Il était une fois... Le loto

Sept ans. L’âge de raison. Les doigts d’Alain tremblent alors qu’ils déballent le cadeau : il sait déjà, au fond de lui. Alors que l’objet est extrait de son fourreau de papier, une larme roule sur sa joue potelée : Alain tient dans ses mains son premier set de loto. Les jetons de plastique brillent de mille feux, précieux comme des diamants. Depuis sa plus tendre enfance, les week-ends familiaux sont consacrés à cette activité : tel un office immanquable, tenant pour lieu de culte la salle municipale. Mais aujourd’hui, tout bascule : Alain passe du stade d’observateur à celui de joueur. Ses efforts, chaque euro d’argent de poche soigneusement économisé lors des derniers mois, ont tous tendu vers ce sommet culminant qu’il est sur le point d’atteindre : sa toute première grille, entre ses doigts.

La partie va commencer. Les minutes passées fusent dans sa boîte crânienne, chacune d’entre elles suivant son propre circuit aléatoire. Mouvement brownien. Zoom sur une minute-particule : son père, lui posant la main sur l’épaule, il y a quelques jours : « Ton premier set. Je suis fier de toi, mon fils. » Nouveau flash : fin du repas, préparatifs, le coussin pour Papi, les porte-bonheurs et les grigris, on ne casse rien, on sort de la maison du bon pied et surtout, surtout, on ne passe pas sous l’échelle. Tout s’est si bien passé que Papa a choisi de prendre la voiture. Impossible de perdre, aujourd’hui. Ce soir, la vie sera plus belle en 75 pouces. Le choix de la grille, ce moment crucial : difficile, presque décourageant. Il lui fallût du temps pour repérer celle qui convenait, bien plus de temps que les autres membres aguerris de sa tribu familiale. Néophyte et presque vulnérable, il s’est retourné vers sa mère. Sourire, l’inspiration afflue. Il a fait son choix, le bon.

Choc, pieds sur terre : le premier numéro vient de tomber. Pas un numéro fétiche. Bon ou mauvais augure ? Pas le temps de s’attarder, le deuxième numéro arrive, le troisième maintenant, le quatrième déjà. Sans répit, pas d’erreur, attention au maximum, yeux écarquillés, jetons brillants filants entre les doigts. Chiffre, jeton, case. La bonne case. Attention. On recommence. La tension de l’approche de la fin de partie emplit la salle : une première grille en poche donne un ascendant psychologique indiscutable. Soudain, le cœur d’Alain manque un battement. Un miracle. Ses yeux s’ajustent, le message est transmis, c’est lui et lui seul qui a remplit sa grille, remporté le lot, son but, sa clé du paradis !

D’une voix chancelante, il s’y reprend à deux fois pour qu’on l’entende.

« Bbbbbb….. ingo …. BINGO ! ».

Les larmes roulant sur ses joues, ses insignes de fierté.

Ce jour-là, Alain remporta une bouteille de Whisky premier prix et son papi une dînette pour enfant. La télé géante leur échappa, et quelque part, heureusement ! Alain grandit à sa poursuite, avec en guise de lasso ses jetons, si brillants.

Un grand merci à Philippe pour son anecdote, on se retrouve dans un mois pour un nouvel épisode de « Il était une fois » !

« Il était une fois… » narre vos anecdotes de jeu. Il vous est arrivé un truc fou, comique, tendre, chamboulant ou dramatique autour d’un jeu, du Jeu ? Envoyez-moi votre histoire si vous voulez la voir mise en plume à madame.mathilde@trictrac.net, avec en objet du mail « Il était une fois » (c’est important !). Elle sera romancée et anonymisée, puis publiée.

Photo de couverture par Florian Belmonte.

11 « J'aime »

Il manque une seule chose, les jeux de mots pourris et les départements , à chaque boule …
Les V’la ! (22) ou le Docteur (33)
le petit jaune (51) ou le sans eau (20)
L’attila (01), la Mémé (89) & le Papé (90)
Celle qui est en l’air (06) et celle qui tombe (09)

3 « J'aime »

Ce que j’aime c’est que Madame Mathilde essaie dans cette exercice périlleux, de romancer une anecdote tout en ne travestissant pas l’auteur qui narre l’anecdote. Alors je dis oui… cela peux nous offrir un panel d’histoires autour du jeu extrêmement varié !
ENCORE !

2 « J'aime »

Merci, c’est joliment conté :slight_smile:

2 « J'aime »

Sans oublier le poil aux dents (69) :wink: