Le jeu : Culture ou Loisir ?

Pour tout dire, je suis très mal à l'aise avec la définition de l'objet culturel. Comme le dit Mops, j'ai du mal à définir ce qu'est un objet culturel. Cela vient du mot culture qui a des significations multiples.

Pour reprendre la formule anglaise, le jeu est effectivement un objet d'entertainment. Sans problème.

Pour répondre au Docteur, je ne tiens pas particulièrement à exclure le jeu du champs artistique. C'est juste que je pense que le faire entrer au chausse-pied dans un tel champs risque de le desservir.

Je joue pour m'amuser et je m'amuse en jouant. Je ne m'amuserai pas plus si le jeu était reconnu comme faisant partie d'un champs artistique. De même, quand je parle de ma passion à d'autres gens, je dis que je m'éclate comme un petit fou.

Si je disais que c'était une pratique artistique ou culturelle, ma famille risquerait de me regarder avec un oeil compatissant en pensant que je suis bien mignon mais que je m'imagine un peu trop de choses sur le jeu de société. En gros, ils penseraient sans aucun doute que je m'y crois un peu.

En gros, je préfère voir un joueur qui s'assume (je joue parce que je m'éclate) qu'un joueur qui cherche à justifier sa pratique par la culture (je joue parce que le jeu me renvoie des réflexions sur la société).

En d'autres termes, je pense que le but premier des auteurs de jeu est d'amuser le joueur et pas de faire réfléchir le joueur sur la société ou sur un concept sociétal.

maester dit:En d'autres termes, je pense que le but premier des auteurs de jeu est d'amuser le joueur et pas de faire réfléchir le joueur sur la société ou sur un concept sociétal.


Je ne vois pas en quoi c'est incompatible. Par exemple, quand Spielberg fait Minority Report, il fait un divertissement qui porte une réflexion politique. Ça peut être fun et susciter la réflexion. Je ne vois pas le problème.

MOz dit:
Bushinone dit:J'ai avancé un concept de culture (qui est je crois suffisamment large pour être communément accepté), et selon ce dernier, le jeu est bien un objet culturel. Si tu veux préciser ou t'opposer à cette conceptualisation, nous pouvons en débattre.

Oui, d'accord, mais si tu prends cette définition, tout ce que produit l'homme est de la culture. C'est une définition trop large, car ce n'est pas la bonne problématique.


Absolument pas. Tout ce que produit l'homme est acte de structuration de la nature ? Je ne crois pas.

En ce qui concerne la problématique, je rejoins l'analyse du Doktor Mops selon laquelle la problématique posée par le topic n'est pas la bonne.

Pour répondre à maester.

Je ne vois pas trop en quoi la réaction d'un public ignorant de ce qu'est le jeu de société moderne est pertinente.

Quant à la portée sociétale du jeu, je ne suis pas d'accord avec toi. Si le but premier d'un jeu est d'être joué, le jeu reste malgré tout la modélisation d'une réalité : on remplace les lois scientifiques par des règles de jeu.
Ces règles sont bien l'incarnation d'une certaine vision du monde.
Bien entendu, le réalisme n'est pas le critère primordial de la conception d'une règle. Mais cela reste un critère.

P.S. : Psst, Docteur Mops, il n'y a pas de s à Duchamp :)

Bushinone dit:Absolument pas. Tout ce que produit l'homme est acte de structuration de la nature ? Je ne crois pas.

Quand il produit des choses, si. Je ne vois pas comment ça pourrait être autrement. Mais ce n'est vraiment pas la question.
Bushinone dit:En ce qui concerne la problématique, je rejoins l'analyse du Doktor Mops selon laquelle la problématique posée par le topic n'est pas la bonne.


Tout le monde est d'accord là-dessus. J'ai reproblématisé quelques posts au-dessus, en te répondant.

Docteur Mops dit:J'aime bien ce débat.
De toute évidence la création est un élément important dans la conception d'un jeu. Plusieurs acteurs du milieux dont je suis, militent pour l'acceptation du jeu en tant que produit culturel (pas art mais culture). Plusieurs raisons nous motivent, celles de légiférer sur le statut de créateur de jeu mais aussi de dépoussiérer une image d'activité perçue comme étant encore essentiellement puérile, tantôt désuète, tantôt réservée à un milieu geek underground.

Pour devenir un produit culturel, il devra se démocratiser.

Les acteurs du monde du jeu sont-ils prêts à remettre en cause les circuits d'édition/diffusion actuels ?

Manifestement, nous ne partageons pas non plus la même notion de production. Mais tu as raison, cela ne emmènerait trop loin du débat.

