Pré-débat de l'intelligence : le jeu - élément culturel, commercial, artistique ?

Monsieur Phal, Docteur Mops et Monsieur Guillaume définissent les contours du prochain débat Tric Trac.

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Y’a du lourd !
Une œuvre d’art n’est pas forcément un objet qu’on expose. La littérature en est la preuve. Un poème de Rimbaud n’est pas une œuvre d’art parce qu’il est dans un objet livre. Dans une tablette, dans ma mémoire, simplement dit par un bon acteur, cela reste une œuvre d’art. Si la création de jeu est un art, il se situe, à mon avis, dans la même veine. Que ce soit en bois et carton ou sur tablette, euphrat and Tigris est le même « objet ». De la même façon, la musique ne se réduit ni à un disque, ni à une partition, ni à un fichier. Donc, je pense que le critère musée n’en est pas un.

Quand à savoir si c’est de l’art… Je ne sais pas. Nous avons un peu tendance, à notre époque, à qualifier « art » tout ce qui est « loisir ». On le saura dans cent ans. Il y aura peut être un consensus à se moment là.

Et la question « est ce culturel ? », c’est un peu pareil. Tout loisir, tout spectacle, est aujourd’hui qualifié de culturel. Si l’on prend la définition initiale, il est clair que nos loisirs font partie de notre culture. Pourtant, la pseudo noblesse de la « Culture Académique » est parfois un poil usurpé.

Par contre, je suis bien d’accord sur le fait que 504 correspond à une démarche artistique. Je ne vais pas faire de la pub sur mon avis posté sur TT. Ce jeu est un regard sur tout un pent de la création de jeu. Est ce une œuvre d’art ? Pour moi, oui. Pour moi.

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J’aime toujours autant passer du temps a regarder vos débats, comme un bon théâtre de boulevard : la rhétorique qui parle a la connaissance qui parle a l’humanisme.
Personnellement, je serai très friand d’un format vidéo avec pour seule démarche d’inviter un.e auteur.e à expliciter sa démarche personnelle (artistique ou non) dans la création et comment il.elle pense que cette démarche se retrouve dans ses créations (pourquoi pas dans une rétrospective). Ou un couple auteur.e-éditeur.rice autours d’un jeu. Ou un éditeur.rice autours d’une gamme.

Je n’avais pas remarqué, qu’au delà de (à mon avis) sa laideur et de son inélégance, l’ecriture Inclusive était machiste : elle fait passer le masculin avant le féminin. Il.elle auteur.e éditeur.trice…

Un excellent moment, instructif, qui j’espère en appellera d’autres. :slight_smile:
Rien à voir : je me demandais s’il n’était pas possible d’avoir une meilleure réception de la voix de Germain ? Je trouve ça toujours cool le petit effet de surprise quand il intervient mais je ne comprends jamais rien. ^^’
Ce pourrait même devenir un jeu…

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C’est un tout autre débat. L’écriture inclusive peut très bien s’écrire avec le féminin devant et ne reste qu’un moyen d’écrire plus vite. Je rajouterai (pour la boutade) que si vous trouvez machiste d’écrire “il” avant “elle”, quid de ne pas écrire “elle” du tout ?

Comme disait mon prof de latin, il n’y a qu’une seule regle grammaticale, l’usage. Et une règle imposée par militantisme ne me semble pas l’évolution naturelle d’une langue ! Et enfin, avant tout, un écrit doit pouvoir se lire, ce n’est pas le cas de l’écriture inclusive. Le féminisme n’a pas eu besoin de l’écriture inclusive pour s’exprimer. Associer ce combat à une telle laideur, à mon avis, ne lui rend pas service.
De plus, l’utilisation du masculin comme neutre dans la langue francais, c’est aussi pour aller plus vite. Encore plus vite. Avec un écrit qui peut se lire à haute voix.

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@jmguiche Au sujet de l’ordre d’apparition féminin/masculin, ce n’est pas ce que préconise l’écriture inclusive. Voici ce qu’il en est :

Moche peut-être, mais pas machiste.

(Ah tiens, un bug. Je reprends …)
@jmguiche Au sujet de l’ordre d’apparition féminin/masculin, ce n’est pas ce que préconise l’écriture inclusive. Voici ce qu’il en est :
« La mention par ordre alphabétique des termes au féminin et au masculin :
elle et il, tous les Acadiens, toutes les Acadiennes, celles et ceux. »
Moche peut-être, mais pas machiste.

