jeu » trop fastidieuse pour ne même pas en profiter à plusieurs, en particulier pour profiter d’une variante dont on sent trop bien qu’elle n’est pas le cœur de l’expérience. Or Cloudspire atteint un équilibre absolument remarquable entre simplicité de la mise en place et du déroulement du tour d’un côté, rigueur et ampleur de l’aventure de l’autre, et devient simplement l’un de mes jeux solo préférés si ce n’est le préféré !
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