Voici une question légitime et qui revient très régulièrement dans le monde du jeu et notamment celui-ci du proto : dois-je ou non coller un thème à mon jeu pour le rendre intéressant ?
Dans cette question il y a deux termes tout à fait pertinents : coller et intéressant. Le fait d’utiliser le mot coller veut dire que l’on se sent obligé de mettre un thème, que cela ne découle pas forcément d’une volonté personnelle. Le second terme est : intéressant. On se pose ici une question essentielle est-ce que mon jeu est assez intéressant, est-il bon ? Le fait de « coller » un thème semble donc une des manières de le rendre correct. On en vient alors à se demander si le jeu est assez bon pour vivre et prospérer seul, comme si le thème était la condition sinéquanone pour s’assurer un certain succès ou tout du moins s’offrir une petite reconnaissance à notre création.
Le thème a souvent plusieurs utilités : cerner l’âge du public concerné, renforcer la mécanique, faciliter la compréhension des règles, mieux cerner les buts. Parfois il sert tout simplement d’habillage. On pourrait prendre un thème totalement différent de celui de départ, que cela ne changerait pas la mécanique ou les qualités du jeu. Pourtant, le thème peut être quelque chose de très important, car selon les affinités de chacun, l’acheteur sera plus attiré vers un thème qu’il affectionne (par exemple les trains), cela aura pour effet d’attirer son attention. Mais cela pourra également faire l’effet inverse, et créer une certaine répulsion. J’étais moi-même réticent à l’idée de jouer au jeu Papillons de chez Cocktail Games car le thème ne m’attirait pas, alors que ce jeu n’est pas mauvais du tout. Une sorte de délit de sale gueule.
Ce souci de thématiser ou non son jeu est également présent lors de la réalisation du proto, car un jeu sans aucun graphisme parlera moins qu’un joli proto avec de belles illustrations, et cela même avec les éditeurs qui sont habitués à lire les règles, et à creuser un peu plus loin. Mais là encore le choix du thème pourra être déterminant, j’ai créé le jeu Robotrio, un jeu de cartes avec pour thème les robots que j’ai proposé aux éditeurs. L’un d’entre eux n’a pas hésité à comparer mon jeu avec un autre qu’ils avaient sorti peu avant et qui n’avait pas marché. Pourtant, les deux jeux ne sont pas du tout identiques. Ce qui a joué en ma défaveur c’est simplement le thème. Du coup on commence sérieusement à se poser des questions !
Revenons quelques instants sur le fait de « coller » un thème pour rendre le jeu plus attrayant. Autant être honnête tout de suite, un thème imposé sur un jeu se sent immédiatement, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. L’exemple de papillon est là encore un très bon exemple, on aurait remplacé les papillons par des gâteaux que cela aurait été la même chose. Le thème n’a aucune importance ici. Il a juste été proposé pour ne pas éditer un jeu abstrait qui n’est pas la ligne éditoriale de l’éditeur (enfin c’est mon analyse). Que penser alors des jeux de réflexion sans thème.
Le jeu papillons, un thème interchangeable ?
Tout ceci nous amène vers une nouvelle piste : les jeux abstraits. Ces jeux se moquent éperdument du thème, souvent en bois ou en matière naturelle, les jeux abstraits basent tout sur leurs règles et la puissance de leur(s) mécanique(s).
Pourtant de par leurs noms ou leurs matériaux certains jeux abstraits lorgnent facilement vers la thématisation. Je pense notamment à Sahara de chez Gigamic. On pourrait parler de Tortuga également, même si l’exemple tombe plus dans le domaine de la thématisation qui sert la mécanique. Il arrive aussi parfois que pour plaire à son public un jeu abstrait se voie coller un thème comme Quorridor qui dans sa version pour enfants tourne autour du thème de la mer et de la plage. Est-ce que cela change quelque chose au jeu ? Rien, le thème est seulement là pour accrocher les joueurs. La question est alors : est-ce que ces jeux auraient été aussi bons avec un thème ? Question assez paradoxale, car au tout début de cet article on se demandait alors si pour être meilleur, un jeu devait ou non avoir un thème, quitte à l’imposer. Et nous savons par expérience que ces jeux sans thème sont de très bons jeux, ayant connu un certain succès auprès des joueurs. Pour ma part je pense que ces jeux seraient moins bons avec un thème, qui viendrait plus brouiller la clarté de la mécanique tout en n’apportant aucun bénéfice. Ce parti pris, qui va un peu à contre-courant, est donc une franche réussite. Malheureusement, les éditeurs de jeux abstraits ne se comptent que sur les doigts d’une main. L’absence de thème ne semble d’ailleurs pouvoir s’appliquer que dans le cas des jeux de réflexion, même si des jeux comme le trivial pursuit ne dispose d’aucun thème, si ce ne sont des éditions spéciales qui servent alors de thématisation du fond et non de la forme. Pourrait-on vraiment jouer avec autant de plaisir aux aventuriers du rail s’il ne s’agissait pas de petits trains ? Je ne pense pas.
Trimino, première idée de jeu avant de devenir …
… Ocean, où le thème marin a profondément modifié la mécanique.
Je parlais un peu plus haut du thème au service du jeu, voici un bon exemple avec le jeu Labyrinthe, sans thème (ici le dédale), pas de jeu, tout simplement. J’ai tout récemment eu la preuve de l’influence que peut avoir un thème sur un jeu. La plupart des jeux que je créé sont des jeux de réflexion, mon dernier essai en date se nomme Trimino (son nom de code), et après avoir réalisé le proto pour faire les différents tests je me suis rendu compte que son design ressemblait beaucoup au très bon Stratopolis. J’ai alors posté mon idée sur le forum Créaj2s, et Who Needs web, m’a alors proposé un thème : les animaux marins, qui m’a tout de suite plu, transformant ainsi le jeu du tout au tout. Ce proto qui était jouable, mais pas très intéressant, s’est totalement renouvelé avec ce thème. A ces débuts, Mastermind se nommait le plus malin, (édité chez Capiépa), et n’avait pas forcément fonctionné, avant d’être redesigné pour coller à al mode « James Bond ».
Le plus malin édité chez Capiépa – merci au site le trou à rat pour la photo
Mastermind dans sa nouvelle version Jamesbondesque
Dans tout ceci intervient un autre cas de figure : les jeux à licence, où le thème (la licence) est primordial. Dans le cas des nombreux jeux « Labyrinthe » à thème (Star Wars, Avatar, etc.) on assiste justement au « collage » d’un thème sur un jeu ayant déjà fait ses preuves, simplement pour faire vibrer la corde sensible des fans. S’assurant ainsi des ventes aussi bien du côté des fans de la licence concernée, que des personnes appréciant déjà le jeu de base. Dans notre exemple, les thèmes n’ont qu’un but purement commercial. On sent cette obligation de thématiser, avec le jeu Lego « la bataille de Hoth », nom qui parlera essentiellement aux fans de Star Wars, qui pourront ici revivre la célèbre bataille de l’épisode 5. Même si certaines astuces ont été intégrées, pour que le jeu corresponde à l’univers du film, on sent bien que n’importe quel autre thème aurait aussi bien fait l’affaire. Heureusement dans ce marasme, on trouve également de très bons jeux à licence qui s’appuient sur leurs univers dépeints pour proposer des expériences de jeux uniques et adaptés. Je pense par exemple au jeu Gears of War.
Le jeu labyrinthe à la sauce Star Wars
De nos jours il est rare de voir débarquer des jeux sans thème, les jeux abstraits sont vraiment devenus des cas à part, un peu rejetés par les joueurs. Comme si ces jeux abstraits et intemporels étaient passés de mode, alors que ces derniers utilisent des matériaux ancestraux et indémodables. Un petit paradoxe dans le monde du jeu.
Je pense sincèrement que pour se démarquer et se faire remarquer un jeu doit posséder un thème, si celui-ci n’entre pas dans le cadre d’un jeu abstrait auquel le thème ne pourra faire que de l’ombre à une mécanique bien huilée. Si votre jeu n’entre pas dans cette catégorie, je pense qu’il peut être très intéressant de réfléchir (et non de coller) à un thème pour vos jeux. Cela vous permettra peut-être de trouver des solutions à vos soucis de mécaniques ou bien de vous ouvrir de nouvelles perspectives, tout en rendant votre jeu plus lisible.
Le seul souci maintenant sera de savoir quel thème employer pour vos jeux, mais ceci est une autre histoire (enfin un autre article).
Si vous avez des remarques ou autres suggestions je vous invite à vous rendre dans ce topic que j’ai créé pour cette occasion.
Pour d’autres articles sur la création ludique, je vous invite à visiter le blog des 1D Ludiques.