Le 7ème continent : carnet du cartographe, partie 1

Introduction : cartographier le 7ème continent, c’est quoi et on peut le faire comment ?

Ça y'est, le Kickstarter de la réédition du 7ème continent est lancée. Le jeu soulève beaucoup de questions sur ses richesses et qualités intrinsèques. C'est donc l'occasion rêvée de voir un petit peu se qui se passe et comment marche la mécanique du jeu.

Qui dit analyse du jeu veut dire ponctuellement du spoiler

Du coup, pour ceux qui ne veulent rien savoir du 7ème continent avant d'avoir reçu le jeu, passez votre chemin. Ceci dit, parler de mécanique n'est pas forcément une manière de tout dire sur le jeu, bien loin de là.
Pour comprendre la suite, il est préférable d'avoir une bonne idée des règles (en vidéo ou via le pdf)
L'article s'appuiera sur des élément du P&P et quelques cartes ponctuellement -- de préférence celles que tous les joueurs verront rapidement (exploration de zone I, 010 verte et jaune, cartes actions, etc). Dans cet article, il n'y a que les dos de cartes 001, la carte d'un explorateur et la première carte terrain posée lorsque vous commencerez le jeu (malédiction « déesse vorace »).

La boîte de base contient pour le moment 1355 cartes avec tout (toutes les extensions du premier KS) et 1355 cartes, ça fait ... beaucoup de cartes. Bien que le jeu soit très riche en terme d'immersion, les mécaniques restent au final relativement simples.

L'exploration est bien souvent synonyme de ... cartographie (ici aussi). Du coup, une des questions récurrente est de savoir à quoi ressemble le 7ème continent. Si plusieurs personnes ont déjà fantasmé sur un continent en forme de crâne comme sur la boîte, il n'en est rien (pour l'instant). En effet, Burkhart Renk sur BGG a déjà fait une cartographie complète. Elle se base sur les liens entre cartes de type "terrain" :

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Cartographie simple de la carte "010" représentée à gauche : chaque carte est placée par rapport à l'autre sur une grille.

Seulement, tout n'est pas si simple. Car un des mécanismes importants du 7ème continent, c'est d'avoir plusieurs cartes différentes avec le même numéro pour représenter :

  • Une part de hasard : faire en sorte que le 7ème continent soit peuplé d'imprévus. C'est du coup une manière d'augmenter la rejouabilité.
  • Une manière de montrer une évolution du continent : en effet, les cartes de même numéro peuvent être remplacées, modifiées, se succéder et c'est ce qui fait que vos actions peuvent avoir une influence sur le long terme. En général, cela se traduit par le fait de remplacer une carte verte par une carte jaune.

Il existe ainsi une version différente de la carte 010 (la 010 sur fond jaune) qui donne une "autre" cartographie :

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Carte "010" à dos jaune qui n'a pas les même liens que la précédente.

Un deuxième mécanisme intéressant est celui des numéros cachés et des énigmes : il est possible de remplacer une carte par une autre si un élément du jeu nous permet de penser que c'est possible. Il peut alors y avoir des cartes avec des numéros différents au même endroit. Cette subtilité simple permet alors une grande richesse mécanistique puisqu'il y a une distinction entre carte unique et numéro sur la carte.

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Deux cartes avec le même numéro (cartouche en vert) mais qui correspondent à deux cartes physiquement différentes qui peuvent avoir un contenu totalement différent. Elles sont au même endroit mais n'ont pas les mêmes cartes voisines. (voir ci-dessus)

Ça paraît tout simple, mais ça complexifie la représentation car deux cartes qui se placent physiquement au même endroit peuvent avoir des interactions différentes avec les autres cartes. La cartographie du 7ème continent n'est pas fixe. Au-delà de la dimension purement physique s'ajoute une dimension temporelle : l'état du jeu et de la carte dépend du passé et des événements déjà réalisés ou vus. On se retrouve alors face à un paradoxe : il n'existe non pas une mais des cartes du 7ème continent. Prendre une photo ou un objet statique n'est pas capable de révéler la nature de l'aventure ou du 7ème continent. La carte de Burkhart Renk contourne déjà élégamment cette difficulté. Pourtant, il manque encore des informations sur la richesse des interactions.

La cartographie brute ne donne pas toutes les informations : le coût pour se déplacer d'une carte à l'autre n'est pas toujours le même (il va de 0 carte 0 succès à 5 cartes 0 succès ou 4 cartes 3 succès). Du coup, un déplacement d'une carte à une autre n'est pas toujours équivalent lorsque l'on se déplace orthogonalement. Ce mécanisme "distord" le continent car des cartes physiquement les unes à côté des autres ne sont pas accessibles au même coût (en terme d'action ou de cartes à piocher et donc d'énergie dépensée pour les dévoiler).

