Pente, Gomoku et leur grande famille

Les dictons sont des réflexions ancestrales qui permettent de nous guider sur le laborieux chemin de la vie. Si je les évoque ici c’est parce que l’un d’entre eux est parfaitement adapté à Pente, jeu bien connu dans nos contrées : “c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes”. En effet, il s’agit de l’adaptation européenne d’autres jeux provenant de Chine.

Comme souvent, le même jeu existe ou a vu le jour sous différentes appellations, avec l’existence de variantes localisées ou devenues jeux à part entière. Tous les jeux que je vais donc vous présenter sont tous semblables les uns aux autres mais séparés par quelques subtilités.

Le Gomoku

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Gomoku signifie littéralement “alignement des cinq yeux” en japonais. Son nom chinois est Wuzi qi, “échiquier des 5”, et il est aussi appelé Omok en Corée. Le terme “œil” se retrouve également au jeu de Go : il s’agit d’un trou, formé avec des pions sur le plateau. Les similitudes entre ces jeux ne s’arrêtent pas à de simples termes, le Gomoku se jouant également sur un plateau de jeu de Go, quadrillé de 19 lignes horizontales et verticales qui forment 361 intersections. En effet, au Go comme aux autres jeux se jouant avec un Goban (nom du fameux plateau), on ne joue pas sur les cases mais bien sur les intersections.

Les joueurs ne reçoivent ici que 60 pions chacun, le but étant de réussir à aligner 5 pions.

Les Anglo-saxons ont découvert ce jeu au siècle dernier alors qu’il reste encore assez discret en France si ce n’est sous le nom de Pente, comme nous aurons l’occasion de le constater. Tout comme le Go, le jeu est joué par des millions de joueurs en Chine, au Japon et en Corée. Il était autrefois utilisé en Extrême-Orient pour l’apprentissage des règles de son aîné.

Le jeu est simple. Le premier joueur, qui joue les noirs, commence en plaçant sur le plateau son premier pion sur l’intersection centrale. Le joueur blanc doit alors poser un de ses pions sur une intersection adjacente au pion noir. Puis noir fait de même et ainsi de suite jusqu’à ce que l’un des joueurs ait réussi à aligner 5 pions de sa couleur à l’horizontale, verticale ou en diagonale. Une partie se déroule en deux manches, les joueur prenant les noirs chacun à leur tour.

Le renju

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Variante du Gomoku, il a vu le jour en 1931 à l’initiative du champion japonais Takagi Rakazan. On y joue avec un plateau réduit de 15 lignes dans les deux sens qui forment 225 intersections. Les règles restent identiques à celles du Gomoku, si ce n’est quelques restrictions pour le joueur noir (avantagé car jouant en premier) :

Il n’a pas le droit de réaliser de double série de 3 ou 4 pions alignés ou séparés par une seule intersection (ce que l’on appelle un “trois-trois” ou un “quatre-quatre”) ;

Lui sont également interdits les alignements de plus de 5 pions, par exemple en réunissant 2 et 4 pions déjà à la file pour obtenir une suite de 6.

Wuzi qi

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Ancêtre des deux jeux précédents, il a vu le jour en Chine. Les règles, qui diffèrent quelque peu de celles de ses successeurs, sont les suivantes :

Les blancs et les noirs jouent chacun leur tour. Les noirs débutent.

Après la pose du 3ième pion, les blancs ont la possibilité de changer de couleur.

Le jeu se joue sur un plateau de 15x15.

Le premier à aligner 5 pions d’une même couleur gagne.

Le Pente

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Pente tire son nom du grec où il désigne le chiffre 5. Pas très original, certes, mais direct et totalement en accord avec le but du jeu. Apparu en 1982 chez Parker, il sera repris en 2006 par Wining Moves (avec l’apparition de 4 pions joker) après de nombreuses années d’absence sur les étals. Bien qu’il s’inspire de jeux plus anciens, Pente est le fruit du travail d’un auteur américain, Garry Gabrel, qui avait adapté les règles du Renju en 1973 .

Pente comprend une règle qui change beaucoup la donne et offre un côté plus dynamique que ses ancêtres : les captures. Lorsqu’un duo de pions de même couleur est “fermé” des deux côtés par 2 pions adverses, ce duo est capturé. Si un joueur en capture 10, il remporte la partie. Le jeu se joue sur un Goban classique de 361 intersections réparties sur 19x19 lignes. Fait amusant, ce sont les blancs qui commencent, tout comme aux échecs. L’ajout de la capture offrant encore plus de stratégies, les joueurs devront rapidement choisir entre capture et alignement, protégeant leurs pions tout en bloquant l’adversaire. MB sortira en 1984 le jeu Pagoda qui semble très inspiré de Pente avec son plateau de 17x17 lignes.

Mais au fond, le morpion c’est la même chose ?

Oui, mais non, car dans le morpion il faut réussir à aligner 3 de ses symboles sur un plateau de 3x3 cases, ce qui limite beaucoup les stratégies. Le jeu peu est peu intéressant et très limité, surtout qu’en plaçant son symbole au centre le premier joueur prend un avantage considérable. Comparé à Pente il fait encore plus pâle figure, la règle des captures étant un véritable plus qui renouvelle beaucoup le jeu. S’il faut bien y aligner des symboles, le morpion n’est pas identique à Pente et ses congénères.

Le Wali

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Quitte à parler de jeu d’alignement non descendant du Wuzi qi mais y ressemblant tout de même, autant que je vous parle du Wali. Venu d’Afrique du Nord, il se joue sur un plateau composé de 6 cases horizontales et 5 verticales. Chaque joueur reçoit soit 12 cailloux, soit 12 bâtonnets, qu’il va placer sur les différentes cases (et non sur les intersections). Il est interdit de poser plus de deux pièces adjacentes sur une même ligne. Une fois cette phase terminée, il reste 6 cases vides.
La seconde phase consiste à déplacer ses pièces afin de réussir à aligner au moins 3 pièces à l’horizontale ou à la verticale. Si un joueur réussit cette combinaison, il gagne le droit de retirer une pièce adverse. La partie prend fin lorsqu’un joueur n’a plus de pions.

J’aurais également pu évoquer le jeu du moulin pour son côté historique (le jeu proviendrait de l’Égypte), mais aussi pour son plateau original, le but final étant toujours d’aligner ses pions. Au rayon des jeux non édités j’aurais pu évoquer Neutreeko ou Orthokon, deux jeux d’alignement plus minimalistes mais tout aussi intéressant, sans oublier Jushimatsu, un jeu d’alignement avec du hasard que l’on doit à Madoka Kitao, auteure de Yokai No Mori (édité chez nous par Ferti).

Une petite conclusion qui en fait n’en est pas vraiment une

J’aurais pu vous parler encore plus longuement des jeux d’alignement, ajoutant d’autres titres sous forme d’une longue liste peu plaisante à lire. Mais l’idée de base était de vous montrer comment des jeux que l’on connaît très bien dans nos contrées ne sont parfois que de simples variantes aménagées. Lorsque j’ai découvert Pente il y a quelques années je ne savais pas qu’il s’agissait d’un dérivé du Renju. On ignore trop souvent l’histoire passionnante des jeux et il serait dommage de ne pas en parler, ne serait-ce que pour vous donner l’envie de les découvrir. D’autant que plusieurs parmi ceux évoqués ici sont facilement réalisables par vos soins afin de découvrir toutes leurs qualités ludiques.

Merci à Chips pour sa correction.

3 « J'aime »

Je voulais écrire un article sur le Wali mais les références sont en réalité très peu nombreuses. La plupart s'auto-citent sans sources. D'après certaines, chaque famille dans le Sahara occidental se transmettrait même leur plateau familial et... je n'arrive pas à trouver une seule image. C'est surement très secret ^^

La seule indication que j'ai trouvé est une description de Théodore Monod dans ces carnets de voyage. Si quelqu'un connait d'autres sources, je suis preneur.

Merci à Arthelius de replacer ces essentiels.

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Merci pour votre commentaire :)
Oui j'ai eu le même souci avec le wali, la diffusion des règles doit être principalement orale, et les sources ne sont pas nombreuses, j'ai eu quelques infos sur ce site : http://jeuxstrategie.free.fr/Wali_complet.php
Mais au niveau source officiel je n'ai rien d'autres malheureusement :/

Oui j'essaie de ne pas oublier les jeux qui ont inspirés nos jeux actuels, c'est important je trouve de sensibiliser le public au patrimoine ludique. Je planche sur un article/dossier sur les ganjifas, mais c'est assez complexe et long à écrire, pour continuer mon exploration des anciens jeux.

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Ce qui est incroyable, c'est qu'à différents endroits de la planète, des peuples ont inventé les "mêmes" jeux.

Même si nous pourrions considérer que le commerce aidant, les peuples nomades aidant, il y ait peut-être eu transmission.

Mais peut-être pas. Le simple hasard de la Vie.

Une autre hypothèse étant que les jeux d'alignement du type du wali, facile à fabriquer ou figurer, soit pratiqué depuis les temps préhistoriques, et qu'il ai accompagné les migrations de l'homo sapiens sapiens.

Lorsque l'on découvre l'art pariétal (cf. la grotte Chauvet 30 000 ans avant notre ère), avec un sens de la perspective, des volumes et du mouvement digne des artistes contemporains, tout paraît plausible...

De là à imaginer que c'est justement la pratique de ce genre de jeux qui a permis à l'homme de développer sa capacité d'abstraction et in fine l'écriture et les mathématiques, il n'y a qu'un pas qui me plaît beaucoup de franchir ^^ !