[présidentielle 2007] Chiffrage des programmes

Je vous recopie un texte trouvé sur le net :


clair & net@ofce
une e-contribution des chercheurs de l'OFCE aux débats économiques et sociaux : Pourquoi nous ne chiffrerons pas les programmes présidentiels
Manifeste contre une déontologie en rase campagne
Il faut savoir le prix de l’argent : les prodigues ne le savent pas, et les avares encore moins.
Montesquieu




La campagne pour l’élection présidentielle débute à peine que déjà on interroge les experts pour leur demander d’arrêter les comptes en chiffrant les programmes. Le terme même de « chiffrage » est significatif, sa connotation étant davantage comptable qu’économique. Ce glissement sémantique n’est pas innocent, car il tend à véhiculer auprès de l’opinion publique l’idée qu’une arithmétique des programmes politiques est possible, et que parce qu’il s’agit d’argent public, le moins coûteux d’entre eux serait le plus efficace.
Une telle perspective est non seulement trompeuse, mais contraire aux exigences minimales de la déontologie économique. Elle est trompeuse parce qu’elle revient à affirmer qu’aucun investissement n’est rentable, qu’aucune entreprise ne vaut d’être créée. Elle contribue de ce fait à déprécier encore davantage l’avenir au prétexte de la comptabilité du présent. Elle est déontologiquement contestable, car le coût « ex ante » (c'est-à-dire sur le papier) d’une mesure ne nous dit rien quant aux bénéfices nets pour la société dans son ensemble que cette mesure produirait après sa mise œuvre. C’est la raison pour laquelle les économistes ne parlent pas de chiffrage, mais d’évaluation des programmes politiques. Il s’agit alors d’un tout autre exercice, qui exige l’utilisation de modèles économiques, dont tous sont fondés sur un ensemble d’hypothèses, qui, si elles n’étaient pas vérifiées, remettraient en cause les évaluations. Les choses se compliquent encore lorsqu’on sait qu’il existe des modèles alternatifs fondés sur des axiomes différents et qui de ce fait produisent des évaluations différentes. Aussi pour qu’un « chiffrage » soit recevable, il faut que sa publication soit associée à celle de l’indication du modèle utilisé et des principales hypothèses sur lesquelles il est fondé. Ce n’est évidemment pas le cas des chiffrages qui circulent aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle leur foisonnement actuel contribue davantage à obscurcir le débat qu’à l’éclairer.
Tenter d’évaluer l’impact d’une mesure proposée, à partir d’hypothèses explicites et débattues, est un exercice utile pour éclairer les choix publics. C’est l’un des métiers de l’OFCE et nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités. En revanche, évaluer un programme présidentiel dont la principale valeur tient à l’impulsion dynamique qu’il entend donner à l’économie et la société, plutôt qu’à la mécanique budgétaire sur laquelle il s’appuiera, nous semble au-delà de ce que la bonne économie peut faire. La fonction centrale du politique, surtout s’agissant d’élections présidentielles, est de mettre en scène l’avenir, d’indiquer le futur, et non de se perdre dans les méandres de l’ingénierie sociale et économique.



« Combien ça coûte » est le slogan de programmes télévisés et distrayants, ce n’est pas une méthode pour savoir si les options qui nous sont proposées par les candidats à l’élection présidentielle sont à la hauteur des enjeux.
La science économique, riche de toutes ses doctrines et de ses écoles, peut nous apporter des éléments de réflexion, des faits stylisés, des récits d’expérience voire des principes d’action. Elle peut aider à conforter nos convictions et à dépasser nos intuitions, nos préjugés. Parer d’objectivité un chiffrage ex ante qui refuse de prendre en compte les conséquences même des choix de société parce que leur évaluation est trop discutable, c’est jauger chaque candidat à une seule aune : sa capacité à réduire les coûts présents et donc son ambition pour le pays. Car il n’existe aucun objectif que l’on puisse atteindre sans instruments. Et les instruments majeurs de la réforme d’une société et de la construction d’un avenir sont les investissements qui représentent autant de coûts présents et de gains futurs. C’est bien parce que nous avons insuffisamment investi dans l’enseignement supérieur et la recherche que le rythme de croissance de notre productivité et donc de notre pouvoir d’achat sont si faibles aujourd’hui. C’est bien parce que le programme de Lisbonne – la belle ambition de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde – ne fut assorti d’aucun véritable instrument que ses résultats furent et demeurent si décevants. Nous n’avons exposé aucun coût, pris aucun risque, aussi sommes-nous aujourd’hui moins riches que nous ne l’avions prévu !
Ce serait donc rendre un bien mauvais service à la démocratie et à l’efficacité économique que de suivre la voie de l’enfermement comptable du politique. C’est précisément parce les choix de société sont irréductibles à la seule rationalité des « chiffres » qu’il est indispensable de les soumettre au débat public et à la démocratie.
Donner des éléments de cadrage, expliquer les débats théoriques et empiriques, évaluer en toute transparence des propositions bien définies, en acceptant de discuter leurs hypothèses, bien sûr ! Critiquer des programmes sous prétexte que l’on ne sait évaluer que leur coût et pas leurs bénéfices revient à sacrifier l’avenir au présent.


Jean-Paul Fitoussi, Président de l’OFCE
Xavier Timbeau, Directeur du département Analyse et prévision de l’OFCE




Je trouve qu'il y a du vrai dans ce texte...

Et j'aime bien le "C’est bien parce que nous avons insuffisamment investi dans l’enseignement supérieur et la recherche que le rythme de croissance de notre productivité et donc de notre pouvoir d’achat sont si faibles aujourd’hui."

Combien de myopes dans la campagne ?... (je ne parle pas des taupes)

J'avais bien aimé son intervention dans "C'est pas sorcier!" consacré au Budget de l'Etat, où il expliquait que si on faisait cadeau de la dette publique aux générations futures, on leur faisait aussi cadeau des routes, autoroutes, hopitaux, écoles, etc...