Giulia Ghigini sur le divan avec Proust et Mops

[1969][Dungeon Fighter]

Giulia Ghigini, vous en avez surement déjà entendu parler car il me faut bien l’avouer, elle est pour de mystérieuses raisons, une des mes illustratrices ludiques préférées. C’est pour cela que j’ai décidé d’initier avec elle une série d’interviews dont la ligne directrice sera…

Je pense qu’on reparlera de la ligne directrice plus tard.

L’objectif ? Connaître un peu mieux, tourner autour du pot, parler de jeux et de je. On m’objectera que cela est juste du pipoligne ou du petit bout de la lorgnette. Disons que tant que nous sommes vivants, ce qui ne dure jamais, nous pouvons parler de nous. Non pas de moi ! De nous. De nous les gens qui faisons des choses. Pourquoi fait-on les choses ? Mieux encore : pourquoi ne les faisons nous pas. Grandes raisons venues du fond des âges, du doigt de dieu posé sur notre crâne inquiet, ou d’un vieux sous-vêtement sale oublié qu’un rayon de soleil vient nous reporter au regard … Qu’importe ! Petites histoires ou grands destins… Encore que grands destins… On se demande bien ce que vous foutez sur un site de jeux de société si vous êtes avides de grands destins.

En même temps, je connais quelques astuces pour relever le niveau du plus vil des articles. Vous ramenez quelques potes un peu connus recouverts d’alibi culturel et le tour est joué. Quand on parle orthographe, on convoque Pivot, quand on fait des interviews, on convoque Proust. Croyez-bien que si j’avais un buzzer et un pièce vide avec des questions qui s’affichent sur un écran, je n’hésiterais même pas une seconde putassier que je suis.

Pendant que Giulia s’allonge confortablement avec Marcel, quelques mots sur la gamine…

Giulia Ghigini est né en 1983 à Voghera, une petite ville proche de Milan. Ha si ! Milano ! Gran Milano où elle déménagera à l’âge de 14 ans en quittant brouillard et humidité pour bruit de klaxons et hurlements de fêtards. Là-bas, elle suit des études artistiques dans deux écoles. À l’institut Européen de Design, elle étudie l’animation et l’illustration. En gros, elle se fait moyennement chier. Ce qui l’a fait avancer c’est de bosser dans son coin, d’utiliser des tutoriaux sur le Net et, quand même, de travailler avec quelques amis.

Sortie de l’école, elle bosse dans le domaine de l’animation. La classique et la flash.

Ça c’est fait. Elle décide donc de partir faire fortune au Canada. Sur place elle trouve plein de choses mais pas la fortune. Par contre elle trouve un job de lave-vaisselle dans un resto qui colle vraiment très fort. Elle gardera de cette année canadienne beaucoup de bons souvenirs et surtout la sensation de n’avoir jamais autant appris. Et je ne parle pas que du côté de l’éponge qui gratte !

Retour en Italie, où elle bosse seule mais cette fois uniquement dans l’illustration. D’après elle, le milieu de l’animation n’en a pas trop souffert. Quand elle n’illustre pas les jeux de chez Cranio ou Letheia, elle bosse pour l’édition livre, la pub et les graphiques pour tisheurtes. Autant vous dire que pour la trainer sur le divan de Tric Trac avec Marcel ce n’était pas gagné d’avance. Nous l’en remercions d’autant plus.

On y va ?

- Bonjour Giulia vous voulez vous marier avec moi ?
- Hahahaha ! J’ai l’impression qu’un mariage à l’aveugle pourrait donner une émotion particulière mais je dois refuser votre votre proposition car mon compagnon risquerait de me tuer et de bruler ma maison avant que nous arrivions à l’autel.
- Oui c’est vrai… Les italiens… Laissez tomber je demande ça à tout le monde de toute façon !

- Racontez donc un peu comment a commencé votre collaboration avec l’éditeur Cranio ?
- J’ai commencé à travailler avec l’équipe de Cranio car, à ma connaissance, à ce moment j’étais la seule illustratrice qu’ils connaissaient. J’ai connu Lorenzo au lycée et tandis que je faisais mes études d’art, il semblait avoir une étrange attirance pour mes dessins et croquis (et pourtant beaucoup étaient irregardables)
Quand ils ont monté le projet “Horse Fever”, ils m’ont demandé si je voulais bien l’illustrer. J’ai accepté pour voir ce qui pourrait sortir de cela d’autant qu’il y avait une tonne de personnages des années 30.

- Comment définiriez-vous votre univers personnel ?
- Un peu misérable, un peu criblé et cela sous diverses formes et déclinaisons. Je suis fascinée par la réalité, le terre à terre, par l’ironie de la vie dans les histoires réelles. Il y a des moments de splendeurs et des moments de chutes et des personnes et des lieux viennent habiter cela. Même des animaux parfois. Ainsi, ce sont les choses de la vie réelle que j’observe et que j’aurais tendance à intégrer dans ce que je fais même s’il en ressort un caractère irréel. J’ai besoin de ce sentiment de réalité, de vulnérabilité et d’humanité.

- On a vu de très grandes différences de styles suivant les jeux que vous illustriez. Êtes-vous protéiforme ou était-ce des explorations temporaires ?
- Oh non ! Les choses peuvent apparaître ainsi poétiquement mais ce n’est pas le cas. Les graphismes ludiques doivent répondre à une cohérence avec le jeu et rehausser la saveur des parties. Cela dépend aussi des désirs de l’auteur au sujet de ses projets surtout s’il a une idée déjà forte. Le rôle du directeur artistique est primordial, c’est lui qui articule la partie visuelle avec tous le reste. Celui-ci connait tout du projet, il dresse les lignes directrices et permet de comprendre comment s’installer dans le projet et pourquoi. C’est vraiment un travail important et dans le cas de Cranio je suis très heureuse d’avoir pu collaborer avec Silva.

- Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?
- Je travaille actuellement sur une extension pour “Dungeon Fighter”, une publicité pour une automobile et pleins d’autres choses beaucoup plus ennuyeuses.

- Comment expliquez-vous que malgré les pots de vin et les menaces Cranio ne vous emmène jamais sur les salons pour dédicacer ?
- Hahahaha ! Je sais !… Pour être plus juste, je suis allée à Essen et Lucca en 2009. J’irais peut-être encore cette année mais cela va dépendre de la quantité de travail que j’aurais à ce moment là. Et puis pour être honnête je suis un petit rat qui ne sort pas beaucoup. Je ne suis pas à l’aise sur les salons, les lumières, les bruits, faire des dessins pour plein de gens… Mais je réessayerais. Après tout ce n’était pas si mal que ça … C’est juste l’idée qui me donne des frissons.

- Quelles sont d’après vous les difficultés inhérentes à l’illustration de jeux par rapport à l’édition livre ?
- Fondamentalement le travail est assez similaire. À chaque fois que vous travaillez pour quelqu’un d’autre il faut comprendre ce qu’il veut pour pouvoir le retranscrire sur papier (du mieux qu’on le peut). Je dirais que la difficulté spécifique de travailler sur des jeux est due à la variété des composants. Le jeu est un projet plus complexe.
Chaque pièce doit pouvoir exister seule mais aussi avec les autres. Dans les jeux je ne travaille pas seulement sur les illustrations mais aussi sur les graphismes.
C’est donc plus exigeant que de travailler sur une couverture de livre ou une illustration mais ce n’est pas une mauvaise chose. J’aime bien cet aspect du travail. Le jeu donne une impression de complétude. Oh ! Non attendez ! Je viens d’avoir à l’esprit la principale difficulté ! Je déteste toutes les multiples petites pièces d’un punchboard !

- Êtes-vous joueuse vous-même et si oui à quoi aimez-vous jouer ?
- Je n’ai jamais joué de ma vie sauf au jeu de l’oie ou au monopoly quand j’étais petite. Quoiqu’il en soit, en répondant à cette question je me sens un peu honteuse. Bon… juste un petit peu…
- Au risque de passer pour un vilain bonhomme (ce qui est déjà fait en France) je trouve que votre travail sur le 1969 est en dessous de ce que vous faites d’habitude. C’est le thème qui ne vous a pas inspiré ?
- Hahahaha ! Non vous avez raison. Cela est du un concours de circonstances malheureuses. Au début, le projet était différent et inspiré des images des affiches de propagande Russe. Après un moment le concept a radicalement changé. Il aurait peut-être fallu trouver quelqu’un de plus approprié mais j’ai néanmoins achevé le projet. J’était effectivement moins à l’aise. Pas la peine d’être ingénieur aéronautique pour illustrer ce jeu mais c’est mieux d’avoir un peu le goût et la culture qui vont avec le sujet.

