[Zertz] - L'OVNI ludique

[Zertz]

Beaucoup de gens, au-delà de son évidente profondeur, sont souvent un peu déroutés par Zertz. Je suis moi-même passé par cette phase quasi-obligée où le jeu laisse sceptique. Cela tient principalement au fait que Zertz prend systématiquement à contre-pied toutes les habitudes ludiques établies. Comme il est logique de se référer à ce que l’on connaît, Zertz génère de nombreux malentendus dus justement à ces nombreuses caractéristiques atypiques. On pense au jeu de Dame, on cherche à faire des pièges, à prendre des billes et d’autres « tiroirs » s’ouvrent, et l’on se rend compte que Zertz, dans le fond, n’est rien de tout cela. Alors qu’est-il ? Je vais tenter de dresser une liste non exhaustive de certaines caractéristiques tant hors du commun de ce jeu formidable. J’espère qu’elles seront une bonne aide de jeu pour permettre de découvrir et d’apprécier différemment ce jeu unique dans la production ludique actuelle et passée.

1-Rien n’appartient à personne ou tout est à tout le monde :
Ce procédé ludique n’est pas nouveau même si il reste peu commun, surtout poussé à l’extrême comme c’est le cas avec Zertz. Qu’implique-t-il dans le fond ? Qu’il est inutile de construire ou tendre des pièges qui seront utilisés contre nous par un adversaire qui s’en rendra compte et qui utilisera ce que l’on aura échafaudé. Construire des pièges revient à travailler pour l’autre.
2-Offrir pour prendre :
Je ne gagnerai rien à Zertz sans offrir à l’adversaire. Avant de poser une bille sur le plateau et de retirer une plaque, il faut voir si je n’ai pas la possibilité avec cette bille d’offrir deux voire même trois billes ou plus à l’adversaire pour pouvoir en prendre une ou plusieurs plus intéressantes (par exemple 2 noires et 1 grise pour l’adversaire contre 1 blanche pour moi).
3-Ma réserve, c’est toi :
Les pièces de l’adversaire ne déterminent pas seulement le nombre de billes qui lui manquent pour atteindre la victoire, elles déterminent surtout mes possibilités de jeu, ma réserve : de combien de billes (et de quelles couleurs) je dispose pour contrôler le jeu ou en d’autres termes, combien de billes (et de quelles couleurs) je peux encore offrir à l’adversaire.
4-Tu ne joues pas pour toi, tu joues pour l’autre :
C’est la clé de Zertz : comprendre que chaque bille posée par soi sur le plateau est un coup qui multiplie les possibilités de l’adversaire. Estimer ce qu’il pourra en faire et dans quelle condition il laissera le plateau au moment de nous redonner l’initiative est le cœur du jeu. C’est le coup le plus critique qui puisse être fait pour ce que je viens de dire et pour ce qu’il implique quant au choix de la couleur de la bille et quant à la plaque à enlever. Par exemple, une bille noire est une bille mobile, l’adversaire n’hésitera pas à nous en offrir si il peut générer un échange intéressant ; une bille blanche par contre est une bille à la mobilité limitée puisque si l’adversaire doit nous en offrir une pour arriver à ses fins, il nous rapproche et/ou s’éloigne de la victoire. Le choix de la couleur est essentiel à Zertz : une même position occupée par une blanche, une grise ou une noire implique en terme de jeu des possibilités totalement différentes. La plaque à enlever est également un facteur primordial : il faut veiller à ne pas aider l’adversaire plus qu’on ne la déjà fait en lui posant une bille supplémentaire.
Poser une bille et enlever une plaque est donc le coup le plus critique car le plus offensif qui puisse être fait à ce jeu. Pourquoi offensif ? Car si j’oblige mon adversaire après mon tour à poser une bille supplémentaire, je me retrouverai avec plus de possibilités de contrôler le jeu, d’échanger les bonnes billes, etc… Pourquoi critique ? Car en plaçant moi-même une bille, je dois estimer d’emblée ce que pourra faire l'adversaire avec cette couleur et cette position en terme de mouvements et de prises. Si il est dans une position inconfortable en terme de couleur de bille à m’offrir et/ou de nombre de billes à me donner pour arriver à ses fins, mon coup va l’obliger à poser une bille supplémentaire et à démultiplier mes possibilités de jeu.
5-Prendre, c’est défendre :
Plus je prends de billes et donc plus j’offre de billes à l’adversaire, plus je limite ses possibilités en terme de choix directs (il doit prendre) et à plus long terme (lui laisser un plateau défavorable quant aux positions, au nombre et aux couleurs de billes présentes sur le plateau au moment où il récupère l’initiative). Si je ne peux placer une bille et retirer une plaque sans laisser mon adversaire en position de force, je dois provoquer des prises avec les finalités suivantes : offrir le plus possible des « mauvaises » billes à l’adversaire (noires par exemple) pour m’en octroyer des « bonnes » (blanche(s) par exemple), c'est-à-dire être à la fin de mon tour plus proche de la victoire que lui ; si je peux arriver à cette combinaison de différentes manières, je dois choisir celle qui laissera la ou les billes restantes (quant à couleur et/ou à position) dans la configuration la plus incommode pour l’adversaire au moment où il récupèrera l’initiative ; dans tous les cas enfin, j’arriverai à la suite d’échanges successifs à un plateau plus vide qu’il ne l’était ce qui n’est jamais mauvais avant de laisser l’initiative à l’adversaire puisqu’il aura moins de possibilités qu’avec plus de billes présentes.
Prendre et faire prendre, c’est défendre, c’est laisser l’adversaire avec moins de possibilités qu’il n’en aurait eu au moment où il récupère l’initiative.
6-Plus je respecte l’adversaire, plus je suis fort :
Un peu comme au Go où il est mal vu de chercher à défendre un territoire perdu à long terme en se disant que l’adversaire commettra peut-être une erreur, il est vain à Zertz, de tenter un coup en se disant « peut-être qu’il ne le verra pas »… Ce qu’il faut se dire à Zertz c’est : « mon adversaire voit et sait toutes les possibilités que je laisse à sa disposition ». Si l’on pense comme cela, la position que l’on va chercher et trouver va être la plus difficile pour l’adversaire quelles que soient les possibilités dont il dispose. Et le jeu se cristallise là-dessus. Zertz n’est pas un jeu de prise, c’est un jeu de position (de bille, de couleur et de plaque). Les prises ne sont que les conséquences de bonnes ou de mauvaises positions.

Un jeu où l’on offre pour gagner, un jeu où l’on attaque en positionnant et où l’on défend en prenant des pièces, un jeu où je ne possède que ce qu’a l’adversaire… Beaucoup de procédés, d’habitudes ludiques sont retournées comme un gant par Burm. Encore une fois, Zertz commence où mes habitudes ludiques s’arrêtent. Quand j’ai compris par exemple que je n’ai pas à préparer de prises mais que ce sont les prises de l’adversaire que je dois préparer avec un placement adéquat; que cette bille que je place sur le plateau ne m’est pas immédiatement destinée mais qu’elle est une succession de possibilités supplémentaires offertes à mon adversaire; que je me dois d’avoir conscience de ces possibilités pour qu’une fois qu’il en aura exploitée une je sache que la nouvelle position et répartition du plateau et des billes me permettront de réagir positivement et de profiter au maximum de mon initiative; etc... A ce moment là, le jeu commence et il est tout autre que n’importe quel autre jeu et même, il est tout autre que ce que je pensais qu’il était lui-même…
Plus je joue à Zertz, plus je m’aperçois que c’est le jeu auquel j’ai toujours rêvé de jouer. Un jeu à la philosophie et créativité infinie puisque ce que je fais, c’est pour l’autre que je le fais. C’est donc un constant voyage cérébral chez l’autre. Quand je me trompe, l’autre m’a dévoilé quelque chose. Quand je gagne, j’ai enseigné, peut-être, quelque chose à l’autre. Au fond, à Zertz, tout le monde gagne toujours quelque chose à un moment donné.
Zertz est pour moi ce qui s’est créé de plus original et de plus profond depuis le Go, un jeu qui restera à jamais. Je ne prétends pas avoir dévoilé des ficelles pour bien jouer à Zertz, j’espère seulement avoir communiqué une infime partie de l’admiration et passion que j’ai pour ce jeu.
Ludiquement.

