Dis, Sgt, tu nous racontes une histoire ?

Comme le père Skinner m’a incité à le faire, voilà une petite histoire. Y en aura d’autres si ça vous plaît.

J’essaie de faire le moins d’erreurs possible mais il en reste toujours, veuillez bien m’en excuser par avance …
 

 Les gens ne sont pas gênés

            Les gens ne sont pas gênés. Prenez lui, par exemple. C’est ahurissant la façon dont il s’est imposé  chez moi. Au départ, je l’aimais bien. Enfin, c’est peut-être un peu exagéré, disons simplement qu’il ne me gênait pas quand il est arrivé. Discret, simple et tout. Et puis finalement, il a commencé à prendre de l’importance. Tout seul, comme un grand, sans que j’ai mon mot à dire. Peut-être parce que je ne le voyais pas, peut-être parce qu’il n’était pas assez visible.

            Du coup, j’ai bien senti qu’il était là et qu’il grandissait. Le problème quand quelqu’un grandit chez vous, c’est que vous ne souhaitez absolument pas qu’il prenne plus de place que nécessaire. Regardez, les enfants par exemple, quand ils prennent trop de place, c’est simple, ils s’en vont, que ce soit eux qui en aient marre ou bien vous. C’est aussi simple que ça: une histoire d’espace vital. Cependant, pour lui, ça n’était pas réellement important. Il faut direque je ne pouvais pas lui dire grand chose. Bon, d’accord, au début, j’ai bien essayé de lui faire entendre raison, de lui expliquer qu’il ne pouvait pas continuer comme ça, qu’il avait déjà pris une taille respectable et que ça ne me dérangeait pas. Du coup, un peu comme les enfants d’ailleurs, sans comprendre tout le sous-entendu de mes paroles, il a continué à envahir mon logis.

            Il n’y avait pas que moi que ça dérangeait. Ma femme, également, était très ennuyée par son apparition et par son aliénation des lieux. Au bout d’un moment, il a bien fallu se rendre à l’évidence qu’il allait jusqu’à dormir avec nous. Alors non, il ne bougeait pas trop, pas plus que moi en tout cas. Mais toujours est-il que ma douce et tendre commençait à se sentir un peu à l’étroit. Moi aussi d’ailleurs. Alors nous avons décidé de faire chambre à part. Bien entendu à ce petit jeu, je fus le perdant et il décida de me rejoindre. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi, ma femme étant ravissante. Bon, finalement, j’aurais été jaloux, c’est peut-être mieux comme ça.

            L’envahisseur avait bien décidé de me pourrir la vie. Il habitait déjà avec nous (il faisait même peur au chien, c’est vous dire) mais n’en était pas satisfait pour autant. Ma femme et moi avions décidé d’un commun accord que, puisqu’on manquait de place à la maison, il fallait qu’on passe plus de temps à l’extérieur. Fâcheuse erreur ! Il était encore et toujours là. Et autant vous dire que ce ménage à trois attirait l’attention des passants. De mes collègues de bureau aussi. Ils étaient toujours aussi sympathiques, discutaient de la même façon avec moi, mais je sentais bien qu’ils ne pouvaient pas s’empêcher de le voir. Essayez d’expliquer à quelqu’un que vous avez un squatteur à la maison mais que vous ne pouvez pas vous en débarrasser. Il y aura toujours une âme aimable pour vous dire que tout cela est réversible, qu’avec un petit effort, l’indésirable disparaîtra. Ce sont toujours des gens à qui ce problème n’est jamais arrivé d’ailleurs.

            Enfin bref, ça commençait à devenir sérieusement handicapant d’avoir ce boulet en permanence avec moi. OK, c’est vrai que comme voiture, j’aurais pu choisir autre chose qu’une mini-cooper première génération. Quand j’étais seul, tout allait bien. Avec ma femme et le chien, on était un peu serré mais le véhicule était encore tout à fait vivable. A présent, c’est un vrai cauchemar rien que pour entrer dans l’habitacle. Autant vous dire que pour atteindre tous les boutons ou les différents appendices de la voiture, c’est à la limite de la contorsion. Tout cela à cause de cet être indésirable.

