Le Grand Jeu des années 2010...

10,0

Je cherchais un jeu :
- avec lequel on puisse dire à un autre joueur à la fin de la partie "tu as bien joué !" et donc qui ne dépende pas (trop) du hasard
- qui soit fun voire très fun
- qui soit facile à expliquer
- qui demande une bonne dose de finesse stratégique
- où on ne construise pas des entrepôts pour stocker du blé au XVIème siècle.
- où les parties ne se ressemblent pas

Nous n'avons fait qu'une seule partie d'Ascending Empires mais vu l'excitation générale, d'autres parties ne vont pas tarder à suivre. Ce jeu remplit les cinq premières conditions à merveille et nous sommes tous prêts à parier que les prochaines parties seront complètement différentes.

Non seulement les différentes technologies offrent des voies totalement différentes pour gagner mais les associations entre les technologies ouvrent des possibilités énormes ! J'ai rarement vu un jeu qui permettait à autant de personnalités différentes de s'exprimer. Il y en a pour tous les goûts (de l'agressif au constructeur) et c'est vraiment équilibré. Certaines technologies paraissent a priori plus puissantes mais rien n'empêche les joueurs de se battre pour les obtenir.

J'ai deux petits regrets :
- le plateau (j'étais prévenu) n'est pas parfait. En fait, il ne pose pas tellement de problèmes durant la partie et j'aime tellement le jeu que je vais le couvrir d'une plaque de plexiglass avec des rondelles collées pour placer les planètes. Cela dit, c'est dommage de ne pas avoir un tapis comme pour Glonk. Ce serait bien qu'ils en sortent un en extension.
- les trous béants dans les règles : là aussi j'étais prévenu et vous aurez beaucoup de décisions à prendre concernant les règles durant la première partie : si un Battleship atterit, est-ce que deux colons atterrissent ? Est-ce que ça compte pour un seul mouvement ? Etc. Ce sont souvent des broutilles et globalement, le système du jeu est tellement simple que c'est facile de se mettre d'accord sur une nouvelle règle avec les autres joueurs, même durant la partie.
- je vous conseille vivement un changement : quand quelqu'un atteint une nouvelle technologie mais qu'il n'est pas le premier, donnez-lui N-1 points de victoire. Sinon, le jeu se déséquilibre très fort. En compensation, ajoutez plus de points de victoire dans la cagnotte de départ (46 voire 50)

Malgré tout ça, je ne peux pas mettre moins de 5/5 à ce jeu. L'idée de mêler stratégie et pichenette peut avoir l'air totalement grotesque sur le papier mais elle est brillante et évidente en cours de partie. La pichenette apporte sa dose d'excitation (on joue beaucoup debout) et permet des tours de force impossibles avec d'autres jeux. Quant à la stratégie... si les tours durent 10 secondes en début de partie, il peuvent monter à plusieurs minutes en fin de partie pour cause de grosse prise de tête. Si tout peut à tout moment être chamboulé à cause d'une attaque éclair brillamment exécutée par un roi de la pichenette, un bon stratège mauvais en pichenette pourra s'en sortir par d'autres moyens.

Ce qui est frappant quand on joue, c'est à quel point les mécanismes très simples se déploient en grandes finesses stratégiques. Par exemple, chaque joueur a un compteur devant lui indiquant dans quelle technologies il excelle ou est faible. Du coup, les autres joueurs voient en un coup d'oeil à qui ils ont affaire ("hé hé, tes centres de recherche n'ont aucun point de défense dis donc") et au cours de la partie, le profil de chaque joueur change tout en restant "lisible" (contrairement à tous ces jeux où les pouvoirs tiennent sur des cartes qu'on cache ou alors demandent de relire constamment leur définition : "ah! j'avais oublié que tu pouvais faire ça"). Ici, tout le monde a la même "grille" de pouvoirs et le profil d'un joueur est lu en un coup d'oeil.

Ensuite, les règles, expliquées en 30 minutes la première fois le seront en 15 minutes la prochaine fois. C'est vraiment étonnant de la part d'un jeu américain.

En jeu vidéo, il y a un truc qu'on appelle le "gameplay émergent" et c'est quelque chose qui arrive tout au long de la partie dans Ascending Empires : les joueurs inventent constamment de nouvelles façons d'utiliser les possibilités très simples du jeu d'une façon créative. On se cache derrière une planète pour éviter les kamikazes, on bloque une planète d'un joueur pour empêcher un troisième joueur de la conquérir etc.

C'est ce parfum de liberté qui nous a tous conquis. Tout le monde a terminé la partie en pensant à toutes les choses qu'il aurait pu faire différemment, à des variantes de stratégies. Même durant la partie, on éclatait de rire à peu près tous les quarts d'heure parce qu'on commençait à voir de nouveaux coups de putes possibles.

Enfin, une partie ne se ressemble pas du début à la fin. Comme Bruno Faidutti le souligne très justement dans sa critique, c'est un jeu en trois actes qui ne se ressemblent pas. Au cours du premier acte, on explore en évitant les autres parce qu'on a des ressources limitées. Au deuxième acte, chacun renforce ses positions et se bat pour avancer en premier sur l'arbre technologique. Au troisième acte, les ressources commencent à manquer et on se jette dans le combat (ou on campe sur ses positions). A cela, il faut ajouter la façon dont les styles des différents joueurs vont teinter la partie.

Du coup, hier soir, j'étais content de dire au gagnant qu'il avait bien joué. Parce que je l'avais vu tout au long de la partie tâtonner, tenter des choses, prendre une nouvelle direction, prendre des risques, bluffer, perdre des combats, faire des pichenettes avec une grande classe et nous prendre de vitesse.

Foncez les yeux fermés.

Ce jeu mérite d'être le jeu de l'année 2011 de Bruno Faidutti et à mon avis, c'est un classique en devenir.

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