Il est gros le trou dans ta moquette ?
:mrgreen:

Rody dit:Il est gros le trou dans ta moquette ?
:mrgreen:


Cela fait bien, bien longtemps que je n'ai plus de moquette... :wink:

Palferso, je ne savais pas que tes récentes victoires (contre moi :twisted: ) t'avaient mis dans un tel état d'excitation neurale !

L.S.G. dit:Palferso, je ne savais pas que tes récentes victoires (contre moi :twisted: ) t'avaient mis dans un tel état d'excitation neurale !

D'ailleurs, à ce sujet, on se refait une partie quand tu veux :wink:
Vu que je n'ai plus de moquette à fumer, c'est peut-être la solution pour que cela continue à me monter à la tête... :D

Il faut jouer une partie avec Kris Burm (ou avec un des champions du monde, mais ça je ne l'ai jamais fait) pour comprendre la profondeur de Zertz.

La partie est une jouissance: vous passez votre temps à lui capturer des pièces jusqu'à ce qu'il annonce: "j'ai gagné". En fait, il vous mêne d'un bout à l'autre par le bout du nez. Placer une bille est une liberté, capturer est une contrainte (vous n'avez d'autre que choix que celui que vous accorde l'adversaire). Alors, pratiquement en permanence, vous capturez, mais seulement les billes que Kris vous accorde, tandis qu'il contrôle de son côté les billes qu'il souhaite.

C'est vrai que je n'avais que peu de pratique quand je l'ai rencontré, mais il m'a permis de découvrir le jeu comme je ne l'imaginais pas.

L'avantage de ce type de jeu: du 100% de stratégie, pas un yota de hasard, aucune information cachée, du bonheur cérébral.

L'inconvénient de ce type de jeu: il est impitoyable pour révéler la différence de niveau entre les adversaires (a contrario, beaucoup de jeux stratégiques contemporains contiennent une part de hasard et/ou d'information cachée, E&T en est un excellent exemple).

nim (pas connecté) dit:En fait, il vous mêne d'un bout à l'autre par le bout du nez. Placer une bille est une liberté, capturer est une contrainte (vous n'avez d'autre que choix que celui que vous accorde l'adversaire). Alors, pratiquement en permanence, vous capturez, mais seulement les billes que Kris vous accorde, tandis qu'il contrôle de son côté les billes qu'il souhaite.

Pour avoir pris tôle sur tôle contre les 2 gugusses du dessus (LSG et palferso) je confirme... mais c'est très frustrant!

O'Cédar dit:
nim (pas connecté) dit:En fait, il vous mêne d'un bout à l'autre par le bout du nez. Placer une bille est une liberté, capturer est une contrainte (vous n'avez d'autre que choix que celui que vous accorde l'adversaire). Alors, pratiquement en permanence, vous capturez, mais seulement les billes que Kris vous accorde, tandis qu'il contrôle de son côté les billes qu'il souhaite.

Pour avoir pris tôle sur tôle contre les 2 gugusses du dessus (LSG et palferso) je confirme... mais c'est très frustrant!


Pour moi, c'est un jeu du même niveau qu'un TWIXT, et dans une moindre mesure qu'un Trax.

Ca a l'air bien. Je ne suis pas fan du pur abstrait mais là ça me tente.

On joue pas mal à Zertz en couple et on a à peu près le même (petit) niveau, je confirme que ça doit être rageant de s'apercevoir qu'on est manipulé constamment contre de très bons joueurs! Même si on à l'impression de bien se rendre compte de tout ce qui peut être mis en place à zertz et de la profondeur du jeu, on doit être très loin du compte en fait :roll:
...Finalement on va continuer à jouer tous les 2 :D

Eve

Et vous ne vous lassez pas ? Il n'y a pas un écart de plus en plus grand entre vos niveaux ? Etes-vous tous les deux susceptibles de gagner ?

C'est ce qu'il y a de plus pénible quand on joue toujours avec la même personne.

D'ailleurs, la lassitude et les relations de force qui se dessinent, c'est ce qu'il y a de plus pénible quand on fait quoi que ce soit avec toujours la même personne ...

IBashar dit:Et vous ne vous lassez pas ? Il n'y a pas un écart de plus en plus grand entre vos niveaux ? Etes-vous tous les deux susceptibles de gagner ?
C'est ce qu'il y a de plus pénible quand on joue toujours avec la même personne.

Non, on ne se lasse pas parce qu'on ne joue pas qu'à ça. On a pratiquement les mêmes chances de gagner mais on peaufine nos stratégies à chaque fois et on progresse en même temps. C'est le jour où l'un de nous gagnera systématiquement que l'autre ne voudra plus jouer! En attendant on s'amuse bien!
IBashar dit: D'ailleurs, la lassitude et les relations de force qui se dessinent, c'est ce qu'il y a de plus pénible quand on fait quoi que ce soit avec toujours la même personne ...


Pas encore de lassitude pour nous et pas de relations de forces non plus...touchons du bois! :D


Eve

Herbert & Eve dit:...Finalement on va continuer à jouer tous les 2 :D
Eve



A deux peut-être, mais contre qui? Parce comme il le dit lui-même, c'est "dans le pipe" d'un certain webmestre d'un certain site autre que celui-ci... :roll:


:lol:

Budnic dit:
Herbert & Eve dit:...Finalement on va continuer à jouer tous les 2 :D
Eve


A deux peut-être, mais contre qui? Parce comme il le dit lui-même, c'est "dans le pipe" d'un certain webmestre d'un certain site autre que celui-ci... :roll:

:lol:


Ben p't'être qu'on va revoir nos positions d'ici peu alors! :D
Si y'en a qui veulent se faire une bonne place dans le classement, venez jouer contre moi! :cry:
Tu auras ta revanche Budnic :wink:
Eve

IBashar dit:Ca a l'air bien. Je ne suis pas fan du pur abstrait mais là ça me tente.


Je n'étais pas mais alors pas du tout fan de jeux abstraits avant de découvrir les jeux de Burm. Que ce soit Dvonn, Yinsh, Gipf ou Zertz tu peux y aller les yeux fermés. Ils apportent tous quelque chose de différent. Après, pour déterminer un classement, cela me semble plus une affaire de gout ou de sensibilité personelle qu'autre chose. Mon préféré, tu l'avais compris, est Zertz :wink:

Je viens de découvrir un site où vous pouvez jouer contre l'ordinateur à Zertz et où les parties contre de vrais adversaires :D se déroulent en "live". Inscrivez-vous, c'est totalement gratuit.
C'est ici que cela se passe:
http://www.boardspace.net/
Ludiquement.

Pour les anglophiles :
http://www.gipf.com/zertz/index.html
et surtout cette article très sympathique pour comprendre les bases :
http://www.scat.demon.co.uk/zertz/strategy.htm

En passant j'adore le projet Gipf, dans son ensemble. Et Zertz en particulier ( un jeu auquel il faut jouer "une hache à la main"). Et je ne saurais trop recommander à ceux qui auront la chance d'aller à Essen de passer pas le stand de Kris Burm et de s'y arrêter un moment :wink:

Très belle lecture du jeu, je trouve, de la part de Palferso...

J'ai quelques parties à mon actif et je me rapelle d'une de mes dernières parties contre un ami totalement débutant où j'ai joué tranquille en me disant "c'est bon, il voit rien"... Eh ben, j'ai perdu en ne voyant pas un coup décisif que je lui offrait... ça pousse à être plus humble dans les parties suivantes :lol:

L'inverse m'est aussi arrivé contre un ami excellent au échecs et que j'ai battu... alors que je ne suis vraiment pas très fort... :lol:

"Respecter ton adversaire, tu devras... sinon par ses yeux tu ne verras pas" comme me disait un ami verdâtre.

palferso dit:Je viens de découvrir un site où vous pouvez jouer contre l'ordinateur à Zertz et où les parties contre de vrais adversaires :D se déroulent en "live". Inscrivez-vous, c'est totalement gratuit.
C'est ici que cela se passe:
http://www.boardscape.net/


On m'a signalé que le lien que je donnais ci-dessus ne fonctionnait pas. Effectivement, je me suis trompé, ce n'est pas "boardscape" mais "boardspace"... :oops:
Je rectifie donc le lien:
http://www.boardspace.net/
Ludiquement.

Cool!
Merci palferso!

Eve