Voici une petite réflexion en passant pour faire suite à une discussion intéressante sur un réseau social (oui ça arrive parfois par mégarde) concernant les citations et plus précisément dans ce cas les citations sur le jeu. Et même, encore plus précisément dans ce cas UNE citation sur le jeu.
Vous trouverez très souvent cette citation de Platon, la plupart du temps ainsi libellée :
On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation.
Forcément le gars Platon est un genre de référence incontournable des trucs intelligents de la pensée humaine et il est toujours le bienvenu dans un domaine toujours un peu glissant comme celui du jeu. Si un type comme Platon dit des trucs comme ça c’est que c’est du sérieux.
Beaucoup de choses dites sur le Net sont erronées
- Georges Wasington
Comme beaucoup de citations, vous remarquerez aussi très vite que si l’on cite son auteur, il n’est jamais question d’aucune source. Ok c’est du Platon alors bon c’est du sérieux. Seulement voilà, tout comme ce bon vieil Einstein et la mort des abeilles, les deux référents de la chose sérieuse et intelligente n’ont rien à voir la dedans. Mais forcément, avec l’Internet qui s’autoréférence, le nombre d’apparitions fait loi.
Alors je dois vous retirer cet argument précieux de la bouche. Non Platon n’a jamais dit ça. Il a bien traité du jeu (paidia) mais pas forcément dans le sens qui nous irait bien puisqu’il l’oppose au spoudê qui serait le sérieux dans les activités humaines (Parménide).
Par ailleurs ce brave Platon trouve que le jeu est très pratique pour l’éducation des enfants et notamment dans l’apprentissage des mathématiques (Les Lois VII). Ouf ! Nous sommes sauvés !
Mais alors d’où sort cette citation ? En général l’usurpation n’est pas totale (sauf dans le cas d’Einstein et des abeilles) car elle reprend une phrase ou une citation mais extraite d’une source sans doute pas assez prestigieuse pour conforter le propos de ce premier utilisateur véreux.
Retrouver la source n’est pas alors évident mais pour l’occasion, on sait que la phrase suivante :
[…] Si vous lisiez la disposition d’un homme, vous le verriez au jeu; vous apprendrez alors plus de lui dans une heure, que dans conversation de sept années et les petits paris l’essayeront aussitôt comme de grandes mises, pour alors lui faire baisser sa garde […]
If you would read a man’s Disposition, see him Game; you will then learn more of him in one hour, than in seven Years Conversation, and little Wagers will try him as soon as great Stakes, for then he is off his Guard.
est un extrait de Letter of advice to a young gentleman leaving the University concerning his behaviour and conversation in the world, amusant ouvrage de Richard Lindgard publié à Dublin en 1670.
Évidemment citer Lindguard est moins élogieux. Vous remarquerez néanmoins que la citation originelle se retrouve bien attribuée sur le site pensuador.uol.br, ce qui laisse à penser que les brésiliens ont moins besoin de faire les kékés que nous autres.
D’après ce que j’ai pu voir, on retrouve cette citation attribuée à Platon dans un ouvrage de Alan Loy McGinnis de 1987 : How To Succeed at Being Yourself. Serait-il notre premier faussaire ?
De ceci mes chers amis, tirons donc deux leçons :
- Pour être soi-même utilisons de fausses citations
- Lisons Plato