Quant à la reproblématisation, parles-tu de ta distinction objet de consommation vs. objet culturel ? Si c'est le cas, la réponse m'apparaît simple : un jeu n'est pas nécessairement un objet de consommation (puisqu'il existe dans la plupart des sociétés, même celles qui ne sont pas dites "de consommation"), alors qu'il est nécessairement un objet culturel.

Bushinone dit:Pour répondre à maester.
Je ne vois pas trop en quoi la réaction d'un public ignorant de ce qu'est le jeu de société moderne est pertinente.


C'est justement pour moi le cœur du problème. C'est justement la réaction que je crains (enfin, que je crains... je reste à l'échelle du JDS, hein...) des personnes voyant dans le jeu un objet culturel avant un objet ludique. Pour moi, là, on est clairement dans l’élitisme.

Entendu maester, je comprends ton inquiétude. Mais une telle réaction - celle que tu crains - repose sur une conception franchement biaisée de la culture. Je ne voudrais pas tomber dans la bourdieuserie, mais la culture ne se limite pas à la culture classique jugée par certains comme élitiste (humanités...), qui n'est qu'une forme de culture parmi tant d'autres.

Ceci dit, effectivement, d'un point de vue promotionnel, présenter le jeu comme un objet culturel et intellectualiser le débat de prime abord avant même de juste partager le simple plaisir de jouer ensemble n'est peut-être pas une stratégie viable de promotion.

Bushinone dit:Manifestement, nous ne partageons pas non plus la même notion de production. Mais tu as raison, cela ne emmènerait trop loin du débat.
Quant à la reproblématisation, parles-tu de ta distinction objet de consommation vs. objet culturel ? Si c'est le cas, la réponse m'apparaît simple : un jeu n'est pas nécessairement un objet de consommation (puisqu'il existe dans la plupart des sociétés, même celles qui ne sont pas dites "de consommation"), alors qu'il est nécessairement un objet culturel.


Un objet peut être autre chose que culturel ou de consommation. Ensuite, faire une activité autour d'un objet de consommation peut être aussi noble qu'avec un produit culturel.

Enfin, une société autre que de consommation peut tout à fait créer des objets de consommation comme une société de consommation peut créer des objets qui ne sont pas des objets de consommation.

En fait, l'homme à l'avatar de cochon (je ne me souviens plus du pseudo...) pointe ce que je pense : ceux qui voient le jeu comme un objet culturel ont une vision élitiste du jeu.

Après, je ne veux pas m'embarquer sur la démocratisation du jeu. Je ne sais pas si c'est bénéfique ou pas (mais vraiment, malgré mes saines lectures sur le forum, je ne le sais vraiment pas), mais les joueurs qui ont une vision artistique du jeu se prennent peut-être un peu trop la tête sur le jeu de société moderne au lieu de prendre du plaisir tout simplement. Un peu comme les joueurs qui testent des jeux au lieu d'y jouer (mais ce n'est pas dans le même contexte).

Bushinone dit:Entendu maester, je comprends ton inquiétude. Mais une telle réaction - celle que tu crains - repose sur une conception franchement biaisée de la culture. Je ne voudrais pas tomber dans la bourdieuserie, mais la culture ne se limite pas à la culture classique jugée par certains comme élitiste (humanités...), qui n'est qu'une forme de culture parmi tant d'autres.
Ceci dit, effectivement, d'un point de vue promotionnel, présenter le jeu comme un objet culturel et intellectualiser le débat de prime abord avant même de juste partager le simple plaisir de jouer ensemble n'est peut-être pas une stratégie viable de promotion.


Nous sommes d'accord !

maester dit:
Un objet peut être autre chose que culturel ou de consommation. Ensuite, faire une activité autour d'un objet de consommation peut être aussi noble qu'avec un produit culturel.

Je suis entièrement d'accord. Je ne faisais que répondre à l'opposition proposée par MOz
Enfin, une société autre que de consommation peut tout à fait créer des objets de consommation comme une société de consommation peut créer des objets qui ne sont pas des objets de consommation.

Si je suis d'accord avec la seconde proposition, la deuxième est pour moi tout à fait fausse.
Je ne parle pas de la création ici, mais bien de la pratique. Or, un objet ne peux impliquer une pratique de consommation qu'à l'intérieur d'une société de consommation.

En fait, l'homme à l'avatar de cochon (je ne me souviens plus du pseudo...) pointe ce que je pense : ceux qui voient le jeu comme un objet culturel ont une vision élitiste du jeu.
Après, je ne veux pas m'embarquer sur la démocratisation du jeu. Je ne sais pas si c'est bénéfique ou pas (mais vraiment, malgré mes saines lectures sur le forum, je ne le sais vraiment pas), mais les joueurs qui ont une vision artistique du jeu se prennent peut-être un peu trop la tête sur le jeu de société moderne au lieu de prendre du plaisir tout simplement. Un peu comme les joueurs qui testent des jeux au lieu d'y jouer (mais ce n'est pas dans le même contexte).