Ainsi, si le travail de Burkhart Renk sur BGG est déjà un travail énorme, il manque beaucoup d'information pour montrer à quoi ressemble le 7ème continent en terme de richesse d'interaction. C'est surtout l'aspect mouvant et évolutif de la carte qui fait défaut.

Cartographier, les aspects techniques

Du coup, pour techniquement représenter le 7ème continent, il faut être capable de montrer les relations entre cartes et pour cela, il existe un outil assez pratique : les graphes. Le principe d'un graphe, c'est assez simple : c'est des ronds, appelés nœuds qui sont reliés par ... des liens.

Un exemple de graphe

Un exemple de graphe : chaque nœud est lié à un autre via une relation.

Il est alors possible de s'intéresser aux liens entre des objets. Dans le cadre du 7ème continent, le plus simple est de dire que la carte terrain XX est reliée à la carte terrain YY de proche en proche. Cela permet de donner une vision locale du jeu. C'est ce qu'a fait Burkhart Renk en organisant tous ces liens. Mais même rester à ce stade représente des difficultés majeures si on veut utiliser un stockage « classique » appelé de type SQL (en termes plus parlants : stocker des données sous forme de tableaux comme excel). Dans ce système, il y aurait deux types d'objets : les cartes et les liens entre carte. Cela se ferait classiquement sous la forme suivante :

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Et là, premier souci : est-ce qu'on met les identifiants de cartes ou est-ce qu'on met les numéros ? Il faut ici différencier les deux. Pourquoi ? car deux cartes différentes avec le même numéro n'ont pas forcément des liens vers les mêmes cartes : les deux cartes 010 ne sont pas toutes les deux reliées aux cartes 004. Et à l'inverse, c'est bien vers un numéro que pointent les actions et pas vers une carte précise.

Ce type de représentation (de type SQL) purement local n'est pas très pratique : pour faire une suite de lien de terrain, il faut faire des opérations complexes (jointures de tables pour les initiés). Ces opération sont difficiles car il faut évoluer de proche en proche et faire beaucoup d'opérations pour passer d'une représentation à l'autre.

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Il faut donc passer à un système qui soit réellement adapté à des graphes. Pour ça, j'ai choisi neo4j. Dans ce langage, il est toujours possible de définir des cartes qui seront les nœuds et des liens qui seront les relations entre les cartes. Une manière de représenter ces liens est alors de définir deux nœuds "cartes" et de les relier entre eux via la relation "carte adjacente". Cela se représente en pseudo langage sous la forme :

(:Carte {id:"A0325", "numero" : "010"}) -- [carte adjacente à]-- (:Carte {id:"A0324", "numero" : "009"})

Pour décrire un chemin il est alors possible de simplement demander une suite de liens et nœuds qui relie la carte X à Y sans se poser de question complexe comme "Combien y'a-t-il de cartes entre les deux ?". Le passage sous forme de graphe rend très simple le passage de la "vision locale" (les liens entre chaque carte) à la vision globale (le chemin d'une carte à une autre) En pseudo langage, cela se traduirait par :

DONNE MOI LE CHEMIN DE (:Carte{"numero":XX})--[:RELIÉE À]--(:Carte{"numero":YY})

Ce qui est franchement simple et ressemble beaucoup à la forme réelle sous laquelle on demande cette information à neo4j.

Un des autre intérêts de la représentation sous forme de graphe est la flexibilité que l'on peut donner à chaque type de lien et leur nombre.

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Le 7ème continent : modélisation et cartographie, partie 1

Deux cartes du jeu modélisées sous forme de graphes. Elles n'ont pourtant rien à voir l'une et l'autre, mais sont à chaque fois représentées sous forme de noeuds (ronds) et de liens (les traits avec des mots qui les relient). La représentation sous forme de graph reste ainsi adaptée dans tous les cas.

Il est alors possible de traduire plein d'informations sous forme de liens et d'ainsi concentrer l'information. En effet, il y a beaucoup de types de cartes différents :

  • des cartes actions
  • des cartes aventure
  • des objets de quête
  • des objets à construire
  • des cartes avec une action, plusieurs actions
  • des cartes à effets

Prédéfinir à l'avance toutes les caractéristiques possibles d'une carte est très difficile alors qu'il n'y a qu'un nombre limité de type de caractéristiques différentes. Le modèle de type « graphe » permet de rajouter très simplement une propriété : on ajoute un nouveau lien entre une carte et une propriété associée jusqu'à avoir tout décrit.

Conclusion

Bref, Neo4j permet de considérablement augmenter l'efficacité de la description entre les cartes. Mais avoir un langage puissant ne suffit pas, il faut aussi construire un modèle de types de nœuds et des liens entre eux.

Rendez-vous au prochain numéro pour justement aller plus loin dans l'analyse des mécaniques du jeux et la manière de les transcrire. On verra donc comment passer d'une carte à l'autre, et que ... c'est bien moins simple qu'il n'y paraît.

Liens

Le 7ème continent : le carnet du cartographe, partie 1 Introduction, intérêt, modélisation

Le 7ème continent : le carnet du cartographe, partie 2 Actions et liens entre cartes

Neo4j Langage pour stocker des graphes

La page Kickstarter de la deuxième campagne

Cartes de livres dont vous êtes le héros.

29 « J'aime »

Je n’ai pas compris grand chose à cet article …on dirait du bac + 5 !!! rires

Effectivement, des fois, il y a des choses un peu complexes à comprendre et qui nécessitent un effort de lecture.

Décortiquer une mécanique, c’est faire un effort d’abstraction et de modélisation. Mettre un “je n’aime pas” juste parce que ce qui est exposé n’est pas simple, c’est un peu dommage. Clairement, cet article ne cherche pas à être “grand public” ni fun et simple. Il vise plus à expliquer une démarche intellectuelle et une manière de modéliser des interactions complexes au sein du jeu qu’est le 7ème continent.

5 « J'aime »

Excellent article, le coup de “non pas une carte mais DES cartes du 7th Continent”, c’est exactement ça. Vivement la suite.

1 « J'aime »

Il y a surtout une difficulté supplémentaire de compréhension si on a jamais eu le jeu entre les mains pour appréhender les concepts de base du jeu. Mais même dans ce cas, Eolindel a plutôt bien déroulé son raisonnement ce qui permet, même sans comprendre totalement le détail, de saisir la richesse de la démarche et la complexité cachée des mécanismes du jeu.
Vivement l’article n°2 !

2 « J'aime »

En ajoutant la doublure des cartes “dans les airs” de la prochaine extension, ça va rehausser encore un peu le niveau de la cartographie… Bon courage!

Je comprends mais dans mes études on m,a toujours dis qu’il fallait se “mettre à niveau” c’est à dire rester simple et ne pas employer des mots trop complexes et des phrases à rallonge …bref l’idée est bonne …la réalisation un peu moins …

1 « J'aime »

Le format est volontairement pas trop long pour pouvoir justement garder l’attention suffisante des lecteurs. J’espère que progressivement, tout s’éclairera pour les lecteurs. Mais j’ai déjà fait beaucoup d’éditions de mon article original pour enlever certaines parties, en rajouter d’autres et j’y ai déjà passé entre 4 et 5 heures. La contextualisation et les idées de bases peuvent encore être améliorés.

Trouver le juste en milieu entre superficiel et trop technique est ici un exercice assez périlleux. D’autant plus que la contrainte de minimiser les spoilers ne simplifie pas les choses. J’espère que le deuxième article sera plus clair.

EDIT : je viens d’ailleurs de rajouter des dessins pour mieux illustrer mon propos afin de rendre plus tangible certains problèmes.

Moi je n’y connais rien en Graphs, mais j’ai trouvé ça très clair et interessant. Par contre c’est un vrai boulot de malade qu’Eolindel est en train de faire.

Bah en même temps si il n’aime pas ça il va pas dire qu’il aime :slight_smile: Ce n’est pas “c’est bien” ou “c’est pas bien” c’est “j’aime” ou “j’aime pas” :).

Comme tu le dis, ton post n’est pas voué à être grand public donc il n’est pas voué à recevoir des j’aimes donc tu devrais t’en foutres :).

D’autant plus que rien n’indique qu’il s’agit de cette personne qui a cliqué sur je n’aime pas :).

Dire que quelque chose est pourri car compliqué oui c’est dommage, en revanche chacun à tout à fait le droit d’aimer ou ne de pas aimer, et ce pour les raisons qu’il souhaite :).

En tout cas, merci pour cette vision intéressante du continent. J’ai prévu de mon côté bien plus tard d’accoler toutes les cartes pour avoir une représentation graphique de l’ensemble

Il a bien évidemment le droit de ne pas aimer. C’est le ton initial qui m’a refroidi. Le deuxième commentaire est bien plus constructif (tout en étant critique) et appuie ce choix de manière rationnelle. Mais il est toujours “difficile” d’avoir une réaction négative abrupte et courte alors qu’on a passé plusieurs heures à rédiger un article. Ceci dit, je suis tout de même capable d’aller au-delà et encore une fois entre le moment où Roger11 a fait son commentaire et maintenant, l’article a été pas mal remanié afin de le rendre effectivement plus “accessible” et mieux construit.

Mais je comprend que cet article ne plaise pas à tout le monde et ne soit pas forcément le mieux rédigé au monde. D’autant plus que le décortiquage un peu “froid et mécanique” du jeu n’intéresse pas forcément tous les joueurs.

la liste des messages n’était pas raffraichi quand j’ai posté le mien. Il n’y avait que ta réponse :slight_smile:

J’adore !
Un cas concret pour servir d’exemple à une modélisation.
Je ne sais pas quel nom elle porte, mais du coup c’est excellent car je vais parler jeu aux archis et aux gars de la BI au boulot !

1 « J'aime »

Pour un non initié, que veut dire l’acronyme BI ?

Une branche de l’informatique “business intelligence”, l’exploitation des données pour analyser une situation et prendre une décision, dans le cas du 7C s’orienter

2 « J'aime »

Bonsoir à tous ! Je suis navré que mon commentaire ait créé autant de polémiques et de remous …ce que je voulais dire c’est que quand j’ai lu cet article je l,ai fait avec attention et en prenant le temps …mais j’ai du relire les phrases plusieurs fois durant l’article et j’ai donc décroché c’est vrai …apres je suis ouvert et prêt à le relire et à réviser mon point de vue…j’ai le jeu …il a l,air fabuleux …je gage que ces articles seront tout aussi fabuleux avec encore un petit peu de travail …

1 « J'aime »

Honnêtement, c’est la vie et il n’y a pas de problème, bien au contraire, ce jugement m’a amené à réviser/raffiner/revoir mon article de nombreuse fois pour aller dans le sens de la clarté et d’un texte plus lisible et compréhensible. J’ai ainsi ajouté des images,enlevé certaines portions de texte, etc. J’en suis maintenant bien plus satisfait que je ne l’était moi-même hier. Comme quoi une critique a du bon et pousse à aller vers le mieux.

J’espère juste que l’amélioration est maintenant bien réelle et concrète pour les lecteurs. Ça m’intéresse d’ailleurs de voir si la nouvelle version vous semble meilleure que celle d’hier soir ou non.

1 « J'aime »

Le but du « j’aime » / « je n’aime pas » reste de faire ressortir ou non au plus grand nombre un article / commentaire.
En cas d’erreur, un re-clic pour revenir en arrière.

@ kornetmuse : Quand tu colles un ‘‘je n’aime pas’’ ou un ‘‘j’aime’’, l’auteur du commentaire/article le reçoit dans sa liste de notifications (Paramètres profil).

Pour avoir eu un “je n’aime pas” sur un commentaire de félicitation sans intérêt hormis pour l’auteur de l’article … je me dis que les choix sont trop proches et qu’il y a eu un cliqué raté :slight_smile:

@ Eolindel : Perso j’ai failli mettre un j’aime à ton article, conscients du boulot et parce que c’est sur le 7C :slight_smile: mais d’un autre côté trop complexe. C’était dans sa première version et, je suis resté sur ma faim : je m’attendais à un final tourner sur la conception de jeu ou une autre ouverture (ok la je suis chieur ;-p). Du coup je me suis abstenu de choisir.

Comme Roger11, promis je relirai à tête reposée avec les nouvelles illustrations pour me faire une nouvelle opinion.

En effet, c’est beaucoup mieux !! Mais vous avez enlevé beaucoup de texte on dirait … Sinon il me semble que vous avez fait une petite erreur. Vous dites que dans cet article il n’y a que le dos des cartes 001 mais c’est des cartes 010 plutôt non ? Petit éclaircissement, les deux derniers schémas, ça veut dire qu’il y a plein d’interactions autour de là où l’on est et qu’en fonction de ce que l’on fera ça augmente encore le champ des possibles ?

1 « J'aime »

J’ai surtout enlevé des tableaux pour les remplacer par des schémas.

Les deux derniers schémas sont plutôt là pour montrer que quel que soit le type de carte, il est possible de représenter ça sous forme de graphe. C’est juste le type de nœuds, les liens entre eux et leur nombre qui change.