Intéressant. Hâte de voir ce débat du 18…

Il est dommage d’avoir aussi vite écarté la question du musée posée par Guillaume, et surtout de l’avoir si mal débattue par M. Phal et le Mops. Le musée n’est pas le seul lieu de l’art, bien au contraire, il est même pour moi son lieu de retraite historique. Dire que le jeu n’a rien à faire dans un musée est une erreur. La question d’usage de l’objet artistique n’a pas été posée. Si on prend l’exemple du Quai Branly, les masques et autres objets qui y sont exposés ont eu à une époque donnée une valeur d’usage, ils étaient portés et utilisés dans des fêtes ou des rituels; regarder leurs formes et leurs couleurs nous donne une idée de ce que pouvaient être les croyances de ces peuples. Je n’ai pas besoin de porter un de ce masques pour comprendre l’ampleur d’une pensée et d’une cosmogonie dite “primitive”. C’est la même chose le musée de la mode et du design, on y porte pas de vêtement et on y essaye pas les meubles, ils sont simplement le reflet d’une époque donnée et le musée permet de concentrer l’évolution historique de ces créations.

Pour ce qui est de la valeur artistique du jeu, je reviens un peu sur cette valeur d’usage qu’a perdu l’oeuvre d’art depuis le début du siècle avec les avant-gardes, quand les artistes on commencé à créer des oeuvres singulières libérée de toute utilité, religieuse ou décorative, mais répondant à une recherche plus philosophique dans ce que l’on a appelé “l’art pour l’art”. Je pense que le jeu de société, de part sa valeur d’usage dont elle ne peut se défaire, la prive du caractère “absolu” de la recherche artistique, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas artistique et culturel au même titre que les médias comme la littérature et le cinéma. Il y a par contre une limite que je ne franchirais pas, c’est de mettre toute création au même niveau, on va peut-être me traiter d’élitiste, mais on ne peut pas comparer Le Greco et Vincent Dutrait, et ce n’est pas parce que quelqu’un utilise une forme d’art, comme le dessin ou la peinture, qu’on peut parler d’art. Je compare souvent la compréhension de l’Art avec la Philosophie, car comme il n’est pas suffisant de savoir lire pour comprendre la philosophie, il n’est pas suffisant de voir pour comprendre l’art, ces deux disciplines sont des langages et demandent des efforts pour être appris, à l’image d’une langue étrangère, il y a une logique, des concepts qu’il faut apprendre et qui ne sont pas innés ni même accessible par la seule sensation. De la à voir un jour un jeu comparable à Bach ou Proust, l’histoire nous le dira.

Cher Monsieur,

On ne peut pas avoir mal débattu puisque ce n’était pas un débat :slight_smile: C’est un avant débat pour initier des pistes… On pourra donc aborder la problématique du musée si les invités du jour lors du débat ont envie d’en parler. Perso, on peut bien mettre ce que l’on veut dans un musée, des oeuvres d’Arts, des vêtements, des bijoux, des voitures, des chaussettes, des jeux… En fait, on peut tout mettre dans un musée, y compris des vinyles qu’on n’écoute pas :o) Tout dépends ensuite de la définition et la fonction que l’on donne au musée et ce que l’on veut en déduire :slight_smile:

Les musées ont une fonction claire, celle de mémoire. Je ne vois pas ce que viens faire la déduction là dedans. C’est un lieu qui concentre les traces de l’activité humaine dans le temps. Après, la question de l’utilité de garder ces traces ou non peut se poser, mais c’est justement un autre débat.

Ok, donc parfait. Si vous me relisez, je dis bien qu’on peut avoir des musées sur ce que l’on veut et donc y mettre aussi des jeux. Nous avons donc “bien” débattu du coup. Peut-être un peu vite ou ça va ? :o)

Il n’en reste pas moins qu’un jeu, cela se joue et que l’important reste la mécanique et ce qui en découle et voir un jeu en vitrine ne nous dira pas grand chose sur cela. Voir un “Terraforming Mars” en vitrine vous donnera quelques informations sur l’industrie ludique de l’époque, mais à moins de jouer, vous n’en saurez pas plus sur la mécanique. Et là, en l’occurence, nous parlons de cela, de la mécanique, du travail des auteurs, car en fait, le produit que vous achetez est le résultat du process de l’éditeur, plus vraiment de l’auteur… Et c’est pour cette raison que nous avons peut-être “vite” écarté le sujet. :o)

Mouais. M. Guillaume commence par dire que le mot “culture” recouvre plusieurs sens. Et là-dessus, Dr. Mops confisque le débat en disant que les choses sont simples. Pour ma part, je ne trouve pas que les choses sont simples; donc je reformulerais sa proposition ainsi: tout ce qui ne pousse pas dans les arbres est “culturel” (et non pas de la “culture”). La classique définition philosophique dont il se fait ici l’écho, oppose la culture à la nature et à l’inné. Mais clairement, ce n’est pas cette acceptation dont il est question quand on parle du Ministère de la Culture. Sinon André Malraux et Françoise Nyssen, en passant par Jacques Lang et Françoise Giroud, auraient eu à s’occuper de la cylindrée des moto-crottes, de la revalorisation du SMIC, et de la concentration de chlore dans les piscines. Parce-qu’en effet, si c’est en s’appuyant sur la définition globalisante du Dr. Mops qu’on fait entrer les fabricants et les inventeurs de jeux dans le secteur de la “culture”, alors pourquoi ne pas y faire entrer également mon garagiste, mon plombier, et mon médecin puisque eux non plus ne poussent pas sur les arbres ?

Donc plutôt que de “tout ce qui ne pousse pas dans les arbres”, le Ministère de la Culture a pour mission de s’occuper de média et de communication, de patrimoine, d’arts et de spectacles, ainsi que de créations et d’oeuvres de l’esprit. Et intuitivement, on se dit que “créations et oeuvres de l’esprit”, ça colle plutôt bien avec les jeux qu’on apprécie et qu’on aime. Oui, sauf que ça colle parfaitement aussi avec n’importe quel brevet industriel: un gel de silicone dans la semelle de chaussure qui va bien, un smartphone, et une tablette graphique sont également des créations et des oeuvres de l’esprit. Et au final, la question de savoir si un jeu est un bien culturel ou un bien artisanal-industriel revient in fine à se poser la question de la propriété intellectuelle: de quelles protections un jeu doit-il pouvoir bénéficier ? Et c’est là que cette discussion d’une heure est intellectuellement malhonnête, car elle confisque totalement le débat.

Il est dors et déjà évident, aussi bien pour tout le monde que pour nos institutions, que les jeux de sociétés mettent en oeuvre des collaborations artistiques complexes. Et à ce titre, nombre d’éléments et de composants peuvent être protégés par le droit d’auteur. Typiquement, il s’agit d’éviter le plagiat. En tant que joueurs, nous finissons tous par être le bisounours de quelqu’un d’autre, et naïvement, nous sommes contre le plagiat et pour le droit d’auteur. Oui, sauf que si le droit d’auteur devait s’appliquer dans le domaine industriel, il n’y aurait aucune concurrence et que des monopoles: par exemple il n’y aurait qu’une seule entreprise qui aurait le “droit d’auteur” de faire des smartphones. Dès lors, dans l’industrie, la propriété intellectuelle n’est pas protégée par des droits d’auteur, mais par des brevets. Et la revendication qui pointe à l’horizon de la discussion, c’est le type de protection de la propriété intellectuelle d’un “mécanisme” de jeu. Si Jungle Speed a gagné contre Jungle Jam, c’est que ce dernier a été reconnu coupable de contrefaçon sur les cartes, les motifs et le totem, protégés par le droit d’auteur comme il se doit. Mais le procès ne s’est pas joué sur le “mécanisme” en lui-même. Et heureusement ! Parce-que sinon, Ravensburger, avec son jeu de 1959 (Memory), aurait pu attaquer Jungle Speed à son tour…

Clairement au Memory comme au Jungle Speed, le mécanisme de base est le même: chaque joueur retourne des cartes, et le but du jeu est de reconnaître des paires. Vous allez me dire, que les jeux sont différents car l’un joue plus avec la mémoire, et l’autre avec la rapidité. Mouais… Ca se discute devant un juge ! Pourquoi Ravensburger s’en priverait ? Au moment où Jungle Speed sort, il est auto-édité par ses créateurs, et à moins qu’ils ne disposaient de fortunes, ils ne pesaient pas grand chose face à l’un des poids lourds du secteur industriel mondial du jeu. Je ne suis pas juriste, et dans cette uchronie, je ne sais même pas dans quel pays cette affaire aurait été portée en justice. Encore une fois, on finit toujours par être le bisounours de quelqu’un d’autre, et il me semble que les choses sont un peu plus tordues qu’on pourrait le croire de prime abord. En effet, un premier examen superficiel de la question m’amène à penser qu’une protection trop stricte ou trop large de la propriété intellectuelle des “mécanismes” risque de profiter aux gros éditeurs plutôt qu’aux petits indépendants. Et puisque toute oeuvre de création suppose un minimum d’inspiration, on passerait certainement à côté d’excellents jeux “inspirés”. A l’extrême, Klaus Teuber pourrait être reconnu comme le seul auteur légitime de jeux à l’allemande.