- Quel style d’univers aimeriez-vous illustrer pour un jeu ?
- Définitivement je préfère travailler sur des sujets humoristiques et décalés avec si possible de la conception de personnages. En fait, il est stimulant de travailler sur quelque chose que vous n’auriez pas été cherché vous-même. C’est rafraichissant. J’ai bien entendu mes propres préférences mais c’est sain d’éviter de s’enfermer dans ses inclinations personnelles encore et encore.

- Quelle est votre formation ?
- J’ai fait une école d’art et ensuite j’ai étudié l’illustration et l’animation à l’Institut Européen de Design. J’ai d’abord travaillé dans le secteur de l’animation avant de me consacrer exclusivement à l’illustration. (j’étais une animatrice bancale)

- Que vouliez-vous faire quand vous étiez petite ?
- Vétérinaire ! Après j’ai appris que pour ça il fallait faire beaucoup d’études alors j’ai immédiatement abandonné l’idée !

- Quel est votre faiseur d’images préféré ?
- Un seul. C’est très difficile de répondre… Mmm ! Peut-être Jose Guadalupe Posada.

- Quel est votre plat préféré ?
- Des poissons frits… ou des cèpes. N’importe quoi avec des cèpes !

- Écoutez-vous de la musique en travaillant et si oui laquelle ?
- Je le faisais et cela m’arrive encore mais à moins d’écouter un album complet, ça change toutes les cinq minutes et alors il faut se décider pour savoir quoi écouter ensuite. C’est une terrible perte de temps. À la place je travaille en écoutant constamment des séries télévisées ou des documentaires.

Bon Marcel… Elle est à toi !

- Quelle est votre vertu préférée ?
- La mienne ? Peut-être la persévérance

- La qualité que vous préférez chez un être humain ?
- Le courage et l’honnêteté. Ou peut-être le courage de l’honnêteté et aussi l’ironie.

- Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?
- Avec un ami on partage les joies et les peines, les rires sur nos soucis et on se soutient mutuellement.

- Votre principal défaut ?
- Je suis trop critique et trop anxieuse.

- Votre occupation préférée ?
- Le dessin, le modelage de petits personnages et rater de petites choses en argile et papier mâché.

- Votre rêve de bonheur ?
- Un intérieur calme, un chien, un couple d’âne, mon copain, mes amis et créer des belles choses.

- Votre plus grande misère ?
- Mon idée de la misère serait de ne plus avoir ni intérêts ni passions.

- Ce que vous voudriez être ?
- Un inventeur.

- Le pays où vous aimeriez vivre ?
- En Alaska, au Canada ou en Sibérie. De vastes territoires nordiques sans personne autour… Seulement les ours, les orignaux, la nature et la faune.
Bon c’est ce qui est dans ma tête mais en réalité les températures glaciales ne me permettraient pas de faire un seul pas là-bas.

- Votre couleur préférée ?
- Le noir. Qui apparemment n’est pas une couleur mais comme on peut le voir, on peut le nommer et qu’on peut acheter des choses noires; je dis que s’en est une. Mais si ce n’est pas une réponse valide alors grenat, un genre de bordeaux mais différent. Je n’ai pas de fleur favorite mais j’ai récemment vécu une l’excitation de la floraison d’une patate douce.

- L’animal que vous préférez ?
- L’âne.

- Vos auteurs de prose favoris ?
- Je ferais bien semblant d’être une personne cultivée mais ce n’est pas si facile que ça. Les seuls livres que je lis sont des bandes-dessinées. Je dirais Francesco Tullio Altan, the master and Gipi.

- Vos poètes préférés ?
- Hahahaha ! Ok. Maintenant je suis bien certaine que vous me surestimez !

- Vos héros de fiction ?
- Finn and Jake des Adventure time with Finn and Jake. Un cartoon exquis.

- Vos peintres préférés ?
- Caravaggio, Hopper and Michael Sowa.

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- Vos héros réels ?
- Voilà ce qui vient juste de me revenir à l’esprit. C’était en 1981. Un jeune garçon de 6 ans est tombé dans un puits de mine. Il se trouvait à près de 35 mètres sous terre. Les équipes de secours et les spéléologues tentèrent diverses solutions de sauvetages mais aucune n’a fonctionné. De plus l’enfant c’est encore enfoncé plus profondément. Après plus d’une journée de tentatives désespérées, ils ont décidé de sélectionner des hommes minces pour pour pouvoir descendre dans ce puit de 25 cm de diamètre. L’un d’eux se nommait Angelo Licheri. Un petit homme sarde trentenaire. Il fut descendu la tête la première dans le trou attaché à des cordes. Il a réussi à atteindre le garçon mais celui-ci était bloqué et enlisé dans la boue. Il a tenté de le sortir de là pendant 45 minutes alors qu’on lui avait donné une limite de 20. Quand il est remonté, il avait des blessures sur tout le corps. Trente ans plus tard, lors d’une interview sur ce sujet très connu en Italie, le petit homme pleurait encore. Si je dois penser à un héros, c’est à lui que je pense. À lui et tous les inconnus qui lui ressemblent.

- Vos noms favoris ?
- Attila et Néron ! Non je plaisante… Je n’ai pas d’idée sur les noms traditionnels. Quand vous êtes jeunes certains vous paraissent juste vieux et ringards.

- Ce que vous détestez par dessus tout ?
- La prétention dans tous ses aspects. Et la cruauté.

- Le don que vous aimeriez avoir ?
- J’aimerais chuchoter aux animaux.

- Comment voulez-vous mourir ?
- Sauter d’un endroit vraiment très haut.

- Votre état d’esprit actuel ?
- Déjà fatigué de moi-même. Répondre à des questions sur moi ne me parait pas du tout naturel !

- La faute qui vous inspire le plus d’indulgence ?
- La naïveté.

- Votre devise ?
- LA VIE EST DOULEUR.

- Votre Docteur Mops préféré ?
- Quelle question ! Mais vous !

- Et pour terminer en beauté : le mot qui vous fait rire ?
- Ne laisse jamais le cochon avec les pastèques. Et c’est de la plus pure sagesse populaire.
- Vous dîtes ça pour moi ? Hein ? Hein ? Giulia ! Revenez !

► L’ultrabook de Giulia Ghigini

► Retrouvez les jeux qu’elle a illustré sur sa fiche auteur de Tric Trac

22 « J'aime »

très sympa !

J'aime. Tout.

+1, j'adore :) Merci Docteur Mops !!!

C'est bien Tric Trac hein? Pas vrai?

3 « J'aime »

Comme c'est rafraîchissant ! En plus d'être intéressant et drôle ! Merci Dr Mops !!

Très intéressant

Merci

Bravo Docteur ! Une fort belle investigation : merci ! :)

Grand

clap clap clap

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Elle a plombé ma journée avec son histoire de héros...

très sympa ce genre d'article. Bien joué la première question :)

Une fois de plus Docteur, vous nous régalez avec vos idées, votre audace et votre plume.

Merci, ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un article sur Trictrac en entier.

2 « J'aime »

Merci dr pour cette entrevue !

Tout simplement : MERCI !!

Excellent article et très belle initiative. Il y en aura d'autres ?

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@BatisteC Oui bien sûr. C'est le début d'une série mais ne vous attendez pas à en voir toutes les semaines. Je n'ai certes pas commencé par le plus simple puisque Madame Giulia est débordée, n'aime pas parler d'elle-même et ne parle pas français ^^ Mais je tenais à ce que ce soit-elle qui inaugure cette série. Je ne connais pas encore la personnalité du prochain interview, j'attends que les esprits des anciens me guident dans mon choix...

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L'histoire en du puit et du garçon est plus détaillée ici :http://fr.wikitranslation.com/en/Alfredo_Rampi

Et en effet c'est triste et héroique...