Troyes, mon amour

[Troyes]

Ah, Troyes…

Je suis tombée en amour avec ce jeu. Quand je repense aux parties jouées, j’ai le palpitant qui s’affole un petit peu, au souvenir du plaisir pris à y jouer, et à l’espoir fou d’en refaire une autre le plus bientôt possible.

Troyes et moi, c’est une longue histoire, démarrée en 2010, quand je vois sa couverture pour la première fois. Que je la trouve belle ! Mais je vois alors la photo officielle du jeu en place, et là, arg, ça ne me plaît pas, et malgré les avis très souvent positifs que je lis sur ce jeu, malgré la présence des dés (j’aime les dés, oui), malgré sa part de gestion (je suis du genre à aimer agricola et caylus, même si mon entourage n’a malheureusement pas les mêmes goûts que moi), malgré les heures passées à hésiter, j’en reviens toujours à cette image qui ne me plaît pas du tout, mais pas du tout, et il y a tant d’autres jeux, que bon, bref, le temps passe. Le temps passe et un jour, je vois une autre photo, cette si belle photo de ce si beau jeu, sur le sujet “Une partie- une photo - une phrase”, je ne sais même plus qui l’a postée, mais béni soit-ille, car cette photo me remet le jeu en tête. Oui mais… j’ai déjà tant de jeux. Oui mais… les autres ils vont pas accrocher. Oui mais… quelques semaines ou mois d’hésitation encore, mon cœur balance, ah, il m’en aura donné des émotions, déjà même avant de le connaître ! Et finalement, un jour de folie, je l’achète.

Il reste une bonne semaine sur une chaise, ni rangé ni dépunché, juste son cello enlevé, des jours pendant lesquels je profite du dessin de sa couverture, des jours “avant”, des jours qui ne seront plus “après”.

Puis, une après-midi où j’ai un peu de temps, je l’ouvre, le dépunche soigneusement, déplie ce beau et grand plateau en carton tout dur ni mat ni brillant, parfait comme il le faut, sur lequel j’entendrai bien résonner les dés quand je les y poserai. Magnifique. Je regarde les petits détails, profite de cette illustration dépouillée des cartes, dés, meeples et cubes qui s’y trouvent habituellement sur les photos que j’ai vus, enfin je le vois tel qu’il est vraiment, avant le chaos, avant la vie, paisible.
Plus tard, la ville s’activera, les habitants s’y dévoileront, s’y activeront pour construire la cathédrale dans un fourmillement incessant, rendant compte de leurs activités pour aider à l’érection de cette si belle œuvre.

Mais revenons à cet instant où j’ai dépunché le jeu. Je prends la règle en main, et je la lis. Je m’attendais à… je ne sais pas à quoi, en fait, mais à tout sauf à y trouver cette limpidité, ces précisions, ces exemples illustrant à merveille le propos tenu, ce plaisir à la lecture. On est loin, très loin de l’image d’Epinal selon laquelle lire une règle de jeu est un moment rébarbatif et douloureux (je dois avouer que peu de jeux m’ont fait cet effet, mais la croyance populaire ne doit pas sortir de nulle part, il n’y a pas de fumée sans feu, toussa).
Mais c’est quand même un peu ardu, toutes ces possibilités, le jeu n’est clairement pas pour tout le monde, car pour y jouer avec moi, celui qui aura ce rôle devra d’abord être capable de m’entendre lui expliquer les règles pendant bien vingt minutes. Non, ce n’est pas pour tout le monde. Pour être bien sûre de ne pas abuser de ce temps que l’autre me donnera, pour ne pas expliquer les choses de travers avant même ma première partie, pour arriver à les transmettre de façon logique, je regarde les vidéos de la TTTV. Sachant que je n’aime déjà pas être passive devant un écran, il est clair que je ne regarde pratiquement jamais celle-ci. Donc l’image est en basse définition, une torture pour les yeux, une impossibilité de déchiffrer le plateau quand on le voit dans son ensemble, les chiffres sur les dés étant flous, par exemple. Qu’importe, je trouve passionnant de voir que les explications correspondent bien à ce que j’ai compris de la règle, tout coule, tout roule, même s’il me semble encore un poil compliqué d’agencer tout cela in game.