            Il faudra bien qu’à un moment cet occupant se lasse et qu’il s’en aille de lui-même. Je connais bien des façons, violentes et sanglantes, de lui faire quitter les lieux. Mais bon, je suis un non-violent, c’est comme ça. Je devrais peut-être consulter un médecin ? Un psychologue peut-être, qui pourrait lui faire entendre raison ? Il va bien falloir trouver une solution; je n’avais jamais pensé que mon ventre pouvait prendre ces proportions.

Super, merci Sgtpepere pour cette histoire ! Une histoire qui te serait arrivée ?
Content que tu te sois lancé. En tout cas, je suis pour d’autres d’histoires ! Et pour ne rien cacher, j’avais prévu de faire un petit quelque chose moi aussi, même si en terme de profondeur, cela restera en-dessous. yes
Merci encore et à la prochaine (histoire) ! angel

Merci, Skinner. Possible que certains éléments de l’histoire soient autobiographiques. :wink:

hello je tombe là par hasard, mais j’ai apprécié la lecture. Et je vois très très bien de quoi tu parles hin hin

Merci. Je vais en mettre une deuxième, du coup. :slight_smile:

L'établissement


            Nous sommes arrivés un samedi après-midi dans l'établissement. Les gens qui étaient là avant nous nous dirent, à ma femme, mon fils et moi, que c'était généralement ce jour-là que les nouveaux arrivaient. Certains autres locataires arrivaient en cours de semaine mais de façon moins régulière.

            A notre arrivée, il faut bien dire que nous étions serrés comme des sardines mais très rapidement, on nous agença de manière plus ordonnée et le sentiment d'oppression fut moindre. Ceci étant, certains voisins voyaient une certaine promiscuité comme quelque chose de rassurant.         

            Je n'ai jamais vraiment compris ce raisonnement et l'ai mis sur le compte de leurs usages. Après tout, je respecte les différences. D'ailleurs, nous nous fîmes remarquer bien malgré nous en arrivant avec notre petite étiquette de couleur. Cela ne ravit pas tout le monde mais les gens ne purent dire grand chose, tout se sachant rapidement dans notre établissement. Mon fils entendit tout de même certains dire que nous "étions enfin descendus de notre arbre" et me demanda ce que cela signifiait. J'ai botté en touche en lui répondant que ces terre-à-terre étaient simplement jaloux de ne jamais avoir profité du soleil comme nous. Oui, c'est vrai, je peux le confirmer (bien plus que l'avouer, pour moi, ça n'est pas une faute): nous avons passé beaucoup de temps, la majorité de notre vie même, dans les hauteurs, bercés par le vent et dorés par le soleil. Mais que voulez-vous, personne ne nous a jamais demandé rien d'autre que cela et tout le monde ne peut pas décider de révolutionner son existence, c'est comme ça.

            Il existait une certaine forme d'ordre ou de hiérarchie, l'établissement comptant plusieurs étages. Si les locataires se mélangeaient rarement, il y avait quelque chose d'étrange dans la conception des lieux. Les plafonds (ou les parquets suivant son point de vue) étaient transparents. Comme si l'architecte des lieux avaient voulu que chacun puisse observer ce qui se passait au dessus, tout en l'interdisant, puisque la transparence était accompagné d'un effet de relief qui ne laissait des occupants du dessus ou du dessous que des formes indéfinissables. J'entendis même dire que certains habitaient au sous-sol et qu'ils avaient nettement moins de chance que nous. Il y faisait un froid sibérien et les journées y étaient encore plus courtes. Déjà que je n'avais pas particulièrement chaud à mon étage ...

            Notre établissement était paisible, rythmé par des jours et des nuits un peu particulières, irrégulières. Les nuits étaient longues, causant une certaine léthargie chez la plupart des occupants. Forcément, les moments de jours interrompaient souvent les cycles de sommeil établis. Certains étaient prévus et réguliers, attendus de tous avec un mélange de joie et de crainte. D'autres nous effrayaient, étant particulièrement soudains. Dans ces moments, je pensais à toutes ces tribus qui ne comprenaient pas les éclipses et comprenaient tout à fait leur effroi.

            Et puis, un matin, ils ont pris ma femme. Ronde, charnue (détrompez-vous, c'était aussi pour ça que je l'aimais), elle ne pût pas longtemps échapper à leurs mains. Nous étions conscients du fait que certains s'en allaient et ne revenaient pas. D'autres réintégraient l'établissement changés et ne parlaient pas vraiment de leur expérience. Chacun espérait secrètement que son tour ne viendrait jamais.
           
            Nous entendîmes un grand bruit de découpage, deux longues plaintes motorisées et puis l'absence du retour du jour nous fit comprendre que ma femme ne reviendrait pas. Elle fut d'un courage exemplaire, elle ne cria jamais.

            Mon fils chercha le réconfort où il pût. J'étais moi-même dévasté et le peu de choses que je lui dis semblaient comme autant de clichés éculés qui paraissent si faibles face à la réalité. Mon fils trouva plus de réponses chez un vieux sage habitant au bout de l'étage. Comme quoi, les apparences ne font pas les qualités de quelqu'un. Le vieux semblait abîmé par la vie: rugueux, fripé, sale (presque terreux), il avait vécu des allers et retours en dehors de l'établissement. Mais à chaque fois, il revenait. A chaque fois, on lui avait pris quelque chose. Si se faire ratiboiser n'est pas un drame en soi, ses sorties avaient ensuite pris un tour plus cruel. Le sage enseigna donc à mon fils, en connaissance de cause, qu'il valait peut-être mieux s'en aller d'un coup plutôt que de souffrir longuement. Cela l'aida beaucoup quand ils le prirent. Je revois son sourire au moment de son départ et, quelque part, je l'envie presque.
          
            Je sais que mon tour viendra bien un jour et pour l'heure, je vieillis tranquillement. Des tâches sont apparues sur ma peau. Bleues vertes, elles m'inquiètent un peu. Par contre, j'aime beaucoup les petits poils blancs qui couvrent ma peau depuis peu. Ils me donnent une certaine classe et sont très soyeux.

            Du fond du tiroir du réfrigérateur, moi, Alphonse le pamplemousse, j'attends que la porte s'ouvre une dernière fois et qu'on m'emporte.

Merci beaucoup pour ces deux très jolis textes, Sgtpepere. J’ai vraiment apprécié cette forme de suspens, on se surprend à essayer de comprendre le fin mot de l’histoire avant sa cloture. Et tout en se questionnant, on ne peut s’empêcher d’avancer vers l’issue, vers la réponse. J’y vois une forme d’humour, d’intelligence, c’est très plaisant.

Si je devais juste formuler un mini bémol, juste pour être constructif et ne pas me limiter aux louanges, ce serait que les deux textes sont relativement bâtis de façon similaire. Leur “charpente scénaristique” commune ne me gêne pas une seconde, mais si tu continues et persévères, je conseillerais humblement de tenter d’explorer de nouvelles voies pour varier les plaisirs d’écriture comme de lecture. Bonne plume !

Merci Docky pour tes conseils. Je vois bien ce que tu veux dire concernant la charpente scénaristique. J’en suis malheureusement bien conscient mais je ne suis pas sûr de pouvoir en sortir. Si jamais je devais écrire quelque chose, je pense que ça serait bien meilleur à 4 mains. :slight_smile:

C’est très malin et réjouissant ces petits textes. Bravo !

Merci !!! :slight_smile:

Sympa !
Et donc le vieux rugueux, c’est un radis noir ?

Merci ! Et pour répondre à ta question: presque ! :slight_smile: Pour moi, c’était un morceau de gingembre, je crois.

C’est trés bon! Bravo! j’ai souri avec plaisir.

Merci beaucoup, c’est le but recherché. :slight_smile: