Ainsi posée, la question, il faut le reconnaître, prend la dimension du point godwin. Et pourtant. Jouer à Alice reste, observé d'un certain pas de côté, une épreuve psychologique, tant ce jeu nous entraine parfois sur de périlleux rivages.
L'arpenteur d'univers ludiques se plait à y croire mais il n'a jamais réellement redouté de finir dévoré par un lycanthrope après une partie de loups garous ou rasé par un boulet de canon au terme d'un Risk entre amis.
Avec Alice, c'est différent. Si le scénario de ce qui s'apparente à un métissage entre le jeu de rôle et le jeu d'enquête ne défriche pas spécialement de territoires inexplorés en termes de péripéties ou d'articulations, il se déplie en revanche selon une dramaturgie et à l'aide une mécanique de jeu qui en hystérisent l'enjeu. En abordant des thématiques peu conventionnelles, sans doute taboues pour certains, que je ne peux évoquer plus avant sans déflorer l'ensemble, "Alice" participe à une certaine confusion mentale qui s'installe chez le joueur.
Rechercher cette Alice, adolescente disparue dans une bourgade d'Amérique du Nord, en ne communiquant que par textos, avec la contrainte du silence comme chape de plomb, s'avère une expérience suffocante, dans une proposition coopérative ou l'on perçoit très vite que la vérité masquée derrière le rideau de l'intrigue peu à peu révélée sera fracassante, dérangeante, psychologiquement tellurique.
Mais on s'y accroche, on s'y perd, presque ad nauseam, redoutant le prochain rebondissement de cette vérité que l'on sait, que l'on sent, indicible. Dans nos boîtes, avec nos decks, nos dés et des cartes, nous jouons parfois à nous faire peur. Avec Alice, extraordinaire et fiévreuse proposition confinant au mitan des univers de James Ellroy et de Sader-Masoch, on joue presque, avec ce délice teinté d'horreur, cette frénésie matinée de culpabilité, à se faire mal.