Stronghold: journaux de l'auteur du jeu

Ceci est une traduction des journaux du créateur du jeu, publiés sur Boardgamenews. J'espère que vous me pardonnerez si la traduction est parfois imparfaite.

Ignacy Trzewiczek : Journal du concepteur du jeu #1 - Stronghold

Je m'en rappelle comme si c'était hier. J'étais dans un pub, le Kredens, avec le cercle de joueurs se développant lentement à Gliwice, une ville en Pologne méridionale avec une population de 200.000 habitants. Goor, Tiju et Bors étaient tous de nouvelles connaissances, et je ne les connaissais pas très bien à cette époque. Pour participer à cette soirée j'ai apporté Neuroshima Hex. Mes nouvelles connaissances l'ont regardé, ont secoué leurs têtes et dit, non, nous allons plutôt jouer à autre chose. Ils ont perçu le jeu comme particulièrement inintéressant. Beaucoup de mois plus tard ils sont devenus de grands fans du jeu, participant aux tournois et aux parties régulières - mais à l'époque, cette première rencontre avec NS Hex avait été extrêmement négative : Des tanks, des mutants, qu'est-ce que c'est… ? Jouons à autre chose.

A l'époque j'ai discuté longuement de NS HEX avec le chef de Rebel.pl, Piotr Katnik, qui m'a expliqué ceci : « Trzewik, c'est un très bon jeu, mais son thème fait fuir la majorité des clients. Personne n'achètera un jeu sur des mutants combattant des gangsters, sur des robots du futur et des résistants. Convertis-le en guerre des elfes contre les nains, fais une nouvelle édition et les ventes augmenteont de 300%. »

Peu de gens se rappellent de ces discussions maintenant parce que Neuroshima Hex est le plus grand et le plus connu jeu polonais, mais il y a trois ans le jeu avait deux traits distinctifs : de très bonnes critiques (avec des articles de Pedrak et Folko ; félicité par Bazik et Pancho parmi d'autres) et pratiquement aucune vente. Cela a pris beaucoup de mois de dur labeur à promouvoir le jeu, à participer à des conventions et à organiser des démonstrations pour pouvoir finalement amener les fans de jeu de plateau à ce jeu. Soudain les ventes ont monté, soudain la première édition a été épuisée en un rien de temps, et nous pouvions commencer à envisager une réédition - mais le début était horrible.

Nos difficultés avec Neuroshima Hex nous ont fait beaucoup réfléchir. Quand vous regardez les étagères dans un magasin de jeu, ce qui retient votre regard sont les boîtes de la crique des pirates (un jeu avec des pirates !), Galaxy trucker (un jeu avec des contrebandiers de l'espace !), Ghost Stories (un jeu avec des exorcistes !) - des jeux avec un tel thème que vous saisissez la boîte sans réfléchir à si la mécanique est innovatrice, si le jeu vient d'un auteur identifié, ou si le prix est de 20$ ou de 25$. Vous regardez l'étagère, voyez un jeu sur des zombies, et pensez automatiquement : « Cerveauuuuuuuux ! »

Je ne dirai pas que le thème d'un jeu est le plus important, que cela est plus important que la mécanique, mais je n'ai aucune doute aujourd'hui sur le fait que les deux sont également importants, que si vous avez deux jeux de qualité avec des règles bien rédigées, vous choisirez celui sur la formule 1 et pas celui sur le pâturage des chèvres.

Quelque part autour du début de 2008, quand nous avons su que nous éditerions Witchcraft cette année, nous nous sommes assis dans Portal et avons discuté de nos plans pour 2009. Nous avons décidé que nous avions besoin d'un sujet intéressant pour un jeu, un en qui nous croirions nous-mêmes, un pour lequel nous pourrions créer des règles intéressantes, et bien le tester et l'équilibrer. Mais avant que tout ceci ne puisse se produire, avant que nous commencions la création des règles, nous devions trouver un bon thème. Je me rappelle avoir dit à Michal Oracz, « écoute, prenons une feuille de papier et écrivons tous les thèmes sympas, colorés, aventureux auxquels nous pouvons penser. Il y a des tonnes de jeux sur les Vikings et les pirates. Nous avons besoin de quelque chose de semblable, de quelque chose lié à notre enfance et aux choses qui nous fascinaient. Days of Wonder le fait de cette façon et a une liste impressionnante de jeux, des gladiateurs à Cléopâtre aux chevaliers du Roi Arthur. »

C'était le début de 2008, donc nous ne nous sommes pas dépêchés puisque nous savions que nous aurions beaucoup de temps. Nous avons exploré nos souvenirs d'enfance et nous sommes demandés lesquels pourraient être convertis en jeu de plateau, un jeu qui apporterait un sentiment positif juste en étant posé sur une étagère dans un magasin.