Entretemps, Junior découvre le sujet Challenge 10x10 jeux et a envie d’y participer. Comme nous sommes un juin, j’ajoute Troyes à notre défi, dans l’esprit où ce sera effectivement un véritable défi de le sortir 10 fois avec lui, qui n’est pas très intéressé par les jeux de gestion, en fan de jeux de cartes à combo !

Bref, ça y est, j’ai lu la règle, vu les vidéos, je suis prête et , ne pouvant plus attendre, je fais les yeux doux à monsieur Proute pour qu’il prenne le temps d’y jouer avec moi, parce que Junior, lui, n’a effectivement pas l’air intéressé. Et, quel bonheur, nous y jouons le jour même !

La première partie est assez laborieuse, même si mes explications sont claires, c’est toujours délicat d’expliquer un jeu auquel on n’a pas encore joué, dont on n’a pas encore saisi l’essence… Qu’importe, le jeu nous plaît, et nous y retournons le soir même. Là, je le comprends mieux, parviens à faire quelque chose, et exulte à la fin de la partie, car oui, mes tentatives ont porté leurs fruits !

Le lendemain, j’ai de la chance, un ami joueur vient nous rendre visite et je lui présente le jeu, ainsi qu’à Junior qui aime bien nos après-midi jeux à trois-quatre. Notre ami a un peu suivi la vidéo d’explication du jeu, et Junior nous a vus jouer son père et moi, c’est donc avec beaucoup de facilité qu’ils écoutent et comprennent mes explications.
Quant à moi, je suis heureuse que les points de renommée soient cachés à Troyes, car je n’aurais peut-être pas osé y aller franchement si j’avais vu l’écart de points générés entre eux qui faisaient leur partie de découverte, et moi dont c’était la troisième. Je prends un plaisir incroyable à regarder le plateau, évaluer et envisager chaque action permise par mes dés, estimer l’opportunité de dépenser des points d’influence pour retourner un ou plusieurs dés, et quand le faire (car dès la première partie il m’est apparu que dépenser un seul point d’influence pour relancer un dé ne serait pas une option viable pour moi, qui ai une propension incroyable à faire des 1, tandis que Junior et monsieur Proute enchaînent les 5 et les 6). Cette option est merveilleuse pour moi, car mes 1 et mes 2 deviennent mes précieux, oubliant toute idée de malédiction, je les retourne quand je veux et avant cela, nul ne songe à me les voler, inutiles qu’ils ont l’air d’être pour les autres joueurs qui ne pourront ni les relancer ni les retourner ! Aha ! Ce sont les miens ! Mes 1 ! Mes 2 ! Enfin voici la revanche de la poissarde !!! (Car, que nul ne s’y trompe, dans les jeux où les 1 et les 2 sont habituellement valorisés, je ne fais que des 5 et des 6. Ceux qui partagent ce sort tragique me comprendront.)

Revenons à cette troysième partie de Troyes à troyes (tiens, tous ces y, si Troyes était plus âgé, j’aurais dit que c’est sans doute lui qui avait contaminé certaine maison d’édition bien appréciée aussi dans la mienne, de maison) : je vois les choses à faire, je vois les combinaisons possibles, toutes, je peux les réaliser, point de frustration dans ce jeu, les actions prises par les autres joueurs ne sont pas bloquantes ou peu s’en faut, puisqu’on peut toujours placer un homme de métier sur une carte activité occupée, seul, l’achat des dés peut l’être, mais, je persiste, nul ne prend mes 1 ni mes 2, na ! Certes, les autres joueurs sont un peu gênants quand même quand ils vous prennent de court à la cathédrale, réalisant le tronçon que vous projetiez ou quand ils résolvent à eux seuls un événement qui vous faisait de l’œil. Mais il y a assez d’opportunité, dans Troyes, pour bien vite se rabattre sur autre chose de tout aussi alléchant, quelque chose qui vous amène à emprunter une voie que vous n’aviez pas remarquée, voire une stratégie à laquelle vous n’auriez pas songé autrement, bercé que vous étiez par votre réflexion sur les actions les plus évidentes à faire pour vous.