Voir mon message précédent, et nous sommes visiblement d'accord, sauf sur le fait d'une vision élitiste, qui repose, je le crois, sur une vision étriquée de la culture, et également qu'il faille promouvoir la pratique du jeu de société.

Bushinone dit:un jeu n'est pas nécessairement un objet de consommation (puisqu'il existe dans la plupart des sociétés, même celles qui ne sont pas dites "de consommation")

Ce n'est pas le débat. J'ai utilisé l'expression "objet de consommation" comme une désignation générique, pour regrouper tout ce que nos sociétés produisent et vendent. Mais ce n'est vraiment pas la question. On ne va pas débattre de savoir si les jeux sont des objets de consommation... Ce n'est pas la question et la réponse est évidente.
Bushinone dit:il est nécessairement un objet culturel.


On est d'accord. Pour moi, ce débat est clos.

maester dit:ceux qui voient le jeu comme un objet culturel ont une vision élitiste du jeu.
[...] les joueurs qui ont une vision artistique du jeu se prennent peut-être un peu trop la tête sur le jeu de société moderne au lieu de prendre du plaisir tout simplement.


Tu confonds encore l'art et la culture. C'est quoi une "vision élitiste du jeu" ? Pourquoi ne pourrait-on pas jouer et réfléchir à ce qu'on fait ? Je trouve ça hallucinant d'opposer les joueurs et les gens qui réfléchissent à ce qu'est un jeu.

maester dit:des personnes voyant dans le jeu un objet culturel avant un objet ludique. Pour moi, là, on est clairement dans l’élitisme.


N'omettons pas quand même que les 2/3 des jeux dont on parle sur ce site sont de fait réservés à une forme "d'élite" intellectuelle (même si le mot paraît fort) : il n'est pas donné à tout le monde (et/ou tout le monde ne prend pas forcément plaisir à...) de s'enfiler des règles parfois complexes, d'avoir une bonne mémoire, de bonnes capacités de calcul, de logique et de raisonnement, de savoir établir une stratégie, d'avoir des notions de tactique, de savoir bluffer à bon escient, de pouvoir se concentrer une à plusieurs heures sur une même partie, de saisir à peu près les tenants et les aboutissants d'un système de jeu après quelques tours de jeu, etc., etc. En cela, le jeu de société reste quoi qu'on en dise un loisir plutôt élitiste, pour ne pas dire "chiant" et rébarbatif pour la plupart des gens. D'ailleurs, de mon point de vue, on amène la plupart des gens au jeu de société moderne par le biais d'une initiation, comme pour paas mal de pratiques artistiques et culturelles. Il n'y a peut-être pas tellement de différence entre jouer à un Wallace, mater un Antonioni, aller voir une pièce Beckett ou lire un essai de philosophie. Il y a toujours des gens pour trouver que les cartes de Time's Up sont trop difficiles ou qu'on pourra faire jouer 10 fois à un jeu relativement simple sans qu'ils y comprennent quoi que ce soit...

Moi, je pense que ce qui bloque surtout dans le fait de savoir si le jeu de société est un objet culturel/artistique ou pas, c'est que les auteurs y sont largement dépossédés de leur oeuvre par les joueurs qui y jouent. Si tout jeu a bien une identité créative, le fait que ce soient les joueurs qui "animent" eux-même le jeu brouille sans doute les repères. Pourtant, on peut faire un peu la même analyse sur des installations ou des happenings d'art contemporains.

Je suis totalement en opposition avec le message de Sylvano. Le jeu de société moderne n'est pas élitiste.

Je crois que pour ne rien comprendre à Puerto Rico, il faut quand même y mettre du sien. En revanche, on peut ne pas aimer le jeu en lui-même. J'ai une capacité de calcul proche d'un mollusque, ma logique est très contestable et je n'ai aucune notion de stratégie. Pourtant, je suis là, je m'enfile des Puerto et autres Guerre de l'Anneau.

Pour MOz, je pense que le joueur ne fait rien d'autre que jouer en fait. On peut théoriser tout ce qu'on veut mais on ne fait que jouer. Le jeu consiste parfois à réfléchir aux actions du jeu mais il n'empêche que nous jouons (et on le fait bien...).

Effectivement, la position de Sylvano est déconcertante. Je ne crois pas qu'être capable de comprendre un jeu soit exceptionnel. Je crois plutôt que le cas pathologique est celui qui consiste à être incapable de comprendre un jeu.

Ensuite, on est tous tombé sur des "Mais je comprends rien à ton jeu..." et qui font n'importe quoi. Ceci dit, je pense qu'il s'agisse plus d'un problème de motivation/pédagogie que de compréhension.

Les joueurs forment une communauté, avec ses codes et son langage ésotérique, mais ils ne forment assurément pas une élite...

Après, je suis d'accord avec MOz : rien ne nous empêche de réfléchir sur cette pratique, et j'irai même plus loin en disant qu'il est profitable que nous le fassions.

Je suis d'avis aussi qu'il s'agisse pour la plupart des gens de problème de motivation et d'efforts de compréhension, plus que de capacité. Et c'est un peu le paradoxe et le frein du jeu de plateau dit moderne : c'est qu'il est avant tout destiné à une activité ludique, ce que les gens associent en premier lieu comme "amusement", "évasion", "récréation", mais qu'il nécessite le plus souvent un effort d'attention et de réflexion pour appréhender les règles et passer cette barrière pour atteindre l'"amusement". Effort que nombreux ne sont donc pas prêts à faire... la société nous habituant souvent au tout, tout de suite.-je mets de côté les jeux d'ambiance, simple et très vite abordables.-
Et c'est par ce problème que le jeu de plateau "moderne" risque de rester dans un phénomène tout de même pseudo-élitiste. Puisque seuls les personnes montrant une motivation assez forte pour passer la barrière de compréhension rentreront dans cette communauté de joueurs.

MOz dit:
maester dit:En d'autres termes, je pense que le but premier des auteurs de jeu est d'amuser le joueur et pas de faire réfléchir le joueur sur la société ou sur un concept sociétal.

Je ne vois pas en quoi c'est incompatible. Par exemple, quand Spielberg fait Minority Report, il fait un divertissement qui porte une réflexion politique. Ça peut être fun et susciter la réflexion. Je ne vois pas le problème.


Sur ce point, la principale différence est que les joueurs sont des récepteurs actifs, tandis que les spectateurs sont passifs. Il est beaucoup plus facile d'avoir une réflexion sur quelque chose lorsqu'on est passif. Et de même qu'il a déjà été dit, un jeu de société passe par l'appropriation du jeu par les joueurs. Ce qui freine énormément la facilité de transmission d'une vision artistique.
A la différence du Happening, qui est directement créé dans le but de porter réflexion et de faire art ; le jeu n'est pas créé dans cette optique.
Vous me direz alors que cela dépend de la démarche de l'auteur, et je pense que oui. Pour qu'il y ait "art", outre la légitimation par une majorité ou un groupe reconnu, il faut d'abord une démarche artistique de créateur et une démarche artistique de récepteur. Et vu qu'à la base, on n'aborde pas le jeu dans cette optique, considérer le jeu comme un art ne pourra s'appliquer que dans des cas rarissimes à mon sens... mais cela peut peut-être évoluer aussi...

Ad tib dit:Je suis d'avis aussi qu'il s'agisse pour la plupart des gens de problème de motivation et d'efforts de compréhension, plus que de capacité. Et c'est un peu le paradoxe et le frein du jeu de plateau dit moderne : c'est qu'il est avant tout destiné à une activité ludique, ce que les gens associent en premier lieu comme "amusement", "évasion", "récréation", mais qu'il nécessite le plus souvent un effort d'attention et de réflexion pour appréhender les règles et passer cette barrière pour atteindre l'"amusement". Effort que nombreux ne sont donc pas prêts à faire... la société nous habituant souvent au tout, tout de suite.-je mets de côté les jeux d'ambiance, simple et très vite abordables.-
Et c'est par ce problème que le jeu de plateau "moderne" risque de rester dans un phénomène tout de même pseudo-élitiste. Puisque seuls les personnes montrant une motivation assez forte pour passer la barrière de compréhension rentreront dans cette communauté de joueurs.


Bah, l'intelligence, c'est de reconnaître qu'on joue à des jeux avec une mise en place longue, avec des mécanismes nombreux, qui durent des heures et que ça n'intéresse pas tout le monde, même parmi les joueurs.

Pour ma part, je suis davantage impressionné par le monsieur de 70 ans, qui me montre une combinaison alors qu'il ne reste plus qu'une dizaine de pions sur le damier.

Peut-on assilimer le jeu de Bobby Fischer à une forme d'art ?

Ad tib dit:Je suis d'avis aussi qu'il s'agisse pour la plupart des gens de problème de motivation et d'efforts de compréhension, plus que de capacité.


Peut-être, mais concrètement, le résultat est le même.
C'est louable de penser que le jeu de société tel que nous le pratiquons est accessible à tous, mais franchement, j'ai des doutes. A moins que certaines conditions soient réunies : être initié/guidé par un joueur plus expérimenté, manifester une curiosité pour cette activité précise, savoir se divertir de façon active (ce que suppose le jeu de société), aller au-delà des clichés sur le jeu (pratique d'adultes attardés, activité stérile...), etc.