L'éveil de la momie

Partie 1 – Observations et pistes de réflexion

Maudite momie devait à l’origine intégrer la gamme Petits monstres (Chasse aux monstres, À la bouffe, Zombie Kidz) et donc s’adresser aux enfants. Quand j’ai commencé à y réfléchir, chaque titre de cette gamme proposait un type de monstre différent : monstres sous le lit, zombies, lutins, extra-terrestres… J’ai cherché un monstre connu pas trop exploité dans les dernières années : la momie. Pourquoi pas ? Et puis, il y avait ce mauvais jeu de mots profitant de la confusion sonore entre « mommy » et « mummy » en anglais qui m’amusait bien et qui m’a tout de suite mis sur une piste de jeu : les joueurs pourraient incarner des momies enfants devant trouver suffisamment de papier de toilette pour s’habiller (oui, les momies se vêtent de PQ) avant de se faire pincer par la mommy-mummy en colère. Je suis un jeune papa et la question des enfants qui refusent se s’habiller le matin me va droit au cœur, surtout quand il fait MOINS 20 degrés le matin à Montréal… !

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Version 1.0

J’ai mis Annick Lobet sur le projet, elle qui avait déjà fait 2 jeux pour nous. Elle m’a rapidement proposé un jeu assez malin de course dans le labyrinthe… C’était malheureusement un peu plus complexe que ce que je souhaitais pour cette gamme. Ça n’aurait pas dépareillé chez Purple Brain (salutations à mon ami Benoit Forget !), dans la gamme Contes et jeux.

Version 2.0

J’ai alors repris la chose en main – il m’arrive de me prendre pour un auteur, ne le dites à personne!

Je me suis éloigné du labyrinthe pour tenter un jeu de bluff qui reprendrait l’idée d’un guide malhonnête dans la pyramide, comme Tournevis dans Astérix et Cléopâtre. Chaque joueur incarnerait successivement le guide qui essaie de faire en sorte que les touristes qu’il promène n’entrent pas dans les salles avec beaucoup de trésors, ce qui lui laisserait le loisir de s’enrichir seul. Évidemment, si notre groupe de voyageurs s’aperçoit qu’on le trompe, il virera son guide rapidement. Oui, bon, j’avais déjà pas mal travesti l’histoire de notre ami gaulois.

Des cartes représentaient les salles de la pyramide. Le guide jetait un coup d’œil à la prochaine salle avant tout le monde (en regardant la carte du dessus de la pile) et devait indiquer si la salle contenait un piège ou pas. S’il arrivait à faire croire aux autres que la pièce était dangereuse sans qu’elle ne le soit, il pouvait garder tous les trésors pour lui ! Plus on restait guide longtemps, plus on pouvait accumuler un important butin.

L’ennui avec cette histoire était le nombre de branches dans l’arbre des possibilités.

Le guide a-t-il dit la vérité ?

Les touristes sont-ils entrés ?

La pièce était-elle sécuritaire ou dangereuse ?

Et si une partie des touristes désirait entrer alors que l’autre non, que fait-on ?

Déterminer les conséquences du choix des joueurs était bien trop complexe, surtout pour un jeu d’ambiance. Et même si l’idée d’avoir un guide s’adressant à un groupe était drôle et originale, ça ne fonctionnait pas. J’ai donc mis de côté l’asymétrie pour ne conserver que la quête individuelle de chacun. Je désirais garder la partie bluff du jeu et la mêler à une dimension de stop ou encore. À son tour, un joueur prendrait (et regarderait) des cartes, mais seulement une à la fois. Après chacune, il pourrait s’arrêter ou continuer. S’il décidait de continuer, son voisin de droite pourrait lui demander de s’arrêter pour vérifier s’il n’avait pas des malédictions parmi ses cartes accumulées (avec récompenses et malus pour celui qui aurait raison et celui qui a tort).

J’avais décidé de ne donner qu’à un seul joueur le droit de vérifier la main d’un autre, car dans la plupart des jeux de bluff, si tous peuvent vous vérifier, il y aura toujours un joueur un peu fou pour le faire dès qu’il y a 4 ou 5 personnes autour de la table. Il devient alors pratiquement impossible de bluffer, car on sait qu’on ne l’emportera pas au paradis. Si ce « jeu » amusait les testeurs, il ne proposait pas non plus une expérience transcendante… Mieux valait donc retourner à la table à dessin.

Partie 2 – Solutions

Version 3.0

C’est ici que s’est cristallisée la structure du jeu, pour ne plus jamais changer. C’est aussi à ce moment que le jeu a définitivement quitté la gamme Petits monstres (pour enfants) au profit de la gamme de jeux d’ambiance comme C’est pas faux et Le monde est fou. Avant de remettre les mains dans le cambouis, je me suis d’abord fixé des objectifs pour améliorer certains défauts inhérents aux jeux de bluff de même que ceux de stop ou encore et ceux spécifiques à ma création.

