Hoarders - un jeu pensé pour les ludicaires

[Hoarders]

Suite à mon article sur les changements en cours dans le monde du jeu ( https://www.trictrac.net/actus/etat-du-marche-ya-ben-du-changement ) et sur la disponibilité des jeux chez votre ludicaire ( https://www.trictrac.net/actus/demandez-nos-jeux-a-votre-detaillant ) qui ont amené pas mal de réactions intéressantes sur les réseaux sociaux, je vais vous développer ici un cas concret et en profiter pour vous parler de mon nouveau jeu ^^

Je sors cette année Hoarders, un jeu de Andy Niggles, illustré par Christine Deschamps et Maëva Da Silva. Il sortira le 8 Novembre en France via Novalis, et est déjà dispo en Belgique via Geronimo. Lors du travail éditorial sur ce jeu, j'ai très tôt tenu compte de la manière dont il serait vendu, et cela a orienté certaines décisions en cours d'édition. Hoarders est un produit spécifiquement prévu pour le circuit distributeur - détaillant.

Hoarders est un jeu très simple, les règles s'expliquent en trois minutes et les parties sont rapides, tournant autour de 10 minutes. Niveau matériel, tout est contenu dans deux paquets de cartes, permettant un jeu extrêmement compact. Le public cible est résolument familial, on peut sans problème y jouer à partir de 8 ans.
Pour l'âge, la mécanique de base peut être comprise sans peine par des enfants plus jeunes, mais le jeu a un aspect de bluff. Le consensus général auprès des parents, instituteurs et autres psychologues avec lesquels j'en ai parlé semble être que 8 ans est l'âge moyen vers lequel les enfants commencent à maîtriser pleinement les concepts de bluff dans un jeu. Evidemment c'est variable selon l'enfant et son contexte familial, mais quand il s'agit d'indiquer un âge sur la boite cette moyenne est une bonne indication.

Cet aspect, 'Simple, familial 8 ans et plus, et compact' constitue l'ADN du jeu, son identité, et sont donc non négociables. Pas question en tant que l'éditeur de les changer, au risque de l'affaiblir ou d'en faire un autre jeu, éloigné du concept proposé par l'auteur.
Les 'leviers' dont je dispose en tant qu'éditeur sont donc le positionnement, la réalisation, et la manière de le vendre.

La question de l'éditer ou non ne s'est pas vraiment posée pour moi : le mécanisme était extrêmement simple, très robuste, et fonctionnait immédiatement dans tous mes tests. Il était clair pour moi que Hoarders avait du potentiel pour un large public. L'éditer était une évidence.

Premièrement, j'ai réfléchi au positionnement. Le prototype original du jeu était présenté comme un jeu à boire. Il visait donc un public adulte, et relativement limité. Par contre il était conçu pour être très accessible : des adultes sous influence de l'alcool ne bénéficient plus de l'entièreté de leurs facultés cognitives. C'est cette accessibilité qui m'a séduit, et m'a poussé à signer le jeu. Il était en effet assez simple et accessible pour s'adresser à un public familial en éliminant l'aspect jeu à boire pour adultes. J'en ai discuté avec l'auteur et il était totalement en phase avec cette approche, qui ouvre un public plus large.

Ensuite est venue la réalisation. En visant un public familial, le thème et les illustrations deviennent très importants. J'ai préparé un brief graphique assez précis à base de bestioles des forêts, des petites boules de poils avec de grands yeux attendrissants. Ensuite j'ai discuté de cette approche avec quelques détaillants, distributeurs et autres professionnels du jeu pour valider l'approche.
Ensuite j'ai contacté Christine Deschamps et Maëva Da Silva, avec lesquelles j'avais envie de travailler depuis un moment. Je connaissais leurs autres travaux et je savais qu'elles pourraient sans problème créer des illustrations correspondant à mes attentes pour Hoarders.

Pour le format physique, il a directement découlé du canal de vente : Hoarders est un jeu calibré pour être vendu chez les détaillants. Comme expliqué dans mon précédent article, plusieurs canaux de ventes se sont développés dernièrement : Kickstarter, Amazon, ventes directes, spécialistes de la vente par correspondance, et les acteurs historiques que sont les distributeurs et détaillants spécialisés (les Ludicaires). Ces derniers jouent de plus en plus un rôle d'expert et de conseil auprès de leurs clients, ou plutôt ils l'ont toujours joué mais cet aspect est de plus en plus apprécié par leurs clients face à la multiplication des références disponibles. Pour toucher un large public familial, les ludicaires sont donc le meilleur canal possible. Ils sont comme tout le secteur submergés par la vague de nouveautés qui sortent, et pour sortir du lot il est nécessaire de bien calibrer le jeu pour optimiser son succès en boutiques. Tout ce qui rend le jeu plus facile à vendre qu'un autre augmente les chances que ce soit celui que le ludicaire recommande à ses clients.

