Jeux Viens à Vous Bruno Cathala 2ème partie

Il y a deux semaines, je vous présentai la première partie de l’entretien avec Bruno Cathala.

Voici aujourd’hui la seconde.

Nous parlons de sa vie privée, de Timothée Leroy, de ses protos, de Magic, des jeux, des joueurs, et de son métier de vendeur en magasin avec 3 histoires extraordinairement drôles!

11) Timothée Leroy me disait lors de son entretien beaucoup de bien de vous, et me parlait de votre générosité.
Dans un monde qui prône le capitalisme à outrance, l’individualisme, la gagne à tout prix, est-ce que cela vous semble une valeur nécessaire, voire primordiale à transmettre à nos enfants ?
Vous m’avez dit avoir 2 grands enfants, que vous n’aviez plus à la maison après votre divorce, quels ont étés les moyens pour vous de leur transmettre vos valeurs ?

Je n’ai de leçon, ni de conseils à donner à personne. Chacun vit comme il l’entend, avec les valeurs qui sont les siennes. En subissant aussi tout un tas de formatages (sociaux, familiaux, scolaires, professionnels).

J’ai mis longtemps à comprendre ça. Et il m’aura même fallu un grave accident, et me retrouver seul face à moi-même à pas grand chose de la catastrophe pour finalement prendre conscience de tout un tas de choses. Pour définir des priorités différentes. Pour enfin tenter d’être celui que je suis vraiment, plutôt que d’essayer d’être celui que je pensais que les autres espèrent. (oui c’est un peu compliqué comme phrase, mais je me comprends ;-) ). Je n’ai pas particulièrement le sentiment d’être généreux. D’être quelqu’un « de bien ». J’essaie juste d’être moi. Et là encore, chacun me « catégorisera » dans telle ou telle catégorie selon son propre spectre de lecture, selon les circonstances de nos rencontres. L’un parlera de générosité, l’autre me trouvera individualiste. Et j’aime la gagne: je suis et j’ai toujours été un compétiteur. Bref, je suis, comme chacun d’entre nous, un être complexe…. qui n’aime pas trop rentrer dans des cases.

Quand à mes enfants…. là encore, on peut bien avoir toutes les plus belles idées qui soient au niveau de leur éducation, une fois qu’ils sont là, chacun fait comme il peut. Et là aussi, je n’ai pas le sentiment d’avoir été un papa parfait. Loin s’en faut. J’ai fait clairement pas mal d’erreurs. ça n’a pas été facile. D’ailleurs je pense que ce n’est jamais facile. Ils auront eu à subir une enfance avec des parents séparés, avec le lot de souffrances et de frustrations qui vont avec. Bref, j’ai tenté de les accompagner avec toutes mes imperfections, mais toujours avec amour, et les relations que nous avons aujourd’hui me laissent espérer qu’ils ne m’en veulent pas trop. Je suis vraiment fier d’eux.

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Bruno Cathala et Croc


12) Est ce que vous accepteriez de nous parler de cet accident?
Avez-vous été hospitalisé et/ou dépendant du corps médical et paramédical et comment avez-vous vécu ces moments difficiles, où l'on se retrouve face à soi même?
Les gens (et le corps médical également) ne se rendent pas forcément compte de ce qu'engendre une dépendance et une hospitalisation.

Non, je ne souhaite pas parler dans les détails de cet épisode qui relève de la vie privée

13) Voudriez-vous nous parler d’une œuvre (Littérature, Musique, Jeu, Peinture…) ou d’un auteur que vous souhaiteriez faire découvrir ou redécouvrir ?

Pour la littérature, j’ai été complètement captivé par l’OULIPO (ouvroir pour la littérature potentielle), avec des écrivains comme Queneau, ou Pérec.

Une façon finalement ludique de concevoir littérature, poésie, le tout combiné avec les mathématiques.

L’OULIPO se définissait d’abord par ce qu’il n’était pas. A savoir ni mouvement littéraire, ni mouvement mathématique, ni littérature aléatoire.

Les membres se voyaient eux-même comme des rats qui construisent eux même le labyrinthe dont ils essaient de s’échapper.

Parmi les ouvres les plus connues, il y a bien sûr :

- La disparition, de Georges Perec, un thriller dans lequel l’auteur raconte la disparition de la lettre E de l’alphabet. La lettre la plus utilisée de toute la langue française. Et bien évidemment, il n’utilisera jamais cette lettre dans l’ensemble du livre. Le résultat est évidemment étrange. Mais poétique. et fascinant.

- Exercices de style, de Queneau, dans lequel l’auteur raconte la même histoire, banale, d’un gars qui prend l’autobus mais se trompe de ligne. Sauf qu’il va la raconter, je crois, de 17 façon différentes. Là aussi, c’est fascinant, et permet de constater à quel point la même histoire peut paraitre totalement différente selon le procédé narratif.

Au niveau musique, je suis guitariste amateur escroc (à savoir que ce que je joue sonne presque comme si c’était l’original, mais en fait ce ne sont que des plans d’escroc qui ne maitrise pas la technique pour jouer comme il faut). Je suis un fan absolu de Django Reinhardt. Un virtuose, certes, mais qui était capable de transmettre une sacrée sensibilité dans son jeu. Et quand on imagine qu’il n’avait plus que 3 doigts valides à la main gauche suite à un incendie.. c’est simplement bluffant.

Je suis également fan de Peinture. J’aime beaucoup de choses différentes. Mais je suis fasciné par l’ouvre d’Egon Schiele. Une oeuvre puissante, torturée, dérangeante. Dans laquelle le sexe et la mort se côtoient allègrement.En tout cas c’est ce que m’inspirent les corps décharnés qu’il peint. Une ouvre météoritique aussi, puisqu’il décédera, je crois, de la grippe espagnole à 28 ans. A noter que le parti graphique osé et très réussi de l’auberge Sanglante, de Pearl Games, m’a fait penser à cet artiste.

Enfin, côté jeu, il y a pour moi UN jeu absolu. C’est GYGES de Claude Leroy. Un jeu abstrait, pur, pour deux joueurs. Un jeu juste fabuleux. Vraiment. Aux règles si simples et à la stratégie si complexe.

La simplicité des dames. La profondeur stratégique des échecs.

Je suis tombé amoureux de ce jeu bien avant que je décide moi-même de tenter de faire mes jeux. Ce jeu reste malheureusement confiné à quelques initiés. Alors que c’est une oeuvre majeure, au même niveau que toute l’oeuvre de Kris Burm (le projet Gipf). Je rêve qu’un jour se fasse un bien plus belle place au soleil.

Travailler en confiance avec des gens qu’on apprécie est un vrai plus

14) Timothée son fils me disait la même chose. Avez-vous envie de nous dire un mot sur Timothée qui vous considère comme son grand frère dans le monde du jeu?

Je viens seulement de découvrir l’interview de Tim. Je suis très touché par ce qu’il dit à mon sujet. Alors du coup, si je parle maintenant de lui en disant tout le bien que je pense, ça va faire un peu « la petite maison dans la niaiserie ». Il n’empêche que effectivement, j’ai beaucoup d’affection pour lui. J’aime son enthousiasme, son coté toujours positif, sa passion pour les jeux. C’est un vrai « gentil », mais pas dans le sens péjoratif du mot. La première fois qu’on s’est rencontrés, c’était chez son père, en décembre 2002. Je venais d’être publié et, grâce à mon distributeur Suisse, venais de découvrir que Claude Leroy habitait à 5 km de chez mes parents dans le sud de la France. Donc, pendant les vacances de Noel, j’ai pris contact, tout simplement dans l’espoir d’une rencontre, pour lui dire tout le bien que je pensais de son travail en général, et de Gyges en particulier.

Cette conversation téléphonique s’est transformée en invitation chez lui. On a discuté, joué, disserté. Claude est un érudit, passionnant. Et c’est là donc que j’ai croisé Tim pour la première fois. Il devait avoir 16 ou 17 ans. On a joué au ping-pong ensemble. La décence, associée à mon souhait de pouvoir continuer à travailler avec lui, m’amène à taire le score de cette partie. Bref, on a sympathisé tout de suite. Quand, quelques années plus tard, il s’est lancé dans l’édition avec Jactalea, on s’est retrouvés avec grand plaisir. On a alors eu de longues discussions, très ouvertes, sur tout un tas de sujets, tout particulièrement en ce qui concerne l’édition. Bien évidemment, j’ai eu envie, en tant qu’auteur, de faire partie de cette aventure. D’une part parce que travailler en confiance avec des gens qu’on apprécie est un vrai plus, et d’autre part parce que des éditeurs qui osent s’engager sur le créneau du jeu abstrait pour 2 joueurs, ça ne court pas les rues. Et c’est ainsi qu’on commencé à travailler ensemble.

Ne serait-ce pas la version protype de Kingdomino?

Ceci dit, même si on a un relation d’amitié très forte, ça n’empêche pas qu’on sait l’un et l’aire faire le distinguo entre les moments « professionnels » et les moments « personnels ». Il m’est bien évidemment très facile de contacter Tim pour lui présenter un nouveau prototype. Mais ce n’est pas pour autant qu’il va se précipiter dessus pour le publier. Il est exigeant, à jute titre. Notre relation ne garantit pas l’édition. C’était vrai chez Jactalea, et ça l’est encore plus chez Blue Orange maintenant. Puisque là, il n’est qu’un maillon (certes très important, mais pas suffisant) d’une chaine de décision plus… complexe. Pour exemple, j’ai du ramer pas mal pour réussir à convaincre BO de s’engager sur Kingdomino. Si aujourd’hui tout le monde est content et fier du résultat final, des prénommantes en cours et des premières excellentes revues sur le net américain, c’était loin d’être le cas au moment de la présentation du prototype.

Convaincre, encore et encore, c’est ça une des composantes du boulot d’auteur.

15) J’imagine que vous avez gagné en expérience à ce niveau au fil des années mais êtes-vous passé par des moments de réels doutes quand vous accumuliez des refus (si cela a été le cas) ?
Y a-t-il des protos dont vous êtes persuadé qu’ils auraient été des bons jeux et que vous avez dû remettre dans des cartons faut de « oui » d’un éditeur?
Comment convainc-t-on justement les éditeurs ?
Une anecdote intéressante ou amusante à ce propos ?

En fait, j’ai vraiment « le cul bordé de nouilles » parce que je n’ai quasiment pas de projet qui n’ai pas fini par être édifié, d’une façon ou d’une autre.

Il faut dire que je suis du genre assez obstiné.. c’est à dire que quand je crois à quelque chose, je vais m’employer à tenter de partager cet enthousiasme, jusqu’à finir par convaincre.

Après, ça peut prendre du temps. Et au cours de ce temps, le projet lui-même peut être amené à évoluer. Ou je peux reprendre telle ou telle partie d’un projet initial pour finalement en recomposer un autre plus à même de remporter l’adhésion. Bref.. très très peu de déchet, vraiment. Mais je ne ressens pas d’évolution au fil du temps sur ce point. C4est comme ça depuis le tout début, et ça n’a pas évolué. Peut être est ce là aussi lié à mon ancien métier, dans lequel il fallait à chaque nouveau projet de recherche, tout d’abord être capable de le justifier , de donner envie à une direction de dépenser pas mal d’argent pour mettre en oeuvre les travaux nécessaires. Du coup, j’ai probablement développé au cours de cette expérience professionnelle préalable des compétences bien utiles aujourd’hui.

Après, oui, j’ai quand même dans mes cartons UN projet sur lequel je n’ai jamais trouvé d’éditeur. Et qui n’a pas été la base d’une nouvelle reconstruction. ça s’appelait « la malédiction de la momie », et c’était un jeu à quatre main avec mon ami Thierry Gislette (qui est aussi le patron de la boutique Jeux Descartes de Lyon). Le jeu a longtemps été testé, par pas mal éditeurs différents, manifestement intéressés. Et puis finalement personne ne s’est engagé à nos côtés. A priori, la raison récurrente ayant conduit à ça étant que ce jeu, formaté « familial plus », contenant quelques d’éléments amenant les joueurs à faire parfois appel à leur mémoire en cours de partie. Et cet élément « memory » a été jugé trop risqué », les adultes aimant assez peu cela (d’après les éditeurs concernés). J’entends et j’accepte bien évidemment cette critique,. Ce qui ne m’empêche p’avoir en l’époque été assez déçu car j’y croyais vraiment (ça date d’il y a 5 ou 6 ans je pense)

Je repense régulièrement à ce projet, mais n’ai à ce jour pas eu le déclic suffisant pour lui redonner une seconde chance.


16) Nous ne nous connaissons pas ou peu, une soirée chez moi, quels jeux me proposez-vous dans le but d’apprendre à se connaitre et pourquoi ? Nous avons le temps d’en faire 3
Ou bien préférez-vous faire des canulars téléphoniques un verre de Saint Veran à la main ?

Tout d’abord, il est évident que le St Véran est un excellent choix pour commencer la soirée…

Pour les jeux permettant de faire connaissance… ne sachant pas vraiment quel va être l’auditoire, sa culture ludique, je vais privilégier des jeux aux règles simples, et générant avant tout de la convivialité.

Parmi ceux qui fonctionnent très bien, il y a « Compatibility ». Même si mes goûts personnels me font préférer les jeux avec des illustrations plutôt que des photos, force est de reconnaitre que « Compatibility » est un super « brise glace ». Il est assez rigolo de tenter de comprendre comment fonctionne un partenaire qu’on ne connait pas encore vraiment bien. Et aussi de voir au travers des propositions de chacun avec qui on est « connecté.

Dans le même genre, j’aurai pu aussi amener « Qui paire gagne »

Ensuite, pour sortir un peu du pur party game, un jeu où chacun construit son truc … mais avec une interaction forte, amenant à devoir faire des choix qui piquent (les autres) et où certains joueurs vont faire leur pleureuse… j’ai nommé « Le Petit Prince - fabrique moi une planète »

Et maintenant qu’on se connait un peu mieux et qu’on a commencé par moment à bien se chicaner les uns les autres, il est temps de terminer la soirée avec un bon vieux Ave Cesar. Le jeu de course simple et cruel, plein de rebondissement. Bien évidemment à jouer sur la vieille édition ravensburger.

17) En regardant la liste des jeux de Jeux viens à vous, quel jeu manque t-il forcément à cette liste selon vous?
http://manuvotreserviteur.wixsite.com/jeuxviensavous/jeux-

Ouh là !!

la liste est déjà bien longue, je ne l’ai pas regardé ee détail.

Et l’avantage de notre petit domaine, c’est qu’aucun jeu n’est indispensable.

En ce qui me concerne, le petit jeu qui ne me quitte pas, toujours dans le vide-poche de la voiture, le petit jeu auquel je joue tous les midis avec les copains en prenant le café, le petit jeu qui n’est PAS dans cette liste, c’est MOW !! Depuis le temps, je pense qu’on a du dépasser les 3000 parties et on ne s’en lasse pas. Au contraire, ce rendez-vous quotidien, lorsqu’il est annulé à cause des déplacements professionnels de l’un ou de l’autre d’entre nous, nous manque réellement. Et c’est un vrai plaisir de se retrouver à nouveau quelques jours plus tard autour de ces vaches pleines de mouches.

A notre qu’on y joue avec deux micro-règles supplémentaires dont on ne peut plus se passer (et que j’intégrerai dans le livret si le jeu se voit ré-édité):

- Au début de chaque manche, le joueur avec le plus mauvais score, une fois les cartes distribuées, peut choisir d’échanger sa main de départ avec celle de l’adversaire de son choix….

- Lors que l’on joue à 4 ou 5, les vaches serre file (O et 16) ne permettent plus de changer le sens du tour de jeu, mais permettent de passer la main directement à l’adversaire de son choix (en général.. le joueur d’en face) ;-)

Quel diable ce Cathala!


18) Vous expliquiez à la Radio des jeux que vous aviez compris le décalage important dans la compréhension des règles entre un joueur averti et la personne lambda
C'est quelque chose qui m'a souvent marqué chez les joueurs chevronnés, de dire d'un jeu qu'il est familial/familial + alors que les règles sont déjà fortement avancées, mais également un certain dédain dès que les règles sont trop simples.
Comment pensez-vous que l'on puise réduire cet écart entre parfois un certain élitisme et le reste de la population? Des jeux comme loup garou de Thiercellieux, Time's up, Timeline ou bien des jeux comme Le Petit Prince par leur attrait auprès du grand public et ses règles abordables font beaucoup de bien au monde ludique,
Avez-vous changer votre façon d'aborder les non joueurs curieux lors d'un festival par exemple, ou votre manière d'expliquer les règles?

Alors.. il y a plein de choses différentes dans cette question..

Lors de cet épisode de la radio des jeux

http://radio-des-jeux.bonnes-ondes.fr/ep/s05e04-b-cathala-c-martinez

J’ai expliqué que d’avoir travaillé quelques années à temps partiel comme vendeur dans un magasin de jeux spécialisé avait assez profondément modifié ma vision de ce qui était simple ou complexe dans les règles de jeux. J’ai pris conscience comment plein de choses anodines pour un joueur régulier pouvait déjà paraitre comme à la limite de l’insurmontable pour un joueur très occasionnel. Cette prise de conscience a eu un impact sur la façon dont j’envisage le game design. Je continue à faire ce que j’ai envie, à développer des jeux plus ou moins complexes en fonction de ces envies. Mais ce qui est certain, c’est que je supprime tout élément de jeu même très cool qui nécessite à lui seul une demi page d’exceptions aux règles pour un impact ne se déclenchant qu’une partie sur deux, par exemple. Bref, c’est le mal. ;-). Le petit Prince fait effectivement partie des jeux développés dans cet esprit d’épure de la règle en tentant de ne pas sacrifier la tension tactique et ludique.

Lors de la radio des jeux, je n’ai pas abordé les notions de dédain élitiste développées dans la question ci-dessus. C’est quelque chose que j’ai aussi parfois remarqué. Mais ça, ce n’est pas du tout propre au jeu. C’est lié à l’individu. Au besoin de certains de se sentir supérieurs. Alors quand on a son petit piédestal, on ne veut surtout pas le partager en permettant à d’autres d’y accéder. On retrouve le même type d’attitude dans plein d’autres domaines, pas nécessairement culturels (je l’ai vécu en sport, par exemple). Heureusement, ça reste très très marginal dans notre microcosme, qui est par nature ouvert et tourné vers l’autre. La grande majorité des passionnés n’a de cesse que de tenter de fédérer de nouveaux arrivants. Et de toute façon, autant je ne peux pas faire grand chose contre ces personnes. A part les plaindre.

Quant à l’explication des règles.. Là, non je ne crois pas avoir changé ma façon d’expliquer les règles. Avant d’être auteur, c’est toujours mi qui me suis collé à cet exercice. D’une part parce que c’est moi qui achetait les jeux, mais aussi par goût. A priori il semble que je m’en sorte plutôt pas mal sur ce plan là. Mais c’est vrai que la transmission de la règle est un sujet auquel je réfléchis souvent. En effet, c’est le principal frein à la diffusion plus large de notre loisir préféré. L’apprentissage d’une nouvelle règle nécessite… que quelqu’un soit capable de la transmettre. Et donc, à chaque nouveau jeu acheté, il faut que:

- quelqu’un lise la règle (ça peut paraitre évident mais.. vous n’imaginez même pas le nombre de jeux offerts à des enfants qui doivent ensuite tenter de se débrouiller seuls)

- La comprenne (là, c’est le travail rédactionnel, avec moules illustrations sur lequel il est bon de se remettre en cause encore et encore)

- soit capable de la transmettre (et c’est là que le bas blesse.. car aussi bien écrite soit une règle, encore fait-il que quelqu’un ait les compétences « pédagogiques » nécessaires »

Bref… la diffusion de nos jeux favoris tient parfois d’une suite de petits miracles...

19) Vous parliez également dans cette interview de Magic the gathering, comme un jeu phare à vos yeux.
Qu’avez-vous envie de nous dire sur ce jeu, sur ce qu’il a abordé au jeu de société moderne et les points techniques avec lesquels il a inspiré d'autres jeux : Combo, Draft, etc?


Effectivement Magic est un jeu qui m’a très fortement marqué.

J’ai découvert le jeu au moment où il est arrivé en français avec la 3ème édition à bords noirs. Et là, je suis tombé dedans avec délice.

J’ai joué. Beaucoup. Intensément. J’ai même participé à quelques tournois.

Ce jeu aura aussi débloqué ma tête côté création. En effet, cela faisait des années que j’avais envie, un jour de faire mon jeu. Mais je n’avais aucune idée de comment commencer.

Et puis j’ai découvert Magic. Et j’ai vu que le jeu était segmenté en tout un tas de sous-éléments (la pioche, la défausse, les cartes devant soi, devant son adversaire, les différentes catégories de cartes etc etc) et j’ai compris comment cette segmentation rationnelle permettait de créer plein d’effets, de tensions spécifiques à chaque sous-élément. J’ai vu comment tout ça s’intégrait au service d’une tension globale faite de petits choix toujours cruciaux. J’ai compris aussi comment l’arrivée progressive du « mana » au cours de la partie créait une tension toujours grandissante, avec les effets devenant de plus en plus puissants au fur et à mesure que la partie progresse. Bref, ça m’a éclairé sur beaucoup de choses, et je ne sais pas si j’aurai réussi un jour à construire un jeu si je n’avais pas plongé aussi fort dans Magic.

Magic est un jeu qui a eu un influence majeure sur le jeu de société des 20 dernières années.

D’ailleurs quel est le point commun entre Mr Jack, 7 Wonders, et Sea of Clouds ?

3 jeux qui à priori n’ont pas grand chose en commun à l’exception de … Magic !!

Car chacun d’entre eux est construit sur la base d’un des systèmes de draft que l’on peut utiliser dans Magic.

En ce qui concerne Mr Jack, la sélection des personnages en mode A-B-B-A puis B-A-A-B est celle que l’on utilise pour jouer à Magic lorsquel’un seul des joueurs possède des cartes. C’tait mon cas à l’époque. Et pour faire jouer mes potes, j’avais été très heureux de trouver cette méthode de draft expliquée dans une revue américaine spécialisée (scrye, je crois). En l’époque, je me suis dit qu’il fallait garder ça en tête âcre qu’il y avait certainement autre chose à faire avec ça.

En ce qui concerne 7 Wonders, le draft est exactement celui du booster draft, que l’o peut utiliser à la maison avec les potes, ou en tournois.

Quand à Sea of clouds, il reprend le principe du winston draft, peut être moins connu, mais également utilisé par les joueurs de Magic.

Attention, chacun des 3 jeux cités est à des années lumières de Magic, mais il n’empêche que la source d’inspiration est identifiable. En ce qui me concerne, c’était en toute connaissance de cause. En ce qui concerne Antoine ou Théo, je ne sais pas si l’influence était consciente ou pas. Mais comme ce sont tous deux de grands joueurs de Magic, je pense que oui.

Bref, beaucoup des petits mécanismes de Magic se retrouvent aujourd’hui dans bon nombre de jeux. Mais la vraie spécificité de Magic, qui explique d’ailleurs son succès, c’est le Metagame. C’est à dire que l’on passe plus de temps à imaginer que l’on va jouer, plutôt qu’à réellement jouer. En pensant à comment on va construire son deck. En tentant d’imaginer ce que les autres vont faire. En essayant donc d’avoir des decks prêts contre leurs stratégies, etc etc.. et ce Metagme, on peut le pratiquer n’importe où. Dans les transports, au boulot, à table en famille… du coup, Magic, l’existence même de ce metagame aura une des clés de la réussite du jeu.

20) Auriez-vous une anecdote marquante (drôle ou pas) au sujet de votre ancienne activité en tant que vendeur en magasin, un client bizarre, une rencontre émouvante, une forte amitié ?

Bonjour !!

Bienvenue dans notre émission « Vis ma vie de vendeur de jeux de société ».

Aujourd’hui, mesdames et messieurs, ce n’est pas UNE anecdote que vous allez avoir.. Non.. Ce n’est pas DEUX anecdotes.. non plus.. mais c’est bien TROIS anecdotes, que je vous sers pour le prix d’une seule, ma petite dame…

3 histoires que vous retrouvez exclusivement sur :
http://manuvotreserviteur.wixsite.com/jeuxviensavous/bruno-cathala-2-eme-partie

21) Le jour où vous quitterez le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiteriez-vous que l’on retienne de vous en tant que professionnel mais également qu’homme ?

La vie est un jeu. Sauf qu’on perd à la fin.

Je quitterai don le jeu le jour où la vie me quittera. Le plus tard possible j’espère.

Je pense à la mort tous les jours, avec une certaine angoisse. Depuis toujours. En tout cas aussi loin que je me souvienne.

Ce qui est clair, c’est que si je me suis engagé dans cette voie créative, c’est bien dans l’espoir un peu utopique et vain que ma création me survive.

Oh, pas très longtemps. Au moins un peu. Au moins dans un cadre familial.

J’avoue volontiers que le fait que, peut être un arrière petit enfant que je n’aurai jamais connu puisse avoir une trace de cet aïeul au travers d’un jeu oublié dans une armoire au fond d’un grenier, me réconforte un tout petit peu.

Quand aux joueurs, et aux professionnels du jeu, ils m’oublieront bien vite. Ainsi va la vie. Nul jeu n’est indispensable. Nul individu non plus.

Ce qui m’intéresse plus, c’est de profiter de chaque instant, de chaque rencontre, avec intensité.

Le reste importe peu.

Carpe Diem !

22) Etes-vous heureux Bruno Cathala ?

Oh que oui !! Je remercie d’ailleurs à nouveau toutes mes compagnes successives qui ne sont sans doute pas pour rien pour cette chance incroyable qui ne me quitte pas.

Mieux, ce serait 1D100

(triple clin d’oeil:

> au dé, objet vénéré ou détesté par les joueurs, selon leur chapelle

> à l'excellent jeu SMS de Laurent Escoffier et David Franck, auteurs inventifs s’il en est

> aux jeux de mots bien pourris que j’affectionne, qui font rire ou sourire la plupart, et ronchonner mon compère Charles Chevallier. Et plus il ronchonne, et plus j’en fais des pires.)

Je vous remercie Bruno Cathala pour votre gentillesse et votre disponibilité

La semaine prochaine nous retrouverons l'homme caché derrière les règles ...


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Excellente interview (comme d’hab), le “coup” du répondeur est trop bon. On voit que pour M. Bruno des montagnes, le jeu est pour lui une attitude mentale, c’est beau !

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Merci à vous :slight_smile:

Et bien, y a déjà beaucoup d’interviews dis donc… c’est sympa. Si c’était le premier, j’aurais bien tenté quelques remarques du genre: 1. évitez les trop grandes fautes de frappe et d’orthographe, 2. peut-être que les questions psychologisantes et personnelles n’ont pas leur place ici ? 3. la mise en forme mériteraient peut-être des modifications (paragraphes, sauts à la ligne, mise en valeur des questions, format des photos, etc.)… mais bon, n’ayant pas suivi depuis le début, je suis sûrement hors propos. Pardonnez donc mes remarques, elles ne se veulent pas méchantes. Du tout. C’est toujours un plaisir d’avoir des nouvelles des auteurs de jeux.

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Super entretien avec un super sujet. La référence à Queneau me parle vraiment (c’est 99 fois si mes souvenirs sont bons :wink: )

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Merci à vous! :slight_smile:

Merci de vos encouragements! :slight_smile:

Merci pour cette chouette interview !
Concernant le point sur l’explication des règles, l’apprentissage d’une nouvelle règle nécessite “que quelqu’un lise la règle, la comprenne et la transmette”. Je me dis à chaque fois la même chose quand je veux essayer de faire découvrir un nouveau jeu à des amis.
Je me heurte personnellement à un 4ème point (pour certains jeux) : avoir un public patient/réceptif ou du moins qui est conscient que l’apprentissage d’un jeu peut passer par une période où on ne prend pas de plaisir à jouer parce qu’on n’en maîtrise pas encore les règles et cela bien que je suis convaincu que le jeu plaira une fois cette étape passée.
Je prends l’exemple de 7 Wonders, une fois que j’avais expliqué les règles (étape 3 : transmettre la règle, c’est là que le bas blesse effectivement), il a quasiment fallu que j’attache les gens à la table pour leur faire faire une partie afin de leur permettre de mieux comprendre (sûrement parce que mes explications préliminaires devaient être laborieuses) et après, ils ont aimé bien-sûr.
En tout cas, cette interview fait bien ressortir le recul de M. Cathala sur le monde du jeu dans lequel il est solidement ancré.

Bonne continuation à tous.

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Mercià vous de votre compliment! :slight_smile:

Oui je pense que le plus important est de savoir transmettre la règle, quitte parfois à ne pas en parler au départ

Concernant le public patient / réceptif… je vois tout à fait de quoi tu parles. En ce qui me concerne, je gère ça comme à l’école. Je commence par baisser la voix. Puis si l’attention ne reprend pas, je m’arrête tout simplement, en souriant. Et en attendant que tout le monde écoute vraiment. Et si l’attention ne reprend vraiment pas, ce n’est pas grave, ça signifie simplement que l’assistance n’a pas réellement envie de s’investir ds un nouvel apprentissage, et alors il est tout simplement temps de passer à autre chose.

Je me demande après la lecture des deux parties si d’une certaine façon il n’y a pas un peu de Gygès dans 7 Wonders Duel. J’y retrouve une certaine forme de tension…

C’est exactement ça : l’assistance n’a pas envie de s’investir dans un nouvel apprentissage, elle veut directement savoir jouer. Le plus souvent, c’est parce qu’elle dispose déjà de jeux qui lui conviennent je pense (et j’en ai bouffé des parties de Monoply :slight_smile: ). Comme ça me frustre, j’insiste un peu et quand c’est pas trop compliqué, ça peut passer. Mais j’ai pas encore osé sortir ma boîte de Puerto Rico !

Ben voilà, c’est malin. J’ai commandé La Disparition et Exercices de style. Reçus ce matin. J’avais déjà lu il y a très longtemps mais ça m’a donné envie de les relire et je ne les ai plus :slight_smile:

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