Aucun temps mort, aucun ennui, on a toujours à songer à ce qu’on va faire, même quand un autre joueur vous prend de court ou même, achète le dé que vous convoitiez chez le joueur neutre ou, même même même, parfois vous achète votre précieux dé à vous, car même un 1 permet de se hisser au sommet de la cathédrale pour y ériger une jolie rosace et vous faire gagner influence et renommée, surtout quand le pape Urbain vous chaperonne…

D’ailleurs, quel plaisir que cette idée d’offrir à chaque joueur un personnage pour guider ses pas dans le secret, un plaisir pour les autres joueurs car on s’observe, on analyse les choix des autres pour tenter de deviner quel est ce personnage qui nous fera à nous aussi gagner des points si on le reconnaît.

Et aussi, j’aime le bruit des dés quand je les lance sur ma table, encore plus celui qu’ils font lorsque je les pose sur le plateau, j’aime manipuler les meeples, les voir comme des habitants peuplant la ville, voir ces cubes qui représentent des matériaux pour la cathédrale, de la force de frappe contre les agresseurs, de la main-d’œuvre tentant de parer à l’inéluctable, j’aime manipuler les points de renommée, petits mais épais, j’aime les illustrations des cartes, leur iconographie en harmonie avec le style global du jeu, mais quel dommage, ah oui quel dommage vraiment, que la photo qu’on voit partout ne lui rende pas justice ! Et en même temps, cela participe de notre histoire, à ce jeu et moi.
 
Je n’en ai donc fait que troyes parties pour l’instant, mais je peux déjà dire que ce jeu, je l’aime, j’y pense tout le temps, je dormirais avec, même, si j’avais besoin d’un doudou pour faire de beaux rêves !
 
Il va falloir que je sache doser mes demandes avec Junior et monsieur Proute, pour ne pas les braquer à force de le proposer.
 
Je profite donc pour l’instant de cet état de béatitude dans lequel je me trouve, de ces moments d’attente avant une prochaine partie, de ces moments où je me souviens du plaisir procuré par la partie précédente…
 
Je me sens comme une jeune fille amoureuse, un sentiment frétillant plutôt agréable, non ?

Je vous l’accorde, c’est un peu fou, tout ça, et jamais je ne pourrai m’ouvrir à quiconque de cet agréable sentiment, si ce n’est ici, sur Tric Trac, où je sais que certains d’entre vous peut-être pourront me comprendre.
 
Et ce soir, je vais jouer à Troyes avec monsieur Proute, le grand amour de ma vie.

Sympa à lire …

Ouais, sur le coup, je trouvais le pavé un peu gros, et en fait j’ai tout lu d’une traite avec un grand plaisir.
Au milieu des râleurs et des blasés, c’est sympa de prendre le temps de se rappeler pourquoi on aime ce loisir, et ce que ça fait que de tomber amoureux d’un jeu, parfois…

Merci pour la prose, qui est bienvenue a bien des égards:
ce n’est pas le jeu qui buzze en ce moment, donc ca fait du bien de lire autre chose
C’est un bon jeu
C’est agréable a lire, et comme dit Chakado, c’est bien le positivisme

Sur ce, amusez vous bien !

Proute dit :

Je vous l'accorde, c'est un peu fou, tout ça, et jamais je ne pourrai m'ouvrir à quiconque de cet agréable sentiment, si ce n'est ici, sur Tric Trac, où je sais que certains d'entre vous peut-être pourront me comprendre.
 
Et ce soir, je vais jouer à Troyes avec monsieur Proute, le grand amour de ma vie.
 

Pas de soucis, dis-toi qu'on est nombreux ici à pouvoir comprendre ce que tu exprimes à propos de Troyes. 
Il fait partie des jeux que j'aime beaucoup, et j'en ai joué de nombreuses parties avec et sans extensions. 
Personnellement, il y a des jeux comme ça qui me donnent des sensations ludiques différentes par rapport aux autres; Par exemple avant d'entamer une partie de Fief, de Byzantium, de Brass, de Fortune de mer ou autres, j'ai toujours un petit frisson, je prends un peu de temps pour me concentrer avant de "rentrer" dans la partie avec une motivation particulière. J'aime bien y jouer sans explication de règles préalables, avec des connaisseurs quoi... ça par contre c'est plus difficile, mais quand cela arrive, pfiou ! c'est quelque chose... Tu as raison d'aimer un jeu de cette façon là, ça évite d'être blaser, de jouer trop mécaniquement, et c'est comme cela que l'on se fabrique des souvenirs de moments ludiques avec de bonnes sensations. 

Alcibiade dit :

...de Byzantium, de Brass, de Fortune de mer ... 