Mouais… D’abord ce n’est pas un débat, mais un pré-débat. Un truc fait pour lancer des pistes de réflexion et donc lancer un débat par la suite. Donc le Docteur Mops ne confisque rien du tout. Ensuite, votre biais n’est pas du tout le même que le sien, ou le mien ou celui de Monsieur Guillaume ou celui des gens qui vont venir pour le débat. Donc, les angles que vous prenez ici, les arguments pour aller dans votre sens sont guidés par une intention, et donc des conséquences, et du coup ces intentions m’ont l’air bien différentes du Docteur Mops, des miennes… Pour Monsieur Guillaume je ne sais pas :o) Pour vous éclairer, parce que je pense que certains ne vont pas suivre, les trucs de propriété intellectuelle, d’industrie, de sous, de droits, de loi, perso je m’en cogne à ce niveau là de la discussion. :o) Tout cela viendra sans doute dans le débat, parce que les gens qui seront là sont impliqués industriellement, ce qui n’est pas notre cas. Et avant de passer à tout cela, je pense qu’il faut (fallait) partir de l’intellectuel plutôt que de l’industriel… Il vient je pense après. Et ce n’est peut être pas en 1h que l’on fera le tour :o)

Si je pars de l’intellectuel comme vous m’y invitez, cher et estimé M. Phal, il m’apparaît qu’un jeu serait un peu comme un film: différents métiers collaborent pour créer une oeuvre aboutie. Et si l’expérience joueur consiste à appréhender un jeu comme un tout, rien n’empêche de reconnaître chaque discipline pour son concours. C’est tout à fait ce à quoi trictrac contribue avec son trictrac d’or (global) et les différentes catégories (spécialités). Là, la photographie, et les costumes pour le cinéma, ici les illustrations pour le jeu par exemple. Mais il me semble que toutes les spécialités ludiques ne relèvent pas pour autant du domaine artistique exclusivement. Quand bien même elles sont “création et oeuvre de l’esprit”. Il en est ainsi de l’ingénieur son auquel le cinéma demande certes, une sensibilité artistique, mais surtout une expertise technique. Et à priori, je préjuge que le travail d’équilibrage des mécanismes d’un jeu asymétrique et l’élaboration d’un moteur de ressources relèvent fondamentalement de l’ingénierie. Car des outils utiles pour ce travail spécifique sont plutôt la modélisation mathématique et la recherche linéaire.

A ce stade, je me permets de lancer à la cantonade et de manière primesautière, que des Cédric Villani et des Albert Einstein ne rechignent pas à parler d’élégance, de beauté, voire de sensualité concernant un problème ou une solution mathématique. Pour autant, faut-il considérer l’astuce, l’analyse, l’abstraction, la modélisation, et les statistiques comme de l’Art ? Lorsque j’appréhende un nouveau jeu de M. Bruno Cathala (et j’insiste très spécifiquement sur la découverte des mécanismes du jeu), dans l’euphorie et l’exaltation, je pourrais facilement me laisser aller à dire familièrement que ce grand monsieur est un “artiste”, tellement sa science du jeu confine à la “poésie” :slight_smile: Mais rigoureusement, de mon point de vue (et ça n’engage évidement que mes biais et moi-même), son génie des mécanismes s’élève jusqu’à la “science du jeu”. Pour appuyer mon propos, je rappelle aux moins matheux d’entre nous, que la “théorie des jeux” est une spécialité de la mathématique, et qu’on y retrouve d’éminents scientifiques comme Alan Turing, John van Neuman, John Forbes Nash, ou encore John Maynard Smith. Ainsi, si je devais établir une ontologie des jeux, ou plus trivialement une carte heuristique, j’aurais une partie qui traite particulièrement des “mécanismes” avec tous ces “auteurs”, réunion à laquelle j’inviterais volontiers et entre autre, Alex Randolph et Matt Leacock. Mon intention n’est évidemment pas de rabaisser ou de dénigrer des “auteurs” lorsque je les taxe “d’inventeurs” et de “fabricants”. Mon intention est encore moins de hiérarchiser l’Art et la Science. Mon intention est de partager mon intuition selon laquelle le jeu trouve ses lettres de noblesse autant dans l’Art que dans la Science. Et pour le coup, je rejoins tout à fait le très stimulant Dr. Mops lorsqu’il jette des ponts et des passerelles entre l’Art, la Science, et la Philosophie.