Objectif 1

Réduire le temps d’attente entre chaque fois où on joue.

Imaginons un jeu à 5 joueurs où chacun peut tirer des cartes à son tour tant qu’il le désire ou qu’il ne dépasse pas une certaine limite. Si chaque joueur tire 4 cartes, je dois donc attendre durant « 16 décisions » (4 joueurs x 4 décisions chacun) que la main me revienne. C’est long.

J’ai recomposé le tour de jeu pour revoir de fond en comble la structure du stop ou encore, et de la dénonciation. Pour ce faire, je me suis inspiré des jeux à l’allemande, vous savez, ceux où vous ne pouvez faire qu’une seule action parmi trois. Le jeu Cartecassonne (oui, la version cartes, qui n’a pas tout à fait connu le succès qu’elle méritait) m’est venue à l’esprit. Comme dans Coloretto, vous devez soit ajouter à un pot commun, soit partir avec. Ce mécanisme provoque toujours une belle tension, car il m’a toujours semblé que si je partais, je n’avais pas assez accumulé de points, et si j’attendais, on me raflait toujours le magot sous le nez !

Objectif 2

Augmenter la tension dans la prise de risque.

On retrouve souvent un mécanisme « d’avertissement » dans les jeux de stop ou encore. De Pickomino à Souris Gourmandes en passant par Diamant, il faut éviter d’avoir trop (ou plus) d’un élément négatif, présent en différentes quantités sur les cartes ou les tuiles que l’on retourne. Bien que classique, cette façon de faire m’a toujours paru sous-exploiter son plein potentiel, car le moment où il faut s’arrêter est plus attendu, convenu. La première itération est totalement sécuritaire – on ne peut dépasser la limite imposée, la seconde est légèrement risquée, la troisième risquée, la quatrième très risquée et la cinquième impossible. Bref, le schéma se répète.

J’ai longuement réfléchi et j’ai conclu que pour « régler » tout ça, il fallait qu’une seule carte puisse nous faire « dépasser la limite ». Ainsi, nous serions en danger dès la première itération, mais nos chances augmenteraient d’atteindre la 5e, car ces éléments négatifs ne s’accumuleraient pas automatiquement de fois en fois. C’est ici qu’apparurent les gardiens, en nombre réduit, qui nous feraient échouer si jamais on nous trouvait en possession d’une carte avec un seul d’entre eux !

Pour répondre à ces 2 premiers objectifs, j’ai structuré le jeu ainsi. À votre tour, vous ne feriez plus qu’une seule petite action, très rapide.

1. Explorer une salle (prendre une carte et la poser face cachée devant vous).

2. Mettre ses trésors en sécurité des gardiens en les révélant toutes et en marquant vos points.

3. Éveiller les gardiens, en retournant toutes les cartes d’un joueur. Si celles-ci cachaient des gardiens, le joueur visé perd toutes ses cartes et vous bénéficiez d’un bonus. Dans le cas contraire, il marque ses points et vous avez bêtement perdu votre tour !

On a un rythme ultra-rapide, avec du stop ou encore, car il est plus payant de valider 3 cartes à la fois qu’une seule. Par contre, si on prend trop de cartes, on risque de tomber sur un gardien. Chaque tour, on se dit qu’il vaudrait peut-être mieux sécuriser, mais qu’on pourrait bien se permettre une petite dernière salle, mais qu’on ne peut absolument PAS laisser passer ce joueur avec 5 cartes devant lui s’en sortir indemne !! Chaque tour, on voudrait faire les 3 actions…

Objectif 3

Donner de l’information aux joueurs

Dès que Maudite momie a pris sa structure définitive, celle d’un jeu de prise de risque, je l’ai associé à d’autres titres du même genre, comme Zombie Dice. Les dés y arborent une couleur indiquant le niveau de risque : vert (sécuritaire), jaune (risqué), rouge (dangereux). Je pouvais facilement transposer cet aspect au verso des cartes qui représentent les salles où pénètrent les joueurs.

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Plus une salle comporterait de dangers, plus elle offrirait de trésors. Logique pour une prise de risque! Si en plus on sépare les cartes en deux piles qui offrent (habituellement) deux couleurs différentes, le joueur actif peut raisonnablement gérer son risque. Les plus sécuritaires auraient 1 gardien pour 4 cartes, les modérées 1 gardien pour 3 cartes et les extrêmes 1 monstre pour 2 cartes. Simple, efficace, facile à retenir. L’ensemble des salles d’une couleur recelant 6 gardiens, il faudrait donc 24 cartes vertes + 18 jaunes + 12 rouges afin de respecter mes proportions, pour un total 54 cartes. C’était juste trop beau, une feuille de presse pour cartes au format carré style C’est pas faux en permet 56 !!! Il me restait 2 cartes pour des aide-mémoire…

Cette façon de faire comportait un autre avantage d’une grande importance : elle permettait de quantifier avec une relative précision les probabilité qu’un joueur ait au moins un gardien parmi ses cartes non sécurisées.

Objectif 4

Créer des montagnes russes émotives

Le jeu doit créer un spectacle. Je souhaitais que l’action Éveiller les gardien provoque des « oh ! », des « ah ! » et des éclats de rire !! Comme dans les meilleurs jeux de bluff, comme dans une finale de poker. Pour y arriver, il fallait augmenter l’enjeu. C’est-à-dire augmenter la perte du joueur qui se ferait prendre et le gain potentiel de celui qui l’aurait coincé.

Pour y arriver, nous avons…

1- Augmenté les récompenses associées aux gardiens

Alors que les premières versions des gardiens ne vous procuraient que de menus avantages, comme voler une carte ou sécuriser votre main, les dernières provoquent des effets… monstres ! Vous pouvez maintenant rejouer, prendre 2 cartes voire scorer la valeur entière de la main défaussée par le joueur adverse !! C’est très violent de voler 10 ou 12 points à un adversaire, quand la victoire est à 35 points!

2- Ajouté la possibilité de doubler la valeur de ses trésors !

Après de nombreuses propositions plus ou moins heureuses et complexes, il m’est venu à l’idée de créer 6 types de trésors, au lieu du symbole unique. Tout d’abord, c’était pas mal plus cool et joli (!), mais ça m’a surtout permis de varier grandement le nombre de points de chaque main en ajoutant cette règle toute simple : si vous avez un trésor sur deux cartes ou plus, doublez les points qu’il vous rapporte. De cette façon, 2 cartes vertes peuvent valoir de 2 à 6 points et 2 cartes rouges 4 à 12 points (alors que la limite était 6 auparavant) ! Imaginez les possibilités avec 3 ou 4 cartes maintenant.

Ce changement réglait un autre problème dont je n’avais pas parlé encore, celui du delta. Mon ami Philippe Beaudoin, aussi auteur du jeu Québec, m’a fait remarqué que la valeur d’une main moyenne ne suivait pas le risque pris. En bref, plus vous preniez de carte, plus vous marquiez de point, mais passé 2 cartes, le risque supplémentaire n’en valait pas la chandelle. En incitant les joueurs à tirer plus de cartes pour obtenir un trésor en double, on créait un incitatif suffisant à poursuivre la prise de risque.

De combien de types de trésors avions-nous besoin ? Du nombre nécessaire pour amener les joueurs à tirer une carte de plus qu’en moyenne. Si normalement, ils s’arrêtaient à 2 ou 3, il fallait les amener vers 3 ou 4. C’est avec 6 types de trésors que j’obtenais ce résultat. Et comme Maudite momie tourne autour du nombre 3, ça tombait bien !

3 types de gardiens

3 couleurs de portes

6 gardiens dans chaque couleur

6 types de trésor

6 joueurs maximum

9 amulettes au total, mais qui sont devenus 7, parce que c’était mieux!



Je tiens à remercier les nombreux testeurs de la beta qui a été diffusée l’an dernier sur le Fessebouc du Scorpion Masqué. Vos retours nous ont mis sur les bonnes pistes pour les derniers réglages. J’ai une pensée toute particulière pour Philippe Beaudoin, qui par amour pour le jeu, a programmé le jeu et développé des intelligences artificielles aux stratégies variées pour pousser le jeu jusque dans ses derniers retranchements. Il a ainsi simulé plus de 50 000 parties pour s’assurer qu’aucune des 3 couleurs n’était pas trop forte ou trop faible par rapport aux 2 autres, et que l’action Éveiller les gardiens valait la peine d’être tentée parfois, mais pas systématiquement.

Ouf !

Comme vous pouvez le constater, même si Maudite momie est un petit jeu chaotique et rigolo, son développement a été pris très au sérieux !!

Pour voir qu’est-ce que ça donne avec des gens qui y jouent en vrai, voir la TT TV…



[À la bouffe][Cartecassonne][C’est pas faux !][Coloretto : 10 Jahre Jubiläumsausgabe][La Chasse aux Monstres][Le monde est fou][Maudite Momie][Québec 1608 - 2008][Zombie Dice]

5 « J'aime »

Très bon jeu !

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Merci pour cette présentation, très agréable et vivante. La TTTV m’avait donné envie de l’essayer, maintenant je me demande si je ne vais pas l’acheter d’emblée!
Au fait, serez-vous présent au PEL?

Le jeu sera présenté à LudiNord et Toulouse. Pas par nous, mais quand même…
Pour le PEL, faut voir!

Essai transformé ! (Et c’est transformé) #MomieIsTheNewZombie :slight_smile:

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Un très bon jeu avec lequel nous avons beaucoup de plaisir à jouer. Merci pour cette article. C’était aussi un plaisir de te rencontrer à Cannes.

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Super article, cela donne envie de se lancer dans la création d’un jeu :smiley:

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