Tu as très bon goût effectivement 

Et effectivement, Troyes fait parti de ces jeux hors normes :
- qualité d'édition au top
- beauté graphique (c'est subjectif mais moi j'adore)
- standard de facto quand on parle de jeu de gestion avec dés

Il fait parti des jeux que je ne revendrai jamais.

Génial ! Et oui Troyes est un jeu fantastique, je crois que c’est le jeu qui est le plus sorti depuis que l’on joue. 

Jamais deux parties pareilles, toujours le couinement d’un joueur qui regarde son lancé de dés, un “oh putain le con” quand quelqu’un se fait acheter un dé indispensable et j’en passe… 

Sa durée de vie me paraît juste illimité, j’ai l’impression de découvrir un nouveau jeu à chaque fois que j’observe la combinaison de cartes à laquelle on a eu droit. 

Si tu aimes tant ce jeu, je te conseille fortement de faire l’acquisition de l’extension, qui rajoute un tas de choses sympas!

Tristan.

Bonjour,

Ben pour moi, Troyes est juste mon top 1 tous jeux confondus… rien que ça… laugh
Suivi par Dungeon Lords mais ça c’est une autre histoire.

a++
Manubis.

fdubois dit :
Alcibiade dit :

...de Byzantium, de Brass, de Fortune de mer ... 

Tu as très bon goût effectivement 
 

Merci. Il y en a un que j'aurais pu citer aussi, le genre qui m'oblige à respirer à fond avant de commencer à cogiter sur mon futur parcours et avant chaque choix de carrière... c'est, et je sais que tu y seras sensible, De Vulgari Eloquentia. Un sacré morceau dont chaque partie laisse une trace dans la mémoire de ses aficionados. N'est-ce pas ? 

Je plussoie à 400 000 tt ce qui à été dit sur cette perle ludique !
Bon, Msieur seb duj, à quand une version deluxe ?

Merci pour vos mots…

Nous avons finalement joué deux parties hier soir.

Un de plus parmi les nombreux joueurs qui apprécient ce jeu :wink:

Merci pour cette agréable lecture, on se sent compris, donc moins seul. :wink:

Merci Docky.

J’avais loupé ce fil.
Très beau récit Proute. Et je le répète : j’ai vraiment la même histoire de chats et de souris avec ce jeu.


Pour la photo c’était Jahwork je pense. Les dates concordent.
https://www.trictrac.net/forum/post/36b4613232338f612e7da9ad8351aa5e8c1b

Eh bien merci à Jahwork, sans lui, rien n’eut été pareil.

Et merci el payo, d’avoir retrouvé la photo.

Je déterre ce topic car j’avais pu te lire, Proute, sur un autre topic concernant Troyes, le fait qu’il t’intimidait au départ en voyant notamment certains noms de joueurs que tu qualifiais de “gros joueurs” y jouer et que pour ton “petit cerveau”, ce jeu ne devait sûrement pas être pour toi.

Puis tu indiquais que au bout de quelques mois de réflexion, tu t’étais lancée dans son achat et que pour la suite, il fallait te lire sur un autre topic, celui ci.

En fait, je n’avais jamais pris le temps d’aller chercher ce topic et aujourd’hui, j’ai enfin pu te lire !

Tout ça pour écrire que j’ai passé une bonne lecture sur ce jeu qui m’attire de plus en plus !

Mais à savoir qu’une version deluxe est au programme pour 2020, je suis maintenant obligé de prendre mon mal en patience !

Merci pour ce beau compte-rendu de ta découverte de Troyes qui donne encore plus envie de le posséder !

Et merci également à Sebduj et ses compères d’avoir créé ce jeu qui semble fabuleux !


Et plus de 50 parties après… J’aime toujours autant y jouer !

STAG dit :[...]

Mais à savoir qu'une version deluxe est au programme pour 2020, je suis maintenant obligé de prendre mon mal en patience !

[...]

C'est confirmé ça ?

Il n’y a encore rien de confirmé mais sur un autre topic, Sébastien DUJARDIN demandait ce qui pourrait être amélioré sur ce jeu pour fêter ses 10 ans.
Il était très occupé sur 2019 (Black Angel j’imagine) et indiquait que ce serait plutôt pour 2020 qu’il “pourrait” y avoir une réédition spéciale.

Donc wait & see !