Pur
Gipf est une merveille absolue. A ce jour, mon préféré du projet avec Zertz (je connais également Dvonn et Yinsh). Il est d'une pureté qui n'est pas sans rappeler le Go.
Le mouvement d'abord, première idée poétique, est centrifuge. Je pousse un pion de l'extérieur du plateau vers l'intérieur. Et les pions en jeu ne bougent que sous l'impulsion de ceux qui viennent du dehors. En effet, les pions se poussent mutuellement, se croisent ce qui oblige perpétuellement à une vision du jeu anticipée et multidirectionnelle. Magnifique. Et c'est la seule et unique action que l'on pourra effectuer au cours du jeu. Plus sobre? Impossible.
La capture ensuite est une espèce de zig-zag mental où il faut anticiper et visualiser les croisements et déplacements successifs qui créeront un alignement de 4 de nos pièces (le puissance 4 de mon enfance version gonflée aux emphétamines) avec une pièce adverse en bout de ligne qui sera perdue.
L'alignement justement, idée géniale, coeur du jeu. Je dois récupérer les pièces qui m'ont servi à prendre une pièce adverse. On retrouve l'idée chère à Burm de force qui devient faiblesse: j'ai pris une pièce à l'adversaire mais je dois déserter le plateau, victoire qui devient retraite et qui ouvre souvent de grandes possibilités de contre-attaque à l'adversaire, nous obligeant à peser systématiquement le pour et le contre. Pire, si j'ai 4 pièces ou plus alignées, même sans prendre aucune pièce adverse je dois les récupérer. Et le centre nerveux du jeu est là. Obliger un adversaire à récupérer ses pièces peut-être décisif pour briser ses velléités offensives et/ou le laisser démuni ou dispersé sur le plateau. Il faut donc aligner ses propres pièces pour attaquer les pièces adverses tout en évitant que l'adversaire ne fasse de même au mauvais moment et au mauvais endroit avec ses propres pièces pour se protéger ou avec les notres pour nous affaiblir... Alignements de neurones qui explosent joyeusement!
La condition de fin de partie enfin. Celui qui ne peut plus jouer a perdu. Ne plus jouer, c'est mourir... Quelle plus belle condition de fin de partie peut-on trouver pour un jeu? Et les implications ludiques sont là aussi nombreuses et géniales. La gestion des pièces dans sa réserve devient décisive: si j'ai la possibilité de jouer une fois de plus que l'adversaire, j'ai l'avantage. Aligner des pions de sa couleur sans même penser à capturer des pièces adverses devient une urgence, simplement pour récupérer des possibilités de jouer, pour continuer à jouer à tout prix. La position des pions sur le plateau devient de plus en plus critique à mesure que notre réserve s'épuise. Si nos pièces sont éparpillées, il sera difficile de les aligner pour les récupérer ou facile pour notre adversaire de nous empêcher de le faire.
Et je ne parle pas des pions Gipf qui introduisent de nombreux autres paramètres à gérer (certains au lieu de "paramètres" diront "trucs" pour compliquer inutilement le jeu et briser sa pureté originelle).
Gipf me semble le plus sous-estimé du projet. Il est certes moins immédiatement "rigolo" que peuvent l'être Dvonn ou Yinsh mais il est tout aussi profond (si ce n'est plus à mon avis) et moins répétitif à la longue. Simplement, au premier abord, il est plus froid et nécessite plus de temps pour être apprécié à sa juste valeur (je n'avais pas du tout aimé mes premières parties et ça n'est qu'en y revenant par hasard quelques mois plus tard que j'ai eu le coup de foudre).
Grrrrripf!
Mon classement des jeux du projet Gipf et leur critique:
1-Zertz
2-Gipf
3-Pünct
4-Yinsh
5-Dvonn
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