« Stronghold ! » J'ai dit un jour en entrant dans le bureau de Portal - « une forteresse. » Quelques moments ont passé avant que Michal et Multidej comprennent, alors que je me tenais à la porte, attendant leur réaction en suspens. Enfin j'ai vu dans leurs yeux ce que j'avais moi-même ressenti. C'était ça : Stronghold

Ça à l'air bien, a admis Michal.

« On peut en faire quelque chose de bien, » j'ai pensé. « Nous ferons un Westerplatte » - la péninsule à Danzig où les Allemands ont lancé l'invasion de la Pologne et de la deuxième guerre mondiale en envoyant des milliers de troupes contre une garnison polonaise de seulement 182 soldats, une garnison qui tenu face à l'attaque pendant six jours en dépit des probabilités en leur défaveur. Westerplatte est la première chose que les enfants en Pologne apprennent à l'école, et c'est un grand symbole de courage et de patriotisme dans notre pays.

« Les défenseurs sont peu, et ils défendent une forteresse, entourée par les forces ennemies. Le joueur attaquant a un nombre illimité de forces, des piles de troupes, et donc il ne s'inquiète pas des pertes. Le défenseur a seulement une douzaine d'hommes environ sur les murs, et chaque homme tombé sur le mur est une catastrophe pour lui. Et vous savez, des machines de siège en grand nombre, des catapultes, des balistes, des trébuchets, des projectiles volant et heurtant les murs, des défenseurs versant de l'huile bouillante sur les forces ennemies, mais ce ne sera pas suffisant parce qu'ils sont trop nombreux. Une section du mur est détruite par une catapulte, et il faut y amener plus de forces, mais il n'y a plus de soldats à envoyer. Le défenseur a perdu trois hommes, et il ne peut pas entièrement défendre le mur, il y a des brèches à colmater, et l'envahisseur attaque inlassablement, une autre volée de catapultes est envoyée, visant l'hôpital dans le château… »

Je me suis tenu là dans la porte, ou peut-être déjà à l'intérieur, je ne me rappelle pas. Je sais que j'étais dans ce château, j'ai vu ce combat, j'ai vu le flot des attaquants et ces défenseurs désespérés, cette poignée de soldats, ordonnée d'aller de mur en mur par leur commandant, répondant à une menace dans une section, puis allant ailleurs parce que l'envahisseur a brisé les défenses, et à l'arrière, et ici et là… J'ai senti les émotions. J'ai imaginé les conséquences maléfiques des actions des attaquants et le désespoir des défenseurs.

Un siège de château. Des catapultes, des chaudrons avec de l'huile, des héros combattant sur les murs.

C'était ça. Nous avions un thème.

Merci !

Itai dit: [...]
Je ne dirai pas que le thème d'un jeu est le plus important, que cela est plus important que la mécanique, mais je n'ai aucune doute aujourd'hui sur le fait que les deux sont également importants, que si vous avez deux jeux de qualité avec des règles bien rédigées, vous choisirez celui sur la formule 1 et pas celui sur le pâturage des chèvres [...]

Itai dit:Je me suis tenu là dans la porte, ou peut-être déjà à l'intérieur, je ne me rappelle pas. Je sais que j'étais dans ce château, j'ai vu ce combat, j'ai vu le flot des attaquants et ces défenseurs désespérés, cette poignée de soldats, ordonnée d'aller de mur en mur par leur commandant, répondant à une menace dans une section, puis allant ailleurs parce que l'envahisseur a brisé les défenses, et à l'arrière, et ici et là… J'ai senti les émotions. J'ai imaginé les conséquences maléfiques des actions des attaquants et le désespoir des défenseurs.
Un siège de château. Des catapultes, des chaudrons avec de l'huile, des héros combattant sur les murs.
C'était ça. Nous avions un thème.

La je suis clairement d'accord avec lui. Je vais m'intéressé de près à ce nouveau jeu, parce qu'en plus le thème il me titille.

La suite dès que je trouve le temps... 8)

:pouicok: bien que ça va pas m'aider à résister :mrgreen:

merci, super :)

Merci pour ton boulot de trad' Itai, c'est passionnant à lire.

Ignacy Trzewiczek : Journal du concepteur de jeu #2 - par les yeux de mon âme

La première étape de la conception d'un jeu est extraordinaire. Je n'ai aucune idée de la manière dont d'autres auteurs créent des jeux, quel est le processus pour Knizia, Kramer ou Faidutti. Je sais comment je le fais. C'est quelque chose de très étrange : J'imagine des personnes jouant à mon jeu.

Au début je ne m'inquiète pas du tout de la mécanique. Je ne fais pas une ébauche pour une idée sympa d'enchères, je ne prends pas de notes sur une manière intéressante de tirage de cartes. Je conduis ma voiture, écoute de la bonne musique, et imagine des personnes jouant à mon jeu. Je pense à quelles émotions je veux aboutir, je pense à ce que je voudrais que les joueurs fassent pendant le jeu. J'imagine la partie entière. Après je trouverai les règles qui fourniront les sensations et les émotions auxquelles j'ai rêvé.

À quoi les premières images de Stronghold ont-elles ressemblé ? Comment est-ce que j'ai imaginé le jeu ?

Dans le premier article de cette série j'ai employé le mot Westerplatte, et justement. C'est ainsi que j'ai imaginé le jeu : D'énormes troupes d'invasion d'un côté, et quelques défenseurs de l'autre. Une vague de troupes sans visage, une masse énorme de soldats d'un côté et une poignée de soldats soutenus par quelques personnages spéciaux de l'autre. D'un côté les régiments successifs des attaquants, de l'autre quelque chose qui ressemble à la Communauté de l'Anneau, avec un Aragorn charismatique, un Boromir courageux, un Gandalf sage. Je voulais un sentiment de l'inévitabilité de la défaite du château, je voulais que le joueur attaquant ait un sourire sinistre sur son visage, qu'il soit certain qu'il entrera finalement dans le château, que ce sera juste une question de temps. Je voulais qu'il amasse ses troupes sur les murs, qu'il construise des catapultes et des engins de siège et qu'il contrecarre les efforts du défenseur désespéré avec une satisfaction cruelle.

De l'autre côté j'ai imaginé ce défenseur, un joueur avec quatre ou cinq héros sur les murs qui aident les troupes du défenseur à persévérer, qui grâce à leurs talents uniques permettent aux défenseurs de résister à la pression de l'ennemi. J'ai imaginé le joueur défenseur déclarer qu'Aragorn fait un discours devant les troupes, que chaque soldat sur le mur dispose maintenant d'un bonus en force de +1, j'ai imaginé Boromir charger dans la masse des ennemis et retirer tous les marqueurs de l'envahisseur sur une des sections du mur. J'ai imaginé l'envahisseur reconnaître ce revers avec un sourire de mépris et chuchotant : « C'est ton dernier tour. Tu as bien tenu, mais maintenant c'est la fin... »

Dans ces suppositions initiales, rapidement imaginées, je voulais que le défenseur gagne en survivant dix tours, ou perde si l'envahisseur pénétrait dans le château. Par la suite cette condition a changé, mais c'était mon approche au début : Un plan à réaliser et la pression de forces constantes contre l'improvisation et le constant colmatage de brèches. D'énormes troupes d'invasion contre des défenseurs uniques et puissants, chacun ayant seulement quelques talents. Des catapultes heurtant les murs tour après tour, un combat sur les murs, où dix envahisseurs tombent pour deux défenseurs - mais pour l'envahisseur dix pertes ne sont rien, tandis que deux hommes tombés pour le défenseur le rapprochent d'autant de la défaite.

Cette visualisation du jeu est une aventure fascinante. C'est une étape où tout est possible, un moment où je peux peindre les scènes les plus intéressantes dans ma tête et imaginer que les règles de jeu parviendront à porter mes rêves et à les rendre réels. Et que je pourrai créer la mécanique de jeu qui fournira les émotions et les impressions que je vois dans mes rêves. Et que dans quelques mois, quand les joueurs s'assiéront pour jouer à ce jeu, il y aura ce sourire cruel plein d'assurance sur le visage de l'envahisseur, et le visage du défenseur sera celui d'un commandant courageux qui a seulement quelques soldats, mais qui ne se rendra pour rien au monde, un homme qui fera tout son possible pour utiliser chaque règle que j'aurai créée pour tenir le château jusqu'au dixième tour.

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Je suis allé à Varsovie en décembre 2008 rencontrer des amis, et nous avons joué, nous nous sommes amusés et avons discuté de jeux. À un certain moment une question a été posée : « Trzewik, tu connais beaucoup de jeux. Écoute, je recherche un jeu qui ne place pas les joueurs dans la même position. Tu sais, toutes les fois que j'achète un jeu, chaque joueur commence avec exactement la même chose, les joueurs poursuivent le même but, pour apprendre par la suite qui, avec la même position de départ, a fait mieux. Je recherche un jeu différent. Un jeu avec différents buts pour différents joueurs, ou avec différentes positions de départ, je ne sais pas, quelque chose qui me ferait ressentir que chaque personne à la table met en application une tactique différente. Qu'est-ce que tu recommanderais ? »

Pauvre de moi, qu'étais-je censé faire ? Le type me prend pour une autorité, me demande directement un conseil, et je le regarde fixement sans arriver à penser à rien. « Tu sais, je ne sais pas. Dans Starcraft de ce que je sais les races sont toutes différentes. Dans NS HEX, les armées sont aussi complètement diffèrentes… »

Ce n'était pas ce qu'il avait espéré. « Mais tu sais, il faudrait que cela soit vraiment différent, pas juste qu'un joueur ait une capacité différente, mais que chacun des joueurs joue différemment. Le plateau serait le lieu où ils s'affrontent, mais leur objectifs et les outils pour les réaliser seraient complètement différents. »

Je le regardais, regardant le mur derrière lui. Je passais en revue mentalement toutes les boîtes sur l'étagère de ma maison, et il avait raison. Dans ces jeux les joueurs ont la même position de départ, le même but, et au cours du jeu ils voient qui a atteint ce but plus efficacement. Finalement je me suis rappelé de Stronghold. « Tu sais, je ne sais pas s'il y a un tel jeu, je ne peux m'en souvenir d'aucun. Mais l'année prochaine il y en aura un. J'ai passé du temps à travailler à un jeu depuis quelque temps déjà, un jeu de plateau sur le siège d'un château. Les joueurs sont dans des situations totalement différentes, et ont des outils totalement différents pour atteindre différents buts. Cela pourrait être ce que tu recherches. Et je peux te dire qu'en travaillant dessus je ne m'étais pas rendu compte à quel point il était innovant. Je n'avais jamais fait attention. »

Depuis cette conversation j'ai régulièrement veillé à rendre l'amusement de l'envahisseur et du défenseur différents autant que possible. Peut-être que ce sera ce point qui fera de ce jeu un succès.

Ignacy Trzewiczek : Journal du concepteur de jeu #3 - La piste de Prinz

Peter Prinz est entré dans les livres d'histoire du jeu de plateau en créant Thèbes et en nous donnant à tous un outil de conception extraordinaire sous la forme d'une piste de temps autour du plateau de jeu. Dans son jeu de société au sujet d'archéologues, les joueurs prennent différentes actions qui, selon leur type, prennent plus ou moins de temps, et ces actions sont enregistrées sur la piste du temps. Un joueur va à Moscou, gaspillant quatre semaines dans le processus, alors qu'un autre reste à Londres, écoutant des conférences pendant ce temps et parvenant même à aller à Paris. Un joueur va en Égypte, y passant cinq semaines et se déplaçant le long de la voie de temps par un grand nombre de cases, alors que pendant ce temps un autre joueur parviendra à faire beaucoup d'actions courtes, sautant seulement une ou deux cases à la fois. C'est une grande invention - et je l'ai volée avec plaisir. Elle a fait partie de Stronghold depuis le début.

Dans le jeu de Prinz les joueurs retournent des cartes et choisissent celle qui les intéresse le plus, consacrant un certain nombre de temps à cette carte. Dans Stronghold il y a encore plus de stress lié au temps, faisant fonctionner la piste du temps de Prinz encore mieux. Le défenseur et l'envahisseur ont toutes les options devant eux. Ils n'attendent pas qu'une carte arrive, ils n'évaluent pas sa valeur. Tout ce qui est possible est disponible immédiatement, visible à tous. L'attaquant a une gamme entière d'actions : Il peut choisir de construire une catapulte ou de former ses soldats, il peut décider de déplacer ses troupes et d'attaquer les murs. C'est lui qui décide ce qu'il veut faire. Il prend une décision, et un des facteurs les plus importants dans ce processus est la réponse à la question : « Est-ce que j'ai le temps de le faire ? » Imaginons la situation suivante :

L'envahisseur construit une catapulte, qui est un processus long ; disons quarante unités de temps. Maintenant c'est le tour du défenseur, et il décide quoi faire : Il peut renforcer les murs deux fois avec ce temps. Il peut commencer à construire une baliste. Il peut se déplacer vers une section du mur et même parvenir à former deux soldats. Il décide, il a le choix. Il décide de construire une baliste, ainsi c'est à nouveau à l'attaquant, qui choisit d'aller de l'avant, ne donnant pas de temps au défenseur. Il abandonne son plan de construire une autre engin de siege et se dirige immédiatement vers les murs. Ceci lui prend seulement deux unités de temps, ainsi le défenseur a maintenant seulement une case sur la piste de temps qu'il peut utiliser. Il peut faire quelque chose de court, simple, avant que le tour de l'envahisseur ne reprenne…

La piste de Prinz semble avoir été créée particulièrement pour Stronghold. Les émotions que les joueurs ressentent en décidant de la prochaine étape doivent être énormes. Est-ce que vous prenez une action simple et faible pour pouvoir jouer en permanence, ou est-ce que vous vous arrêtez, décidez de faire quelque chose de grand et de puissant, mais en laissant le jeu actif pendant un temps considérable et observant comment l'adversaire agit autour du plateau action après action ? La réalisation de ceci a seulement nécessité de donner aux joueurs un choix intéressant et différencié d'actions disponibles, puis de regarder comment ils font chauffer leurs cerveaux, comment ils changent de tactique, comment ils prennent le risque de commencer une action prolongée, se condamnant à observer sans rien pouvoir faire comment l'adversaire se prépare à les défaire.

De plus, plutôt que d'avoir un pion pour chaque joueur qui se déplace sur la piste du temps, comme dans Thèbes, j'ai pris ce pion et l'ai divisé en plusieurs pions - un pour chaque personnage dans Stronghold. Après tout, le défenseur a plusieurs personnages, et chacun d'eux peut prendre des actions spéciales : Le sorcier peut jeter différents sorts, le chef peut faire plusieurs choses sur le mur, etc.

Le tout commençait à prendre la forme d'un roman épique, et pour voir tout le cours du jeu tout ce qu'il y avait à faire était de fermer ses yeux pour un instant. Le sorcier décide de jeter un sort puissant, donc son pion avance de huit cases sur la piste du temps. Le défenseur de château sera sans son appui pendant longtemps, mais une fois que ces huit « heures » seront passées les troupes d'invasion s'en prendront plein la tête. Le prêtre dans l'hôpital décide de guérir quatre bléssés, qui lui prendront quatre « heures ». L'officier, pendant dans ce temps, court le long des murs résolvant des problèmes utilisant les moyens les plus simples et les moins onéreux. Les pions de l'envahisseur sont également étalés sur toute la piste du temps. L'ingénieur s'est consacré à la construction d'une tour de siège et a disparu pendant dix « heures », le guerrier se jette sur le mur et a systématiquement massacré les soldats les plus faibles du défenseur, consacrant une « heure » à chacun d'eux…

Vous pouvez voir le passage du temps. Vous pouvez voir les hommes se répartir à travers la bataille, occupés avec leurs actions, vous pouvez voir les efforts des deux côtés pour s'approprier et contenir la confusion de la bataille. Vous pouvez voir l'envahisseur essayer de tirer profit « de l'absence de huit heures » du sorcier ennemi. Vous pouvez voir l'officier du défenseur, se rendant compte maintenant qu'il doit faire tout son possible pour tenir le château, employant même les plus petites règles du jeu pour survivre à ces huit « heures » sanglantes, en l'absence du sorcier, qui est occupé avec son sort.

J'ai vu tout cela avec les yeux de mon imagination, et j'ai su que cela fonctionnerait brillamment.

Et alors j'ai ajouté encore plus de scénario et d'émotions à la piste. J'en ai peint une partie en noir, pour marquer la nuit. Pendant la nuit l'envahisseur recevait un bonus de +1 en force à toutes ses unités. Les défenseurs effrayés savaient que quand les marqueurs de temps atteindraient les places foncées, l'attaque débuterait. Ils savaient que seulement cinq, quatre, puis trois heures les séparaient de la tombée de la nuit… Je leur ai donné une récompense, aussi, un espoir avec l'arrivée de l'aube. Avec le nouveau jour, toutes les forces de défense obtiendraient un bonus de force, leur fatigue s'estomperait, les blessés guériraient plus rapidement. Un nouveau jour, un nouvel espoir, une nouvelle force.

La piste de Prinz a semblé être une invention qui d'une manière ridiculement simple transformerait le jeu entier en conte épique.

Évidemment, cela n'a pas été le cas.

Le premier signe de problème est apparu quand je jouais à Novembre Rouge de Bruno Faidutti. Faidutti, comme moi, est tombé amoureux de la piste de temps de Thebes, et comme moi il a voulu l'employer dans son jeu. J'ai joué à Novembre Rouge quatre fois et à chaque fois il y avait des problèmes avec la piste de Prinz. Les joueurs ne comprenaient pas qui pouvait faire quoi et quand, combien d'actions ils pouvaient faire, quand ils devraient s'arrêter, à qui le tour était. Quelque chose de fâcheusement inconcevable se produisait. Le fonctionnement excellent de la piste de Prinz dans Thebes d'une certaine manière ne fonctionnait pas dans de manière convaincante dans le jeu de Faidutti. Elle devenait gênante et forçait les joueurs à relire le manuel pour s'assurer de ce qui a était possible et ce qui ne l'était pas.

Plus tard, un des tous premiers prototypes de Stronghold était prêt à jouer. Je jouais avec Salou, le propriétaire du magasin « U Zyrafy » à Gliwice. Nous nous asseyions avec la première version du plateau devant nous, beaucoup de pions, de notes. Les personnages avaient leurs actions notées, nous avons commencé à jouer.

Nous nous sommes arrêtés rapidement et cela s'est produit comme ceci :

L'officier a pris une action et a déplacé de quatre cases. Le sorcier a pris une action et s'est déplacé de six cases. Le prêtre… Je ne voulais pas qu'il prenne une action tout de suite, du coup le prêtre ne s'est pas déplacé. Mais c'était son tour maintenant. Mais je n'avais pas besoin qu'il prenne d'action. Mais c'était son tour maintenant, donc il devait faire quelque chose. Mais je ne voulais pas...

Une correction rapide a été créée. Un joueur pourrait dire qu'il passe et le pion de ce personnage se déplacerait sur la piste vers le personnage le plus proche. Cela semblait fonctionner.

Cela ne fonctionnait pas. Après dix minutes nous avons convenu que le jeu n'était pas censé ressembler à celà, que la piste merveilleuse de Prinz était précaire dans Stronghold. Le jeu s'est transformé en « je passe » en permanence parce que très souvent un personnage n'avait pas besoin de faire d'action.

Plusieurs mois à imaginer le cours du jeu, à prendre des notes, à esquisser des règles - tout cela basé sur la piste de Prinz. Il semblait que je pouvait prendre tout cela et le jeter à la corbeille.

J'étais effondré.

Les tiroirs des auteurs de jeu sont pleins de diverses, plus-ou-moins intéressantes idées pour des jeux. Leurs casiers sont pleins d'excellentes mécaniques, qui ne semblent pas fonctionner de quelque façon que ce soit. J'en sais quelque chose...

Ignacy Trzewiczek s'est-il remis de cet échec ? Le jeu Stronghold est-il tombé aux oubliettes ? La suite au prochain épisode... :mrgreen:

Vraiment passionnant, je vibre avec lui :D

Grand fan de la p iste de Prinz comme il l'appelle je me suis laissé porter par l'euphorie en lisant ça... et paf, la même déception (enfin la même surement pas mais déçu aussi) à la conclusion...

Merci encore pour ta traduction c'est génial.

c'est vrai qu'il nous tient bien en haleine avec ses tests de la piste de Prinz. vivement la suite :pouicbravo:

Très intéressante, ces réflexions, ce processus de création.
Un grand merci pour la traduction :pouicok:

j'ai jamais lu un carnet de bord d'un auteur mais là j'ai envie d'acheter le jeu haha pr l'aider!

en tout cas ce qu'il cherchait a faire me plait enormément :)

merci pr les trad

Allez, le suspens va enfin prendre fin, voici la suite... 8)

Ignacy Trzewiczek : Le journal du concepteur de jeu #4 - les Sabliers

La piste de Prinz n'a pas répondu à mes espérances et il semblait que Stronghold allait être paralysé pendant des semaines. Salou et moi jouions le deuxième ou troisième tour, et nous pouvions clairement voir que la piste du temps ne fonctionnait pas, et qu'il n'y avait pas de correction possible fonctionnant non plus. Heureusement la solution a nécessité juste un moment de réflexion de la part de mon adversaire : « Pourquoi les pions se déplacent-ils autour de la ligne de temps ? Cela ne fait que poser des problèmes. Quand je choisirai une action, je te donnerai quelques points. Tu les dépenseras quand tu voudras, et voilà !. »

Parfois trouver une solution se produit comme ceci : Quelqu'un doit vous convaincre de leur idée. Vous avez un plan dans votre tête, vous y êtes habitué, vous y êtes attaché, et vous écoutez seulement à contre-cœur les avis des autres. Et parfois quelqu'un dit deux mots, et vous savez immédiatement qu'ils ont raison. Vous finissez la phrase avec eux - comme cela s'est produit dans ce cas-ci. En un instant j'ai compris que Salou avait raison à 100%. Le déplacement des pions le long de la piste du temps causait de la confusion inutile. Il devait y avoir une autre manière d'implémenter le passage du temps.

J'ai rangé le prototype. « Je vais y réfléchir. Nous jouerons la semaine prochaine - avec des points. »

Une semaine a passé, et nous avons à nouveau joué, et le jeu fonctionnait bien mieux qu'avec la piste du temps. Et ainsi les Sabliers sont nés. La piste de Prinz a été vite oubliée, reléguée dans Thèbes, où elle fonctionne tellement bien.

Les détails et les solutions spécifiques ont changé à différentes étapes du jeu, mais la règle de base et fondamentale des Sabliers est restée inchangée. Et bien que les dizaines d'éléments échoueront, jamais les Sabliers. Ils fonctionnaient de manière incroyablement simple et c'est pourquoi ils étaient si efficaces. Le joueur attaquant déclare ses actions et, selon leur type et leur nombre, il donne un certain nombre de Sabliers au défenseur, qui à son tour les dépense pour ses actions. C'est comme cela que cela devait fonctionner. L'envahisseur a l'initiative ; il est celui qui décide combien d'actions il va prendre. Rien ne le limite, et tout est dans ses mains. L'envahisseur a la satisfaction sinistre de décider du destin du défenseur, ce qui est exactement la manière dont je voulais que le jeu fonctionne. Il peut construire des catapultes et des balistes et donner au défenseur dix Sabliers avec lesquels il pourra développer une stratégie défensive, ou lui peut dire qu'il « passe » et ne lui donner aucun point du tout. Le défenseur ne peut agir que dans la mesure où l'envahisseur le lui permet, prenant autant d'actions que le nombre de Sabliers qu'il reçoit. Le désespoir est son état d'esprit.

Un des souhaits, une des images du jeu que j'avais eu pendant les premières semaines de travail sur Stronghold a été ainsi mis en application au niveau des règles. L'envahisseur est confiant dans ses actions, il fait ce qu'il veut, il a l'initiative. Le défenseur, lui est, et bien, en défense. Il dépend des attaquants, il prie pour chaque Sablier, prie pour chaque instant de temps qui lui permettra de préparer les défenses de sa forteresse.

Je pouvais maintenant me concentrer sur la prochaine série de problèmes à résoudre…

waou, je viens de parcourir tous les articles ...

tout d'abord merci pour la traduction,
ensuite, c'est exceptionnel de lire un livre comme ca ....
de suivre l'idée du créateur ...

l'idée de base du jeu me plaisait deja bien mais la, on comprend comment il faudra aborder le jeu de maniere à le jouer comme l'auteur l'a ressenti. Cela donne plus de profondeur au jeu

un seul mot : EXCELLENT..

sans doute, le premier jeu que j'acheterai des sa sortie sans attendre d'autres retours

ha il est trop fort ce salou :o et itai aussi 8)

Le coup des sabliers c'est exactement le même principe que la corruption dans le jeu de cartes à collectionner du Seigneur des Anneaux (celui de Decipher).

J'avais beaucoup accroché à ce mécanismes, j'espère qu'il en sera de même dans Stronghold.