Les couleurs de Kasane, ou de la mode estivale

Les couleurs de Kasane, ou de la mode estivale

Ce texte fait partie d’une suite d’articles dans lesquels je vais présenter les jeux Japon Brand qui seront présents lors du salon d’Essen 2014.

Jusqu’à maintenant, je vous ai présenté plusieurs jeux qui laissaient entrevoir un bout de culture japonaise dans leur thématisation. Et bien, au risque de vous décevoir, je vais poursuivre dans cette voie avec le très joli Les Couleurs de Kasane. C’est un jeu de Hinata Origuchi qui se joue de 3 à 4 joueurs, pour des parties de 30 minutes environ, dès l’âge de 10 ans (sachant que j’imagine très bien des enfants un peu plus jeunes pouvoir y jouer sans souci). Les illustrations, sobres mais joliment réalisées sont signées Hunaoka.

Fausses impressions

Je ne vais pas vous mentir ou tourner 24 heures autour du pot… il s’agit d’un de mes coups de cœur de la sélection Japon Brand pour Essen 2014. Le plus drôle, c’est que lors de nos premières rencontres visuelles, le jeu m’intriguait peu et je me disais avec légèreté qu’il n’était peut-être pas nécessaire de le présenter. Il faut, comprenez bien, que je fasse des choix. La première impression m’a été donnée par la boîte du jeu. Rose, carrée, recouverte de papier japonais - ou un papier qui s’en rapproche, avec une jeune fille en kimono vert à fleurs. Mouais, rien de bien extraordinaire pour moi qui ai vécu des étés garnis de matsuri pendant plusieurs années. Et puis, les joues rosies de la jeune héroïne, et son chignon un peu trop élaboré, ne m’inspiraient pas non plus. Il faut dire que je préfère les cheveux au vent… Mon côté sauvageon. Ou pas.

Et puis, Sathimon, en charge de la traduction française des règles, m’a contacté pour quelques vérifications. Du coup, j’ai lu les règles attentivement. Ayant le jeu sous la main, j’ai aussi jeté un œil au matériel de manière plus précise… et mes impressions de départ ont complètement été modifiées. J’ai découvert à la lecture des règles que le jeu, sous ses airs de ne pas y toucher, recelait un intérêt vraiment plus important que celui qui m’avait effleuré jusqu’alors. Ce jeu, nouvelle impression venue comme une révélation, était beau et, sous son écrin très japonisant, mécaniquement, sinon révolutionnaire, en tout cas, intéressant.

Le thème est on ne peut plus japonisant. Les couleurs, les motifs, les composants (compteurs de score, notamment), et toute la thématisation en font un joyau de la culture japonaise concentrée dans un seul et même jeu. Le pitch du jeu est le suivant : chaque année un matsuri est organisé chez l’Empereur et chacune des convives va faire de son mieux pour se parer du plus merveilleux kimono. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quel kimono, mais d’un Junihitoe, un kimono dont les tissus représentent une douzaine de motifs différents aux couleurs plus chatoyantes les unes que les autres. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, la page japonaise de Wikipedia offre un article assez complet, et chance ô combien étonnante, une page en anglais existe aussi ! Clique donc un coup !

Comment ça se joue ?

Alors, bon, toutes ces histoires abracadabrantesques, c’est bien beau, mais, dites-moi, chez Izo, comment le jeu se joue-t-il ? Parce que se pogner les méninges à coups de lyrisme extraverti, d’accord, mais soyons un peu plus prosaïque désormais ! Sir, yes Sir!

Le jeu est composé principalement de cartes : 5 sets différents de cartes kimono, chaque couleur correspondant à une valeur comprise entre 1 et 9, des cartes +1 PV, des cartes objectifs, au nombre de 9, des cartes personnages, 4 jeunes filles en fleur, et, une fois n’est pas coutume, il y a même des cartes pour établir la piste de score ! Allez, quelques photos, pour le plaisir des yeux.

Les 4 cartes personnages

La piste de score est composée de 4 cartes

Les cartes qui vous permettront de composer votre Junihitoe

Le but du jeu va être de remplir des objectifs en employant avec talent et le bon timing les cartes kimono que vous aurez ramassées tour après tour dans la zone commune. Pour expliquer rapidement les règles, je vais prendre un exemple à 3 joueurs. Ceux parmi vous qui voudraient en savoir plus, les règles ont été traduites par Sathimon en français et sont d’ores et déjà disponibles.

Au milieu de la table, on installe 15 cartes kimono ou +1 VP, en les organisant en 3 colonnes sur 5 rangées.

Mise en place au début de la manche

A son tour, un joueur peut effectuer 2 actions. La première est obligatoire : les joueurs vont prendre une carte parmi les 3 qui sont placées en bas des colonnes. L’astuce du jeu, c’est que vous ne pouvez pas réorganiser votre main de cartes ! Chaque carte que vous prendrez sera ajoutée à l’extrémité droite de votre main. La deuxième action, celle-ci est optionnelle, c’est de créer une combinaison en jouant devant soi les cartes nécessaires pour remplir un objectif. Les cartes que vous jouerez pour réaliser une combinaison devront nécessairement être posée en commençant par la carte la plus à droite de votre main, puis la suivante et ainsi de suite sans jamais réorganiser l’ordre des cartes.

C’est là que le jeu prend tout son sel… en effet, vous serez parfois bloqué et la prise de risque est importante. Parvenir à repérer les différents objectifs que vous pourrez remplir à un moment donné est le cœur du jeu. L’interaction se situe dans l’observation des autres joueurs. Il faut absolument les surveiller en permanence de manière à les bloquer ou à les conduire à remplir un objectif qui rapportera moins de points.

Cette mécanique d’empêcher la réorganisation des cartes est d’une simplicité terrifiante. Je me demandais de quelle façon le jeu allait être influencé par ce choix mécanique et je dois dire que c’est juste… parfait ! On peut jouer de façon très agressive et espérer bénéficier d’un petit coup de pouce de la chance pour remplir ses propres objectifs, ou jouer façon famille en paix et laisser chacun créer ses combinaisons dans son coin, à l’abri des coups bas… pour pouvoir profiter pleinement de l’esthétique du jeu, dirais-je.

Les cartes objectifs sont toutes différentes mais permettent aux joueurs d’avoir plusieurs opportunités avec des cartes identiques. Du coup, il est rare qu’un joueur soit complètement bloqué.

Les cartes objectifs sur leur côté “anglais”

Selon la couleur des cartes objectifs, la façon de les compléter est différente (évidemment, me souffle-t-on à l’oreille… Oui, et bien, je revendique le droit à la lapalissade ! Et puis d’abord, j’aime pas la guerre et je suis contre la faim dans le monde). Les cartes oranges 下弦の月 (Kagen no Tsuki) et 上弦の月 (Jyougen no Tsuki) demandent joueurs de poser des cartes dont les valeurs vont de 1 à 5 ou de 5 à 9, selon un ordre croissant ou décroissant. Les nombres indiqués en haut des cartes représentent le nombre cartes ainsi jouées (ici, 3, 4 ou 5) et les nombres en bas, le nombre de points de victoire que cet objectif apporte (ici, 3, 5 ou 8).

Les cartes rouges (千鳥、Chidori, 朝ノ葉, Asanoha et 桜散らし, Sakura Chirashi) demandent des combinaisons de cartes avec des valeurs définies : 3, 8 et 9, ou, 4, 5 et 7, et enfin, 1, 2 et 6, à chaque fois dans n’importe quel ordre. Les cartes bleues (襲ね, Kasane, 拾, Juu) nécessitent de poser des cartes de même valeur ou une combinaison de cartes dont la somme des valeurs atteint exactement 10. Selon le nombre d’exemplaires que vous parviendrez à jouer devant vous, le nombre de points de victoire sera plus ou moins important. Les deux dernières cartes objectifs, vertes (雪月風花, Setsu Getsu Fuuka et 花鳥風月, Katyou Fuuketsu) nécessitent des joueurs qu’ils posent des cartes aux valeurs uniquement paires ou impaires. Là encore le nombre de cartes posées modifiera le nombre de points de victoire gagnés.

Il y a d’autres petites subtilités de jeu, mais je vous laisse aller jeter un œil à la règle. Dernière précision, qui revêt une grande importance… Chaque objectif ne peut être rempli qu’une fois. Si un joueur parvient à poser 4 cartes de valeur identique (par exemple, 4 cartes de valeur 2), il gagne 6 points de victoire et pose un petit palet de verre sur la case objectif qu’il a rempli. Les autres joueurs ne pourront plus remplir cet objectif jusqu’à la fin de la partie.

Début de la deuxième manche, il reste encore de nombreux objectifs

disponibles pour les 3 joueurs

Bientôt la fin de la deuxième manche… Ça devient de plus en plus difficile

de remplir des objectifs, le choix des cartes à prendre dans la zone commune

se réduisant à peau de chagrin

Coup de cœur

Je vous ai présenté plusieurs jeux ces dernières semaines et j’avoue que d’une manière générale, je suis rapidement enthousiaste quand je présente des jeux. Ninja Taisen m’a laissé une très bonne impression, tout comme les parties en famille de Nanahoshi ou de Jushimatsu… Mais je dois vous avouer que je viens de découvrir dans ce petit bijou merveilleusement thématisé et mécaniquement solide mon coup de cœur pour la sélection Japon Brand à Essen 2014. Alors, je vois déjà le commentaire “ce n’est pas Japon Brand, c’est Minimachin”. Oui, bon, soyons clair sur ce point. Les deux sont représentés par la même personne, et j’ai décidé qu’il n’était absolument pas essentiel de marquer une différence.

L’auteure m’a épaté par cette capacité à tout aménager autour d’un thème qui lui tient à cœur. Parce que oui, cette auteure aime les kimonos et n’hésite pas à aller au bout de son développement thématique, aussi risqué puisse-t-il paraître aux yeux des éditeurs occidentaux. Ne nous voilons pas la face, un thème tel que celui-ci va sans doute faire frétiller les amateurs de culture japonaise doublés de joueurs effrénés et passionnés, mais ça représente une double minorité ! Le thème est ce qui fait de ce jeu un vrai bijou et peut-être sa faiblesse quant à une possible édition européenne ou américaine. Alors, je peux me tromper, évidemment. Et d’ailleurs, je passe le plus clair de mon temps à me tromper… ça apprend l’humilité.

Je vous laisserai juste sur quelques autres photos, prises au détour d’une de nos parties.

Le matériel

Takako est dépassée par les événements… (rire sardonique à ajouter en fond sonore)

Si vous parvenez à poser devant vous un grand nombre de motifs différents, vous remporterez quelques points bonus en fin de partie

Izobretenik

5 « J'aime »

Je tiens à apporter une précision sur les règles. Izobretenik se la joue modeste. S'il n'avait pas été là je serai resté bloqué sur la maudite page 4 du livret de règles anglaises !!

Ton article me rendrait le jeu presque sympathique (mais trop de temps perdu dessus) et tentant mais pour l'instant il faut que je le digère et que j'y revienne plus tard !! ;-)

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On y retrouve le principe de Bohnanza donc mais c'est vrai que c'est tentant !

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@sathimon : pas de souci :) Et essaie ce jeu, parce que ça vaut vraiment le coup.

@Mops : aussi incroyable que cela puisse paraître, je n'ai jamais joué à Bohnanza ! Je lis sur la page TT du jeu qu'il y a des enchères et de la négociation ?! Qu'est-ce que je rate ? :)

Le fait de ne pouvoir modifier l'ordre des cartes de sa main se retrouve aussi dans Bonhanza. C'est ce qui pousse à la négociation, car parfois, on n'a vraiment pas envie de jouer une carte, alors on essaie de la refourguer à ses adversaires.

Ton article me donne envie de tester "les couleurs de Kasane".

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Pour l'instant, c'est le seul jeu qui m'avait attiré. Je suis donc assez content que ce soit ton coup de cœur et ça me conforte sur mon choix.

@saule Merci pour cet éclairage ! Bohnanza est un jeu dont j'entends souvent parler et... je suis passé à côté. Ca vaudrait peut-être le coup de j'y jette un oeil.

@Kenran Salut ! Je pense que tu ne le regretteras pas :=) Nous aimons vraiment beaucoup ce jeu. Les mêmes auteurs ont aussi édité Kaleido, un jeu abstrait, dont je reparlerai très bientôt.

Ce jeu a beaucoup attiré mon attention (tout comme The Majority, auquel j'ai, peut-être trop, contribué sur Kickstarter), j'espère le voir arriver un jour en France ! J'ai hâte de l'essayer !

Bonjour,

Sait-on déjà qui va le sortir en Français ? En tout cas, j'espère qu'il le sortiront tel quel avec les graphismes et le même thème !

Merci pour cette news bien sympa, on a beaucoup entendu parler de ce jeu pendant les live d'Essen !