Philippe dit:Sinon, pour en revenir à mon interrogation sur le "système" qui serait mauvais, j'ai l'impression quand j'entends cela à un refus de la réalité et à l'appel à un nouvel utopisme - surtout quand la conclusion est qu'aucune formation politique actuelle capable de gouverner ne peut s'aprocher de ce projet alternatif.
Ah oui, les doux rêveurs, les "utopistes" (quel gros mot), qui ne veulent pas voir le monde tel qu'il est, qui ne veulent pas accepter la réalité (telle qu'on la leur décrit en tout cas), qui ne veulent pas admettre le "sens de l'Histoire" (qui à l'échelle de l'histoire humaine est vraiment encore en couches-culotte)... Effectivement, la messe est dite, ça clôt la discussion.
Croire que la dite réalité peut être améliorée, c'est un peu comme croire en un dieu, ça relève du dogme, de l'indémontrable, de l'espérance. Je ne tenterai donc pas de te convaincre, ce serait du temps perdu. En même temps je t'envie sincèrement, parce que ça évite de se poser trop de questions, c'est plus confortable.
Juste dire qu'entre la condition des travailleurs il y a disons 100/120 ans - pas loin, ce sont nos arrières grands-parents - et celle d'aujourd'hui, il y a eu des améliorations parce que la richesse globale s'est accrue (grâce à ces travailleurs) et surtout parce que certains essayaient de voir au-delà de la ligne d'horizon. Aujourd'hui l'illusion c'est de croire que ce système, la répartition de la valeur ajoutée, le fonctionnement du commerce ou des investissements au niveau global, le poids du système financier, la dégradation de l'environnement face à une consommation de masse d'une minorité de la planète, ce ne sont pas des fatalités, des conséquences "normales" : ça a été, ce sont toujours, des choix positifs, réfléchis, qui font volontairement l'impasse sur certaines données du problème. On te/nous les a présentés comme des choses "inévitables", "objectivement les meilleurs", pensées par des énarques et des technos du MIT, "loin des idéologies", "les plus garantes de l'avenir". Gros, gros mensonge. Ce sont des choix partiaux, qui défendent certains intérêts bien précis et reflètent une idéologie nettement définie et d'autant plus pernicieuse qu'elle est extraordinairement court-termiste (marrant d'ailleurs cette incapacité des apôtres de "la" globalisation - joli symptôme, ils devraient dire d'"une" globalisation, mais seuls les utopistes peuvent penser qu'il n'y en a pas qu'une - sont incapables de penser le monde au-delà de leur intérêts propres et privés à court-terme).
Il faut dire aussi qu'en tant qu'Européen de l'ouest, il vaut mieux y croire parce que c'est ce qui justifie notre petit monde et notre confort - et tant pis pour ceux qui campent sur le bord de la route. Ce fait n'est pas injuste en soi - des gens ont travaillé et travaillent dur pour construire la sphère historiquement et géographiquement la plus prospère et la plus sûre de l'histoire de l'humanité; et d'ailleurs il n'y a pas plus de justice que de sens divin de l'Histoire. L'idée n'est pas de s'autoflageller parce que d'autres n'ont pas notre prospérité, mais de réfléchir (certains ne font pas la différence entre une repentance vilipendée et ouvrir les yeux) aux conditions de notre prospérité et aux conséquences que cela implique, ainsi qu'aux changements à apporter.
Mais c'est compliqué, ça remet en cause plein de trucs, ça peut laisser un goût amer et c'est complètement inutile parce qu'utopiste. Donc surtout ne pas se réveiller.