4 jours!
Il a fallu 4 jours pour réaliser cet entretien.
Cyril a été beaucoup plus rapide que Roberto Fraga pour répondre et de fait l’entretien prend une autre tournure, ni mieux, ni moins bien, juste différent.
A l’instar d’une conversation autour d’un café, Cyril s’exprime de manière simple, amicale, spontanée, sur sa reconversion, le crowfunding, les Space cowboys, les escapes room, sa vie privée, le rock sa passion, son groupe avec son frère Arnaud et Mr Phal, ainsi que sur le futur…
1) Cyril bonjour, aurais tu la gentillesse de te présenter ?
Bonjour.
Vaste question pour commencer ;)
Donc je m'appelle Cyril Demaegd, j'ai 45 ans et je fais beaucoup trop de choses à la fois ;)
J'ai à la base une formation d'ingénieur en informatique et j'ai commencé dans le jeu en tant que joueur passionné
(les jeux de rôle étant ado, puis les gros jeux à l'américaine avant de découvrir les jeux à l'allemande et de faire mes premières classes à Essen).
Puis j'ai gentiment décidé de sauter le pas. J'ai monté une petite boite d'édition plutôt qu'une boite d'informatique (ce que je ne regrette pas vraiment).
Concrètement cela fait maintenant 12 ans que je m'occupe d'Ystari et quelques années avec mes amis des Space Cowboys.
Avec Ystari, je fais un peu de tout en compagnie de mon ami Thomas (Grunt pour les intimes). Avec les Space Cowboys mon activité principale consiste à "régler" des jeux.
Je suis également un auteur à tendance "fainéante", puisque j'ai jusqu'ici 5 jeux à mon actif (Ys, Amyitis, Bombay, Timeline Challenge avec mon pote Fred Henry et le prochain, Unlock, sortira en janvier).
Quand j'ai un peu de temps libre, je donne des cours de game design à l'ISART (une école de jeux vidéo à Paris) et s'il me reste un peu de temps je m'adonne à mon autre passion : la musique (tendance Hard Rock 70s). Je bricole des flippers aussi ;)
Décidément, la vie est bien trop courte !!!
2) Les ingénieurs informaticiens gagnent très aisément leur vie, une raison qui peut attirer lorsqu’on est jeune.
Le métier ne t’a pas plu où bien c’est vraiment le jeu qui a pris le pas ?
Comment tes proches ont-t-ils accepté ce changement de carrière ?
Oui c'est vrai que cela rapporte. En même temps je n'avais pas choisi le métier pour l'argent. Je me suis plutôt passionné pour l'informatique dans ma jeunesse à cause de films comme "Wargames" par exemple.
J'ai vraiment vécu "l'épopée" des micros-ordinateurs et donc je me suis orienté naturellement vers ce métier.
En fait, c'était ça ou la musique (j'ai même passé le concours de l'école Louis Lumière), mais en fait c'est très dur de vivre de la musique dans ce pays (en tant qu'artiste) et pas si amusant en tant que technicien.
Donc voilà, je me suis orienté dans l'informatique et il est vrai que je n'ai eu aucun mal à trouver un boulot en sortie et qu'à cette époque, on changeait souvent de boite en faisant progresser son salaire.
Après, l'informatique, c'est vraiment passionnant par certains côtés (j'aimais vraiment coder, même si ça rend un peu fou), mais beaucoup moins par d'autres. D'abord tu ne restes pas vraiment codeur. Tu es censé évoluer vers des choses plus lucratives qui sont synonymes de réunions sans fin (pas vraiment ma tasse de thé). Donc par la suite, ce n'est pas vraiment aussi passionnant que dans Wargames ;)
Cela dit j'ai fait les choses progressivement. D'abord Ystari a été une boite d'informatique, puis on a publié un jeu (Ys) et un second (Caylus). Le second a rencontré un énorme succès qui a permis de se désengager un peu de l'informatique pour consacrer plus de temps aux jeux.
Puis il y a eu Mykerinos et Yspahan et à ce point on était vraiment lancés. Le changement a donc été très progressif et le risque très calculé. Je n'ai pas vraiment fait "le grand saut dans l'inconnu" qui aurait pu inquiéter mes proches. Et puis d'une certaine façon ils savaient que le jeu c'était ce qui m'intéressait vraiment. Donc dès le moment où ils ont vu qu'en plus ça marchait, ils ne sont plus inquiétés.
j'ai tendance à penser que mes compétences sont désormais moins utiles.
3) Tu es maintenant dans le monde du jeu depuis de nombreuses années, avec encore de nombreuses années de travail devant toi, tu envisages le futur, le fait de terminer ou non ta carrière en tant qu’éditeur, ou bien tes 65 ans te semblent loin, et ce n’est pas quelque chose auquel tu songes ?
Franchement, il m'arrive de me poser des questions. Non pas parce que je n'aime plus ça mais juste parce que la vie est courte et qu'il y a d'autres choses que j'aurais aimé faire.
Parfois aussi, comme tout le monde j'imagine, il m'arrive d'en avoir marre non pas du jeu, mais de tout ce qu'il y a autour. Ce n'est pas une affaire de personnes ou quoi que ce soit dans ce genre.
C'est plutôt qu'on évolue vers plus de com et qu'au final, la qualité du jeu est parfois moins importante que les gadgets que tu peux mettre dedans ou que le buzz que tu peux créer.
Disons que ça me chagrine parfois et que dans ces moments là j'ai tendance à penser que mes compétences sont désormais moins utiles.
Bon, ce n'est pas tous les jours non plus et il y a aussi pas mal de moments où je me dis que je fais le plus chouette métier du monde. Là par exemple, je reviens juste de Venise où j'étais invité en tant que jury pour le prix de Léo Colovini. Donc j'ai passé la semaine à tester des très bons protos avec des gens charmants drôles et compétents, le tout dans une ville magnifique. Il y a peu de métiers qui t'offrent ça...
Mais pour répondre à ta question, bien que non-croyant je reste attentif aux signes du destin. Il me poussera peut être un jour dans une autre direction, on ne sait jamais. En attendant, j'aime toujours autant faire des jeux et c'est le plus important.
Prototype Bombay
4) Quel est ton regard personnel sur cette nouvelle forme d’édition ?
5) Tu fais partie des Space Cow boys dont l’un des membres est Marc Nunes, le fondateur d’Asmodée. Un homme qui par son talent et son travail à transformer une petite maison d’éditions en une structure internationale. Vous avez donc chez les Space cow boys tous les moyens et talents pour justement réaliser une très bonne communication, mais vos jeux, sans vouloir vous flatter, sont également de très bonnes qualités, comment gères-tu/gérez-vous cela ? Dès que le jeu est finalisé t’écartes-tu un peu du groupe lors de la sortie afin d’être moins dans le buzz de la sortie? Eh bien, disons qu'effectivement, on est pas mal chez les Space et que donc j'ai découvert quelque chose de nouveau pour moi, c'est à dire d'avoir des services dédiés à certaines tâches. C'est assez confortable d'avoir des gens qui s'occupent de la PAO, d'autres de la com des chefs de projet et ainsi de suite. Chez Ystari, j'ai longtemps été seul et par la suite Thomas m'a rejoint. Cela ne signifie pas pour autant que je me contente de l'aspect réglage. Chez Space, il y a pas mal de projets et je ne travaille pas sur tout. Comme on est plusieurs "game designers" il y en a toujours un qui prend la direction des choses sur un projet donné. Par exemple Croc a été très actif sur Hit Z Road et je n'ai participé qu'aux premières discussions et tests. Sur Unlock, c'est plutôt moi qui supervise l'aspect "jeu" (Julien, notre chef de projet gère les illustrateurs, la fabrication, la PAO), mais par exemple Croc (qui est super carré) repasse toutes les aventures au crible pour s'assurer qu'il n'y a aucun problème. Unlock Donc en substance, on a des projets attitrés mais on picore aussi à droite, à gauche, suivant les besoins du groupe et les compétences de chacun. Là par exemple, je viens juste de bricoler un fichier audio pour Time Stories (qui n'est pas normalement dans mon champ d'action). Pour moi, c'est une façon de travailler très agréable, car j'aime bien faire un peu de tout. Après, sur l'aspect com, je laisse effectivement ça à François et Vincent qui maitrisent cela bien mieux que moi, mais je fais tout de même des TTTV, ce genre de choses...
6) Tu me parlais de signe de destin… parlais-tu de musique ? Ou avais-tu une autre idée en tête ?
Je n'ai pas vraiment choisi les jeux, même si j'aimais ça. J'ai d'abord été un joueur comme tout le monde (sauf qu'à mon époque c'était un peu plus compliqué de trouver jeux et joueurs) avant de décider de créer un jeu, puis ensuite de l'éditer. Donc tu vois, c'est plutôt comme ça que j'envisage les choses. Je n'ai ni de raison, ni l'envie de chercher autre chose. Par contre, qui sait ? Peut-être que quelque chose me trouvera... En tout cas, la musique, je ne pense pas. Au final, je n'ai jamais eu à considérer cette partie de ma vie comme un "travail" et donc quand je joue (trop rarement) c'est uniquement du plaisir et c'est bien que cela reste ainsi (et puis bon, je commence à être un peu trop vieux pour percer dans ce domaine, en plus du fait de ne pas avoir suffisamment pratiqué pour cela ;)
Cyril et son frère en concert
7) Une question plus personnelle… Un peu des deux j'imagine. C'est vrai qu'Ystari n'a pas aidé en ce sens. J'y ai consacré beaucoup d'énergie et cela a parfois été au détriment d'aspects plus personnels de ma vie. Je ne ressens pas ça comme un ratage pour le moment, il y a encore du temps ! J'aime bien les enfants et cela pourrait venir. Mais c'est un peu comme pour le coup du destin, on verra bien... Au niveau des gens, on ne me fait pas trop de remarques. Mon frère a deux enfants, j'imagine que ça doit contribuer à aider ;)
8) En parlant de ton frère, Arnaud qui est illustrateur, tu as travaillé avec lui sur plusieurs projets pour Ystari. Comment gère-t-on une relation familiale dans une relation professionnelle ? En fait un peu des deux. Mon frère est un artiste et j'ai toujours tâché de lui dire quand j'aimais ce qu'il faisait et quand j'aimais moins. Il nous est arrivé de bien nous engueuler, mais c'est beaucoup moins fréquent maintenant ;)
La suite de la question 8, exclusivement sur http://manuvotreserviteur.wixsite.com/jeuxviensavous/cyril-demaedg
9) Ca représente quoi pour toi la musique justement ? Un exutoire ? Une occasion pour retrouver tes potes ? Cela semble plus qu’une passion j’ai l’impression… C'est un peu tout ça. La musique c'est une passion très frustrante parce que tu es toujours en quête de choses que tu n'atteindra jamais. Il y a la quête du son déjà, mais aussi une quête de maitrise technique et enfin de musicalité. A la base ça me vient de mon père bien sûr, qui avait un groupe qui tournait pas mal dans ma jeunesse (et qui joue toujours par ailleurs). D'ailleurs on a en quelque sorte "bouclé la boucle" il y a deux ans avec le concert pour les 10 ans d'Ystari, puisque je suis monté sur scène avec mon père, mon frère et Monsieur Phal. C'était vraiment un super moment, parce qu'on a fait ça comme une opération commando. Peu de répètes (genre 6), un répertoire inconnu au départ (des reprises de Téléphone) et on s'est vraiment éclatés. Enfin tu demanderas à Phal ce qu'il en a pensé, mais j'en garde un souvenir très spécial du fait du caractère éphémère de ce concert. Demandons-nous à Mr Phal ? ;-)
Clairement tu ne peux pas jouer "confort". Si tu te contentes de jouer tranquillement tes accords, cela ne fonctionne pas. Il faut "engager" pour obtenir l'énergie nécessaire, mais tout en étant relax car c'est technique. Bref c'est un challenge et j'adore ça (surtout quand ça fonctionne ;)
10) En 2007, tu t’inquiétais sur le fait que les jeux deviennent des produits de consommation en Allemagne, 9 ans plus tard, c’est le cas également en France. C'était inéluctable en un sens. C'est la loi du marché... As-tu l’impression qu’il y a une répétition dans le type de jeux qui sort actuellement ? Pas tant que cela, il y a pas mal de recherche de nouveaux concepts. Des jeux comme Dixit ou Hanabi on fait évoluer la donne. Et il y a aussi des nouveaux concepts comme Time Stories, ou encore le système Legacy. Et j'espère Unlock bientôt ;) Tu as tendance à être fidèle à peu de jeux? Oui clairement. C'est comme pour la musique : J'ai une base et je n'intègre que rarement de nouvelles choses de manière durable. Mes "classiques" ne sont pas très surprenants.
11) Tiens, d’ailleurs quel jeu manque implacablement selon toi à Jeux Viens à Vous ? C'est une liste assez éclectique. Tu pourrais tenter a peu près tous les jeux que j'ai cité plus haut, qui sont des chefs-d’œuvre et méritent leur place dans toute ludothèque. Et puis, et c'est une fierté, c'est un jeu qui laissera peut être sa petite trace dans l'histoire. Uwe Rosenberg m'a dit s'en être inspiré pour Agricola et j'ai mangé la semaine dernière avec les auteurs de Tzolkin, qui considèrent que leur jeu est le "fils" de Caylus (ce qui fait plaisir). Bref, Caylus n'a sûrement pas inventé le placement d'ouvrier mais il l'a mis en lumière. Je pense donc que, culturellement, cela vaut le coup d'en faire une partie pour se rendre compte. Caylus version 3D
12) Je vais te donner 10 noms d’acteurs du monde ludique et je voudrais que tu les définisses par 1 mot, un seul. Sébastien Pauchon, Christine Deschamps, Philippe des Pallières, Yannick Robert, Timothée Leroy, Compliqué ton truc. Je vais tâcher de pas tomber dans le truc facile genre "auteur" ou "ami" alors. Je le fais le plus direct possible, donc pardon d'avance...
13) Tu souhaitais que l’on parle d’Escape Room, qu’est-ce que tu souhaiterais dire aux gens qui n’ont jamais essayé, ou qui trouve cela trop onéreux ? Tu en as une a conseiller en particulier ? C'est un de mes centres d'intérêt du moment et j'en ai fait beaucoup (plus d'une trentaine). C'est vrai que c'est assez onéreux cela dit, mais c'est vraiment une expérience à vivre à mon avis. Les Escape Room sont un peu un phénomène de mode mais en l’occurrence, quand on voit le travail d'imagination, de décoration et technique on ne peut qu'être admiratif et inspiré. Le fait de vivre des aventures rocambolesques en "live" et en équipe est un sentiment indescriptible. Quand il ne reste plus beaucoup de temps et que tu parviens à sortir tout de même tu ressens un véritable rush d'adrénaline. Bon, après c'est dans les 100€ pour le groupe et je comprends que ça puisse calmer très fort. Mais je conseille à tout le monde d'essayer au moins une fois, parce que c'est vraiment différent. Gare aux addictions par contre ;)
14) Imagine une soirée ensemble, mais nous ne nous connaissons pas ou très peu, je te propose de jouer à 3 jeux dans le but d’apprendre à se connaitre, lesquels me proposes tu et pourquoi ? J'avoue que le vin et les canulars ça me tente bien. Est ce que quelqu'un à déjà choisi l'autre option ;) ?
Amytis version prototype
15) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi ? Globalement, c'est inutile qu'on retienne quelque chose de moi. Ce qui me ferait plaisir en revanche, c'est qu'on se rappelle d'Ystari. C'était une belle aventure et on y a mis tout notre cœur. Je ne renie rien de ce qu'on a fait et j'aime même nos vilains petits canards (traduction : ceux qui ne se sont pas si bien vendus). Donc si une seule personne dans 20 ans regarde ça et se dit que ça avait de la gueule, je serais heureux...
16) Malheureusement, c’est déjà la fin de cet entretien, Cyril, en prenant en compte, ta vie professionnelle et personnelle, es-tu heureux ? Malheureusement est le mot, car j'y ai pris beaucoup de plaisir ! Merci à toi et aux lecteurs. Quand à mon bonheur, comme le reste c'est compliqué. On va dire que comme pour beaucoup de gens, cela dépend des jours. La plénitude, c'est quelque chose d'assez difficile maintenir, je trouve. Maintenant, j'estime que j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Il y a des tas de gens qui luttent chaque mois pour manger ou qui s'ennuient dans un travail purement utilitaire. Alors on peut dire que de ce point vue, je n'ai pas vraiment le droit de me plaindre. Ma vie perso est bonne et j'ai des amis fidèles et sincères. Donc je crois que le bilan de tout cela est plus que positif ;)
La semaine prochaine, ne vous pas faites dominer par sa corruption abyssale...
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