Or, qui dit science, dit constitution de savoirs et de connaissances. Et qui dit constitution de savoirs et de connaissances, dit recherche fondamentale, découverte, et partage. Turing, Nash, et Smith, pour ne prendre qu’eux, ont écrit des articles scientifiques pour soumettre et partager leurs connaissances et leurs découvertes. Ainsi, la communauté, pour ne pas dire l’humanité entière, est alors capable de bénéficier de leur travail afin de progresser, d’innover, de trouver, d’inventer, et de faire évoluer les mécaniques de jeu. Il ne viendrait à l’esprit de personne (enfin “normalement”), dans la communauté scientifique, de protéger par un brevet ou un droit d’auteur, l’équilibre de Nash. Mais, mais, mais… Dans une logique de droit d’auteur, si l’on considère qu’une mécanique est l’expression artistique de la personnalité de son “auteur”, alors le dilemme du prisonnier, le problème de plus court chemin, et la résolution de la maximisation d’une fonction de gain (que partagent Pandemic, Catane, ou Terraforming Mars), deviennent alors la propriété exclusive d’une seule personne. A l’extrême de l’extrême, lancer un dé pour avancer un pion sur un plateau pourrait être protégé par un droit d’auteur. Dans ce cas, on pourrait facilement s’en sortir avec une pioche de cartes “déplacement”. Mais à son tour, cette mécanique pourrait être protégée par un droit d’auteur. Encore plus extrémiste, la mécanique d’avancer un pion sur un plateau selon un tirage aléatoire de points de déplacement pourrait au bout du bout faire l’objet d’une tentative d’appropriation intellectuelle.

Ainsi, mon propos n’est pas tant de parler d’argent et de gros sous, que de la liberté de création. Si Klaus Teuber était reconnu comme le papa légitime des “jeux à l’allemande”, avec un droit d’auteur idoine sur “ce mécanisme” à la fois particulier et général, alors Terraforming Mars n’aurait pas pu voir le jour. Et cela, ça concerne autant l’auteur, Jacob Fryxelius, que nous autres les joueurs. Ainsi, je vous pose donc solennellement la question, chers internautateurs et chères internautatrices, en raclant du dedans de ma gorge des traces de nicotine et de vin bon marché qui confèrent à ma voix plutôt le timbre de Macha Béranger que celui de Tom Waits en cette heure si tardive de 20h00 de l’après-midi: est-ce que nous voulons d’un monde où Terraforming Mars n’existerait pas à cause des droits d’auteur ?

En définitive, il me semble que petit à petit, les jeux de société acquièrent leurs lettres de noblesse par la reconnaissance de leurs talents artistiques intrinsèques mis en oeuvre. Et il m’apparaît assez évident que certains ont l’ambition (et ce n’est pas un gros mot) de proposer une oeuvre cohérente, réfléchie, et aboutie. Mais j’ai l’intuition que ce serait probablement une bonne idée aussi que de reconnaître, de valoriser, et de promouvoir, non seulement “l’art du jeu”, mais également la “science du jeu”: en particulier sur ce travail très spécifique des mécanismes dont les tenants et les aboutissants se révèlent appartenir à la mathématique et parfois à l’ingénierie. Il serait intéressant de demander à M. Bruno C., sans pour autant devenir obséquieux, s’il tire son génie plutôt d’outils mathématiques voire informatiques, plutôt de sa seule expérience exclusive et consommée, ou si son génie consiste justement à mélanger tout ça et faire une sorte “tambouille” scientifico-artistico-expérimentale. Pour aller plus loin, on pourrait se demander s’il n’est pas possible, en outre, de distinguer les “mécanismes mathématiques” des “dynamiques sociales”. Naïvement, si j’examine quelques titres du grand monsieur Philippe des Pallières - Loups Garous de Thiercellieux et Mafia de Cuba (même si pour ce dernier, l’auteur est Loïc Lamy) - on constate évidement un formidable travail d’équilibrage probabiliste, mais le trait saillant est reconnaissable: le fun, l’interaction entre joueurs, les questions qui fusent, la possibilité d’être plus ou moins “role-play”, que le jeu peut tout aussi bien être une expérience de A à Z dans une sorte de joyeux maelström social et interactif, plutôt que l’attente passive de son tour de jeu. De ce point de vue, on pourrait dire que le plaisir, la reconnaissance et la consécration des différents “party game” porteront sur leurs capacités respectives à imprimer une “dynamique sociale”, un certain “art du jeu”. De ma seule et humble expérience, Mafia de Cuba peut tout aussi bien être une réelle expérience géniale de vie et une fabrique à souvenirs extraordinaire, que chiant comme la mort. De même avec les Loups Garous de Thiercellieux. Tout va dépendre d’avec qui on joue. En revanche, un Loup-Garou Pour Une Nuit n’a jamais été chiant. C’est subjectif et non représentatif, mais il me semble que l’ambiance s’installe en une ou deux parties, et que c’est le jeu en lui-même qui apporte sa propre dynamique. Ca marchera toujours. Plus ou moins, mais ça fonctionnera. Contrairement à un role-play où si le le maître du jeu est médiocre, ça va tomber complètement à plat. Et c’est là où je veux en venir: à l’instar des “mécaniques de jeu”, intrinsèquement mathématiques qui vont éveiller l’intérêt des joueurs curieux, les “dynamiques de jeu” éveillent l’intérêt des joueurs sociaux par leur expertise non pas pseudo-littéraire et pseudo-artistique, mais fondamentalement en maîtrisant les connaissances et les savoirs des sciences humaines et sociales.

D’où je parle ? Si on me dit qu’un 8 de pique représente une invasion d’aliens, je vais trouver une simple carte d’un jeu de belote totalement immersive. Quand je joue, je ne suis pas un adulte qui régresse à l’âge de 12-13 ans avec mes figurines de Big Jim, de Musclor, ou mes soldats en plastique. Et que voilà donc qu’est-ce que je vais trouver un jeu génial parce-que les pièces de monnaie sont forgées dans le lourd granit ? Non: je régresse à l’âge de 6-8 ans et je me jette à corps perdu dans l’imaginaire qu’on me propose, même si c’est à base de 8 de pique. Dans le cadre de ce pré-débat, je vous soumets mesdames et messieurs, mes pensées hasardeuses et subjectives: les lettres de noblesse du jeu de société s’inscrivent autant dans l’art du jeu que dans la science du jeu. Et ce serait une erreur de les opposer, mais ce serait une erreur de les confondre. Ainsi donc, se résume ma proposition de piste de réflexion dans le cadre de ce pré-débat: un jeu de société est fondamentalement une oeuvre artistique comme un film de cinéma, mais ses “mécanismes” relèvent plus de la science (et de l’expérience) que de l’art. Et on peut, peut-être également, distinguer “mécanique” et “dynamique” au sens où la première relève de la mathématique, et la seconde des sciences humaines.

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Citation: "
Il faut dire que les scientifiques et les artistes partent du même refuge, qui est la condition humaine avec ses pulsions créatrices. Est-ce à dire qu’ils visent le même sommet ? Croire que oui relèverait d’une nostalgie naïve. Mais c’est justement parce que la science et l’art ont des ambitions séparées qu’il est intéressant d’examiner leur rapport, en partant du constat déjà établi par Bertold Brecht dans L’Achat du cuivre, un texte écrit en 1945 :

« Les gens qui ne comprennent rien à l’art ni à la science croient que ce sont là deux choses immensément différentes, dont ils ignorent tout. Ils s’imaginent rendre un service à la science en lui permettant d’être sans imagination, et ils croient faire progresser l’art en empêchant quiconque d’en attendre de l’intelligence. Il se peut que tel homme ait un don particulier pour une discipline particulière, mais il n’est pas d’autant plus doué dans cette discipline qu’il est plus incapable dans toutes les autres. Même si l’humanité a dû souvent et longtemps se passer du savoir comme de l’art, il reste que l’un et l’autre sont essentiels à ce que nous considérons être « l’humain ». Il n’existe personne qui soit totalement dépourvu de savoir, et il n’existe personne qui soit totalement dépourvu d’art. »
"
Source: france-cucul, https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/science-et-art-qui-modele-qui
C’est l’émission de la semaine qui vient à point nommé en complément de mes réflexions, finalement peut-être pas si extravagantes.

“L’Achat du cuivre”… un nouveau jeu de gestion avec des cubes en bois ?
:slight_smile: