LES JEUX ont une HISTOIRE.

LES JEUX ont une HISTOIRE.

LES JEUX ont une HISTOIRE

(ou «Père Pfister, raconte moi une histoire... »)

« Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde, la mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas, mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Albert Camus.

Certains auteurs de jeux sont mis à l'index, au pilori voire à la question concernant leurs traitements de l'Histoire.

Révisionnisme, racisme, xénophobie...les mots comme des chiens sont lâchement lachés à leur trousse.

Le lynchage arbitraire, la dénonciation tout azimut sont un courant (incultivé) de pensée de nos jours.

Pensée cultivée à l'arrache, à l'emporte-pièce. Sommaire, drapée de certitudes et d'arrogance. Tout vaut tout. Sans nuance.

Hop, on envoie au bûcher un écrivain sans l'avoir jamais lu, on monte à l'échafaud un auteur de jeu sans l'avoir écouté parlé de son jeu, sans même l'avoir joué...

Alors, avant de cheminer ensemble, accordons nous sur la définition de l'Histoire.

Hum, déjà pas si simple.

Je vais prendre des pincettes (celles de mon Docteur Maboul), des gants de protection (j'en ai plein à la maison pour faire le ménage ou me prévenir du COVID-19), et mon Bouclier d'Or (de SDA JCE) contre vos jets de pierres.

Cet article va être un jeu d'équilibriste.

Peser chaque mot.

Ne pas tomber.

L’histoire serait la connaissance des itinéraires suivis par les générations précédentes. C’est la mémoire de l’humanité. Essentielle pour comprendre le présent, le futur et le passé donc.

L'Histoire est une accumulation de faits, d'événements, de récits plus ou moins interprétés.

Avec des lectures différentes selon son éducation, sa culture, son origine, son vécu, etc.

Nous sommes d'accord ?

Par exemple.

Napoléon a construit son Empire en faisant des guerres. Personne ne peut le nier c'est un fait historique.

Napoléon est un nabot sanguinaire qui a envoyé des tas de bonshommes à la boucherie. Ca se discute mais c'est ma lecture. La vôtre sera probablement divergente et peut-être même allez vous vénérer, aduler ce personnage de notre Histoire de France.

Donc l'Histoire ça se discute sagement, avec modération et arguments, au-delà des émotions souvent trompeuses.

Et les jeux dans tout ça ?

Prenons le dernier jeu de Pfister, Maracaibo.

Nous allons, je cite le livret de règles, « combattre sous la bannière d'une nation, livrer des marchandises...explorer l'intérieur des terres. »

Tout le monde sait que :

-quand on combat il y a des morts

-quand on livre des marchandises il y a de l'exploitation

-quand on explore des terres il y a destruction

Evident, qui peut le nier ?

Page 23 du livret l'auteur nous met en garde : « Nous voulons rappeler à tous les joueurs que la cupidité et les ambitions des puissances européennes ont eu de terribles répercussions sur les habitants des Caraïbes à l'époque à laquelle ce jeu se déroule. »

Encore faut-il prendre le temps de lire ce passage.

Est-ce que par ce jeu Pfister cautionne ces mauvais traitements infligés aux populations indigènes ?

Non.

Est-ce que les joueurs de Maracaibo chérissent l'esclavagisme et la colonisation ?

Non.

Pfister ne raconte pas l'Histoire des Caraïbes telle qu'on voudrait qu'elle fût mais comme elle l'était.

Restons mesurés sans hâtivement condamner.

Allons plus loin si vous le voulez bien.

Est-ce que quand je joue un Vampire qui mange des pauvres villageois à Village Attacks je suis un vrai anthropophage dans la vraie vie ?

Est-ce que quand je détruis des nains à SmallWorld je suis un sans coeur qui se moque des personnes de petite taille ?

Et pourquoi mon voisin de palier, gros raciste assumé et revendiqué qui ne peut pas voir les chinois prend-il plaisir à jouer à Freedom ?

Et pourquoi ma sœur (qui bat le beurre) végétarienne indécrottable s'éclate t-elle à manger du cochon à Agricola ?

Hum, hum, tout cela n'est pas si simple et gardons nous de primaires réductions bien pensantes.

J'adore « Le Voyage au bout de la Nuit » de Céline, pour moi c'est un chef d'oeuvre et je ne suis pas antisémite.

J'adore la chanson des Stones « Sympathy for the Devil » et je ne suis pas satanique.

Etonnant, non ?

Allons voir ce bon Daniel Defoe et son Robinson.

On peut pas dire que dans son excellent roman Vendredi soit si bien traité que ça. Veuillez l'excuser mais c'est un écrivain du XVIIIème siècle.

