Go ! Go, GO, Gogol & Google - L'homme et la machine

D’aucun pensait que cela n’arriverait pas avant 10 ou 15 ans mais c’est peut-être maintenant. L’intelligence artificielle peut-elle battre un champion de Go ? Oui ! Répondent les concepteur d’AlphaGo, le logiciel qui a battu le champion européen Fan Hui en octobre 2015 par une jolie victoire de 5 parties à 0. Une belle branlée comme on dit plus communément.

Mais là des voix s’élèvent, et l’on remet de manière pas très sympathique le talent de notre champion en question. Il est vrai que la discipline du Go possède un vaste panel de compétences. Ce n’est pas du jeu disent donc certains spécialistes. Tâtez donc du vrai du champion, du coriace !

4cba9a54a2ff2dfce3fd894b33d7abf91359.jpe

Lee Sedol (Photo Baduk)

Rendez-vous est donc pris avec monsieur Lee Sedol en Corée du Sud. Si le français d’origine chinoise était un joueur 2d (non il n’est pas plat c’est un des grades des joueurs de Go : le dan), Lee Sedol est un 9d : le niveau le plus élevé du Go. Il est considéré par beaucoup comme un des meilleurs joueurs mondiaux et par lui-même comme le meilleur. Après tout, autant bien se servir soi-même ! Quoiqu'il en soit son talent n’est pas à démontrer. D’ailleurs, ce dernier a dit : « Je pense que je peux remporter une écrasante victoire, cette fois-ci du moins, mais si l’Intelligence Artificielle continue à progresser à ce rythme, je ne suis pas sûr de pouvoir gagner dans un an ou deux ».

Mais seulement cinq mois se sont écoulés et voilà que AlphaGo vient de battre Lee Sedol pour le premier match. Rien n’est encore joué mais c’est un signe fort ! Le verdict tombera dans les prochain jours.

7d646bc2925bfdfa980878448092a8a88ecd.jpe

Mais pourquoi le Go ? Dans l’histoire de l’Intelligence Artificielle, les hommes se sont donnés quelques repères et il est assez naturel que les résolutions de jeux de stratégie existants offrent des challenges parfaits. Et le Go est un des jeux qui possède à la fois deux caractéristiques géniales : simplicité des règles et nombre de possibilités de coups énormes.

Nombre de possibilités de quelques jeux classiques

  • Awele - 1012

  • Othello - 1028

  • Dames - 1030

  • Échecs - 1046

  • Shogi - 1071

  • Go - 10172

Énormes ? Ha oui ! 10172 exactement ! C’est donc tellement beaucoup que certains journalistes expliquent que cela est plus que le nombre d’atomes dans l’univers. C’est dire ! Ils oublient que ce calcul qui donne 1080 est une hypothèse qui ne prend en compte que l’univers « visible ». De toute façon ça veut dire que c’est vraiment vraiment très beaucoup.
Je vous ferai grâce de la longue discussion que nous avons eue à la rédaction pour savoir combien pouvait être ridicule ou pertinente la comparaison entre un ensemble connu et fini et un autre hypothétique et estimé. Vous n’aurez donc pas la comparaison en poils de fesses de bonobos car je me suis rendu compte suffisamment tôt de la supercherie de ce débat créé surtout comme une échappatoire à la comptabilité de Monsieur Phal. On ne m’y reprendra plus.

Monsieur Phal illustre ici le combat Homme/Machine avec un habile photomontage

Cette incartade pour introduire cet autre concept évoqué dans mon titre : le Gogol. Rien à voir ou presque avec Nicolas Gogol, le romancier russe, si ce n’est que le nom est rigolo à prononcer. C’est d’ailleurs pour cela que le Gogol porterait ce nom, donné par le neveu de l’américain Edward Kasner qui en a inventé le concept. Un Gogol c’est 10100. À quoi ça sert ? À pas grand chose en fait si ce n’est justement à définir quelque chose de très grand entre rien et l’infini. Une balise dans le vertige de l’abstraction. Et vous remarquerez que c’est un mot très proche de Google et vous aurez d’autant plus raison que la célèbre société se nomme ainsi à cause de ça. Le Gogol représentant l’énorme masse de données à traiter par le géant du Web. Oui tout ce tient !

Saviez-vous que : 10Gogol se nomme un Gogolplex et que ça ne sert vraiment à rien d’autre qu’à faire des "saviez-vous que".

Je digresse ? Du tout ! Le capitaine tient la barre d’une main de fer. C’est bien Google que l’on retrouve dans cette affaire puisqu’ils ont racheté la société DeepMind qui a créé AlphaGo.

Comment une machine peut devenir aussi vite championne de Go ? Dans les premiers temps, les IA n’étaient pas si malignes que ça. En fait elles étaient même très bourines. Un ordinateur est plus fort qu’un homme, autant qu’une calculatrice en fait. Notre cerveau, un outil généraliste, est capable de résoudre des millions de problèmes mais beaucoup sont dévoués à éviter de se cogner partout, ne pas oublier de respirer ou contrôler notre flore intestinale (même si des neurones ont été délégués dans notre système digestif). Alors rien d’aussi spécifique que l’algèbre qui va nous demander un peu plus de concentration que la normale alors que cet imbécile de computer n’a que ça à faire.

Les premières IA sont donc des brutes qui calculent toutes les possibilités beaucoup plus rapidement que nous.

Google annonce travailler sur des interfaces plus "humaines"

Le propre de l’homme est justement son adaptation et son système de classification des informations qui lui permet d’éviter de tout recompter et de reprendre tous les éléments un par un indistinctement. Nous privilégions un mode de réflexion qui ne s’encombre pas de détails inutiles.

Du coup, plus les jeux à résoudre offraient un nombre de coups importants, plus l’homme pouvait démontrer sa capacité de résolution supérieure à l’analyse brutale.

Dans une expérience dont j’ai oublié la source, des scientifiques ont posé comme question : « Quels sont les qualités pour être un bon joueur d’échec ? « . Une question posée à des quidams et des joueurs d’Échecs. Parmi les qualités exprimées, c’est la mémoire qui est venue en tête des réponses. Ni une ni deux, voilà que les chercheurs ont fait passer des tests de mémoire à plusieurs groupes dont des joueurs d’Échecs chevronnés. Le résultat a été très parlant : rien ! Les bons joueurs n’ont pas plus de mémoire que les mauvais.
Les chercheurs ont donc changé leur fusil d’épaule et se sont mis à l’observation. En étudiant les mouvements des yeux des joueurs, ils se sont rendus compte que les débutants examinaient chaque pièce tandis que les très bons joueurs avaient moins de mouvement oculaires car ils percevaient des groupes de pièces.
De fait les débutants agissent comme les ordinateurs sans IA en prenant en compte tous les coups possibles tandis que les meilleurs ont déjà fait un tri pour n’examiner que le nécessaire. Une capacité qui tient à la fois de l’expérience et de l’intelligence. Le même processus utilisé par AlphaGo.

Mais c’est fini ! Terminé ! Enfin presque… L’innovation de ces nouvelles IA est de copier notre fonctionnement en faisant des choix qui ne sont plus aussi systématiques. Pour cela on a utilisé des techniques de Deep Learning (deep structured learning, hierarchical learning ou apprentissage profond). Ce n’est pas nouveau puisqu’on y pensait déjà depuis les années 50 mais les technologies permettent désormais la mise en oeuvre des théories. Cela nous donne ce qu’on nomme des neurones artificiels. Oui nous sommes encore le modèle à suivre. Ouf !
Ça ne durera surement pas...

Ceci permet à la machine d’avoir sous le coude 30 millions de coups analysés sur des parties de Go jouées par des humains mais qui vont s’affiner au fur et à mesure du temps. Ce logiciel est bien capable d’apprendre, c’est pourquoi il s’améliore avec l’âge. D’ailleurs, il peut même s’améliorer seul grâce à l’expérience car en bonne machine célibataire, il joue régulièrement contre lui-même.

C’est dans les applications de reconnaissance visuelle que ces techniques de Deep Learning sont déjà utilisées couramment.

8f3c554e26d114f547671c848b7f30a764b2.jpe

Illustration gracieusement fournie par le service comptabilité de Flatprod

Ajoutons à cela l’apprentissage par renforcement. Encore un vieux truc théorisé dans les années 50 que l’on nommait alors processus de décision markovien et qui permet justement d’éviter de reprendre à zéro dans un raisonnement avec des choix à la fois meilleurs et plus restreints.

Les concepteurs d’AlphaGo admettaient qu’il n’aurait pas pu gagner contre Sedol il y a cinq mois. Aujourd’hui le maître s’est incliné devant la machine…

Et si vous trouvez les chiffres trop abstraits, sachez que si monsieur Sedol remporte ce défi, il gagnera 106 dollars. C’est à dire beaucoup moins que le nombre d’atomes dans l’univers visible et je ne sais pas combien en poils de Bonobos.

Les machines qui ont battu les hommes

  • 1988 - James Allen et Victor Allis démontrent mathématiquement la résolution du Puissance 4. Le premier à jouer gagne.
  • 1990 - Chinook se place deuxième aux championnats du monde de Dames
  • 1994 - Chinook bat le champion du monde Marion Tinsley. Ce dernier abandonne pour raison de santé...
  • 1996 - Deep Blue bat Garry Kasparov. Un bug aurait entraîné le sacrifice d'un pion qui aurait déstabilisé Garry.
  • 1997 - Logistello bat le champion du monde Takeshi Murakami à l'Othello. Le jeu n'est pas résolu à ce jour.
  • 2002 - Des chercheurs néerlandais résolvent l'Awele
  • 2007 - Chinook résout les Dames comme un jeu fini. En jouant de manière optimale le jeu se termine en partie nulle.
  • 2011 - IBM bat deux joueurs de Jeopardy (jeu américain de culture générale où il faut trouver une question d'après sa réponse)
  • 2015 - Le poker (mais sous sa forme Texas Hold'Em limit) est battu presque systématiquement. Pour le no limit c'est une autre paire de manche...
  • 2016 - Alphago sabre le champagne ????

Mise à jour du 16 mars 2016 : Alphago a remporté la victoire par 4 matchs contre 1.

46632c54adf901a667e6d115d9040d4bea93.jpe

Et personne pour parler du combat Bonobo/petite fille ?

29 « J'aime »

Super article !
Le joueur de backgammon que je suis a beaucoup apprécié ! Le backgammon, qui est un jeu de hasard raisonné n’aura donc pas ce problème.

Excellent! Voilà pourquoi TricTrac ça dépote: ces articles de fond, un pas légèrement en arrière avec une bonne lumière.

1 « J'aime »

Moi, ça m’étonne que Bolt ne mette que qq mètres à l’IA d’IBM, je demande un contrôle anti-dopage de l’IA.

Encore un régal d’article du Mops…comme d’habitude quoi.
N’empeche…tout artificiellement intelligents qu’ils soient, mon pote et moi on les prend quand vous voulez les Deep blue et Alphago au Time’s up…surtout à la 3ème phase.

1 « J'aime »

Tremble, joueur de Kubenbois, car l’IA aura raison de toi !
Oh, et ne ris pas, zazou de la Lidja, le bonobo t’en remontrera…

1 « J'aime »

Mr Mops ne s’appelle pas Docteur pour rien.
J’aurais pour ma part bien aime assité au débat sur la pertinence de la comparaison entre le connu et l’hypothétique.

1 « J'aime »

Le backgammon c’est plié depuis longtemps (plus de 10 ans).
Sinon ahma dans l’article il est regrettable de ne pas avoir mentionné que deux réseaux sont utilisés : un pour estimer les positions de jeu et un pour donner la liste des meilleurs coups possibles.
Enfin, je ne suis pas certain de comprendre le lien évoqué avec les MDP et l’apprentissage par renforcement.

Super article Mops mais tu aurais du attendre la conclusion de ce match en 5 parties… quoiqu’elle ne fasse plus de doute maintenant.

Quand on pense qu’il y a à peine 10 ans même un joueur moyen (du genre 10e kyu) pouvait battre n’importe quel logiciel…

Skynet c’est maintenant en fait ?

Pour chipoter :
Quelle est cette sombre histoire de pont levis (“des voies s’élèvent”) ?
Et puis, le chimpanzé est beau mais pas au point d’être nobo.

Excellent article.

Pour pousser un peu plus loin concernant les échecs, on pourrait malgré tout dire que la défaite aux échecs de 1997, si elle fut emblématique, n’était probablement pas si significative. Kasparov a joué très en dessous de son niveau, et la machine a perdu la première partie de manière pitoyable (enfin, j’aimerai déjà bien jouer comme ça). Bref, je pense qu’en 1997, la machine n’était pas encore devant l’humain aux échecs.

D’ailleurs les deux parties organisées entre Kramnik et la meilleure machine en 2002 et 2003 se sont soldées par la nulle (et Kasparov a également fait nulle de mémoire)…

Non, le vrai point final a été porté en 2006 quand Kramnik a perdu 2 à 4 contre Deep Fritz. Il s’est fait vraiment rouler dessus et là on a pu dire que c’était fini…

2 « J'aime »

D’ailleurs en 1997, IBM s’est dépêché de démonter la machine, ce qui a empêché tout match revanche :wink:

Merci Docteur Mops pour cet article.
A voir maintenant comment Google va jouer avec AlphaGo.
Et le grand débat : AlphaGo va-t-il racheter Google ou Google coupera l’alim avant ?

2 « J'aime »

Il est a noter que l’homme bat aisément l’ordinateur au trictrac :slight_smile:
(y a pas de logiciels en fait :))

On en est même à 2 - 0 pour la machine : AlphaGo’s ultimate challenge: a five-game match against the legendary Lee Sedol

3 « J'aime »

à quand un ordinateur qui bat l’homme au Mölky ?

2 « J'aime »

un plaisir à lire, merci pour l’article.

Il y aurait du challenge pour AlphaGo, le système de handicap au go (nombre de pierres d’avance) compense la différence de niveau sans altérer le jeu.
Je pense qu’AlphaGo peut déjà donner 2 pierres à Lee Sedol, mais jusqu’ou celà peut-il aller ?
A la lecture des 2 parties, on devine la force incroyable d’AlphaGo mais qu’en est-il vraiment ?
Par exemple, amener un programme de go à donner 4 pierres de handicap ou plus à un top pro, ça serait extraordinaire à voir et enrichissant pour le go. Malheureusement, Google s’arrêtera là et c’est dommage.

C’est vrai que vu les oreilles, c’est plutôt chimpanzé :wink:
Pas compris l’histoire des ponts levis…