Premièrement, la taille de la boîte, et le prix car ces deux notions sont étroitement liées. J'ai dans ma gamme Rumble in the House et Rumble in the Dungeon, deux petits jeux familiaux qui fonctionnent fort bien en boutiques et qui se vendent depuis plusieurs années, ma première idée était naturellement de créer une boîte dans le même format que Rumble pour Hoarders. Hoarders est plus simple à produire vu qu'il contient deux paquets de cartes et un pion en bois alors que Rumble contient 13 planches en carton prédécoupées, 12 pions de score, et 12 socles en plastique. Je peux donc vendre Hoarders moins cher, mais s'il est au même format que Rumble on se retrouve avec deux boîtes de taille identique à des prix différents. Ca serait un gros problème pour la majorité des ludicaires, se retrouvant à expliquer au client pourquoi une boîte à un prix différent de l'autre alors qu'elles semblent directement comparables.

J'ai donc décidé d'utiliser un format de boîte différent, plus petite. Pas trop petite quand même, car une toute petite boîte qui fait juste la taille des paquets de cartes contenus dans le jeu pose un double problème de visibilité en magasin, et de contrôle des pertes : une petite boîte doit être mise en vitrine ou dans une zone contrôlée pour éviter des vols en boutique. Du coup c'est moins facile/pratique à vendre, et donc moins attrayant comme produit pour le ludicaire.

Ensuite, la réalisation proprement dite. J'ai parlé déjà des illustrations et de la taille de boîte. Le jeu contient deux paquets de cartes, qui ont des fonctions différentes. J'ai donc utilisé des cartes de tailles différentes, qui facilitent l'explication et la prise en main du jeu : les petites cartes servent à ceci, les grandes cartes servent à cela. Un insert en carton permet de tout ranger dans l'ordre dans la boîte, et il est illustré et positionné pour que ce soit joli quand on l'ouvre.

La couverture, élément très important, a fait l'objet de plusieurs recherches graphiques, qui ont été proposées à un panel de détaillants, de distributeurs et de joueurs pour avoir leur retours et choisir la couverture la plus représentative de ce que le jeu propose et du public auquel il s'adresse.

Ces aspects doivent être soignés pour tous les jeux, mais pour un jeu destiné aux boutiques, ils sont encore plus importants. Le ludicaire agit lors de ses commandes en filtre, en arbitre parmi les innombrables références disponibles. Il va donc vouloir se concentrer sur les meilleurs produits du marché.

L'arrière de boîte a aussi été conçu spécifiquement pour les détaillants : il montre le matériel du jeu, et une explication extrêmement simple ( 1 - 2 - 3 ) du concept du jeu. En effet, en boutique le ludicaire est souvent amené à expliquer rapidement aux clients le jeu, son concept et son univers. Pour ce faire, il va systématiquement utiliser le dos de la boîte. Sur un petit jeu aussi simple, il est indispensable que ces éléments soient clairs et immédiats en voyant l'arrière de la boîte.

Le colisage aussi tient compte de la réalité des boutiques : un colis pourrait sans problème contenir 48 unités, mais quasiment aucun détaillant ne commande autant d'exemplaires d'un jeu à la fois. Les colis sont donc de 12 boîtes de jeu, qui correspondent à une commande d'implantation, généralement sur un mode 11+1 gratuit pour faire des démos en magasin (un autre aspect fondamental du canal distributeur/détaillant). Les commandes de réassort sont généralement plus petites, mais le distributeur assure un 'picking' et envoie à la demande le nombre d'exemplaires demandé pour les réassorts.

Le jeu sera présenté en quatre langues. Le Français et le Néerlandais (car les détaillants Belges suivant la région veulent l'une ou l'autre langue), ainsi que l'Allemand et l'Anglais. En effet les besoins des détaillants Allemands et Anglais sont similaires aux Français et Belges, il m'est donc possible de combiner les différentes langues pour un premier tirage. Seul compromis, le titre anglais a été retenu plutôt que de faire un titre par langue. En effet promouvoir quatre titres différents demande des ressources marketing que je ne peux pas me permettre, étant seul pour tout gérer. ( Pour rappel Flatlined Games est une microentreprise, que je gère sur les soirées et weekends en marge d'un boulot de jour comme consultant. )

D'autres canaux de ventes tels que Kickstarter ou la vente sur Internet auraient amené à des décision différentes et un positionnement différent. En tant qu'éditeur il devient à l'heure actuelle indispensable de tenir compte dès le début du processus éditorial des canaux de ventes qui seront utilisés. La promotion du jeu dépend aussi des canaux retenus, mais ce sera peut-être pour un autre article.

Voila, j'espère que ce coin du voile levé vous intéressera, et naturellement que votre ludicaire préféré vous proposera Hoarders dès sa sortie!

8 « J'aime »

Merci pour cet article !

1 « J'aime »

Intéressant de lire toute la réflexion en amont d’une parution.
Si je puis me permettre, en tant que ludothécaire en contact permanent avec un public familial, me semble tout de même que le choix d’un titre en anglais (surtout lorsqu’il n’est pas un mot courant du franglais, n’évoque rien à la plupart des gens au niveau d’anglais de base et est de plus difficilement prononçable) reste un écueil important pour le public visé en France et pour les ludicaires aussi. Perso, je ne savais pas ce que veut dire Hoarders avant de faire une recherche de trad et je crains de ne pas bien mémoriser ce titre du coup… Et je pense que ce sera pire pour le public.
Je comprends cependant bien la nécessité d’un titre identique pour plusieurs pays mais il me semble qu’un choix de titre totalement inventé ou d’un mot multilingue genre “collection”/“collecto” aurait été plus adapté pour la cible francophone.

3 « J'aime »

Je rejoins la remarque de Yandrev sur le choix du titre et je remarque aussi la ressemblance assez importante de la couverture du jeu avec un jeu qui va sortir bientôt, mais dans une plus grande boite, Grandbois, chez The Flyinggames.

1 « J'aime »

Belle analyse de notre métier de ludicaire. En effet nous croulons sous les nouveautés et tout montrer est devenu impossible. En effet nous réduisons nos commandes et nous sommes plus frileux car c’est nous qui prenons tous les risques vu qu’il n’y a aucun retour possible si le jeu ne se vend pas (cependant je ne sais pas de quand date vos recherches mais maintenant ce sont plus de squantités de 6 jeux que nous implantons, surtout quand il s’agit d’un jeu innatendu par les clients dans le sens où ils n’en ont jamais entendu parlé.
En effet nous utilisons le dos de la boite pour expliquer un jeu car il nous est impossible d’ouvrir toutes les boites que nous achetons (il faut aussi penser à la tranche d’ailleurs, j’apprécie quand je peux mettre le jeu sous n’importe quel angle une fois qu’il est rangé en tranche dans le magasin et que le titre se voit quand même)
Bref à part le titre en anglais qui va à l’encontre du positionnement familial (mais le dessin tout mignon efface cela) et la ressemblance relative avec Grand Bois qui va sortir (mais vous n’y êtes pour rien, c’est le hasard de la vie ludique, cela arrive fréquemment) votre article cible bien les contraintes de notre métier et nos attentes.
Bonne route à votre jeu !

1 « J'aime »

Article sympa, mais je pense quand même que c’est mieux avant tout de faire un jeu pour les joueurs et non pensé pour les boutiques…

Le jeu est pensé pour les joueurs, c’est sa présentation qui a été pensée pour les boutiques et si le jeu n’est pas en boutique les joueurs n’y auront pas accès. Je trouve pertinent de se poser la question, comment faire pour que mon jeu soit vendable en boutique ? On voit tellement de dos de boites inutilisables ou buggés lors de l’explication d’un jeu en magasin, tellement de format de boites mal pensé que ça fait quand même plaisir qu’un éditeur se pose ce genre de questions.

1 « J'aime »

Effectivemetn le jeu est d’office pensé pour les joueurs. Mais il faut tenir compte de la manière dont on veut qu’il les atteigne, sinon il est condamné à rester dans l’ombre :slight_smile:

Pour Grandbois, c’est effectivement unhasard. ceci étant dit les deux jeux sont fort différents, seul le thème les rapproche :slight_smile:

Il y a matière à un article complet rien que sur le sujet des titres :wink: Non seulement il faut pour une petite structure comme moi que le nom soit international, mais de plus il faut qu’il fonctionne facilement dans les moteurs de recherche. De plus il faut éviter l’écueil des jeux de mots vaseux (tout titre basé sur ‘nuts’ vire rapidement au calembour beauf’ en anglais.).