Et que dire du jeu Robinson Crusoé où Vendredi peut bien dormir n'importe où sans rien manger pendant que l'homme blanc Robinson ne pense qu'à se bafrer et à dormir bien au chaud dans un abri.

Continuons je vous prie.

Peut-être devrait-il y avoir davantage de jeux qui montrent une autre Histoire ?

Voui !

Mais quelle Histoire ?

Revenons à nos colonies des Caraïbes.

On pourrait imaginer un jeu qui relate les révoltes des esclaves au XVIIème siècle dans les Caraïbes. Il y en a eu. De nombreuses.

Oui super j'aimerais bien.

Mais ce serait un autre jeu que celui de Pfister.

Les deux jeux seraient historiquement viables.

La colonisation comme les révoltes des esclaves ont existées. Ce sont des faits.

Prenons garde de ne pas réécrire l'Histoire à la façon qui nous arrange, nous rassure, nous conforte, nous éblouit, nous rend aveugle.

Prenons un jeu sur la Révolution française, tiens.

Quel type de jeu serait acceptable ?

Un jeu qui encense Robespierre ?

Un jeu qui prend parti pour les girondins ?

Un jeu qui condamne Marie-Antoinette ?

Un jeu qui valorise les chouans ?

Un jeu qui mettrait en avant le rôle des femmes ?

Je dois avoir une trentaine de livres sur cette période et aucun historien ne s'accorde sur l'interprétation des faits.

Chaque historien raconte SA révolution.

Encore une fois pas si simple...

L'Histoire c'est des faits indéniables et des lectures discutables parfois inacceptables.

Enfin.

On peut aussi refuser de jouer à Maracaibo (dommage c'est un excellent jeu) ou de ne pas lire Céline (dommage c'est un grand écrivain).

Personne n'est obligé.

La culture, ludique, cinématographique, musicale, littéraire est un choix.

Le plus important, me semble t-il, est de discuter de tout ça.

Autour d'un film, d'un livre, d'un jeu.

Entre amis, avec nos enfants.

Le jeu est une bonne occasion.

Avant, après mais pas pendant !

Comme l'écrivait ce cher Montaigne : « Quand je joue, je joue. »

« Dis papa pourquoi aux Echecs c'est toujours les blancs qui commencent ?

- Regarde l'échiquier mon fils et réfléchis à ton jeu, on en discutera après.»

« Je n'écris pas pour dire ce que je pense mais pour le savoir. » Emmanuel Berl.

A lire, pour un retour au calme.

« Le roman noir de l'Histoire » de Didier Daeninckx.

« Une histoire populaire de la France » de Gérard Noiriel.

"Les luttes et les rêves - Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours" de Michelle Zancarini-Fournel.

20 « J'aime »

Pfister, l’auteur de Maracaibo prévoit pour la fin de l’année une extension où les caribéens joueront un rôle plus important dans le jeu.

Bel exercice et plutôt bien réalisé. Il y a juste un point que tu n’abordes pas et qui aurait peut-être mérité, c’est la complexité et la fluidité du jeu.

Lorsqu’on crée un jeu avec un thème, il n’est pas toujours possible d’intégrer l’ensemble des éléments qui ont joué un rôle, même relativement important, sans alourdir le jeu. Ceux qui se sont essayé à la création savent sans doute de quoi je parle : ce moment où tous les mécanismes s’imbriquent parfaitement, le thème retranscrit dans son intégralité et à la première partie, le verdict tombe : c’est trop long, trop lourd, pas amusant. On est tombé dans le simulationnisme.

Je ne dis pas que c’est ce qui se passe à chez fois, mais faire un jeu avec une thématique, c’est forcément délimiter celle-ci.

Je vais faire une analogie qui a forcément ses limites, mais quand on joue aux aventuriers du rail, je ne vois aucune mention de ces personnes qui ont construit les voies, ni des conditions dans lesquelles ces personnes étaient “employées”.

Après, comme ça a été dit, les personnes qui ne sont pas satisfaites du traitement de telle ou telle partie de l’Histoire, peuvent tout à fait développer un bon jeu pour rétablir la situation. Et pour être sûr que cette partie de la thématique ne soit pas pervertie par un éditeur changeant de thème, il restera l’option de l’auto-edition. Ou une autre idée pour ceux qui ne veulent pas créer de jeu, monter une société d’édition dont le caractère de différenciation serait un “meilleur traitement thématique” (désolé je ne trouve pas le mot tant ceci est subjectif et fonction des sensibilités de chacun).

Joli texte merci

J’aime beaucoup, je trouve ton message rafraîchissant et plein d’intelligence.
Merci Cripure.