Femme et jeux de société
Dans le tout dernier épisode de Proxi-Jeux, le thème était “la place de la femme aujourd’hui dans le monde du jeu de société”… Autant vous dire que j’avais des tas de choses à raconter. Mais en même temps, la crainte de tomber dans les poncifs ou les stéréotypes liés à ce type de débat - surtout investi le temps d’une chronique - m’inquiétait profondément. J’ai déjà eu une discussion que je qualifierai de houleuse sur le sujet. Il est difficile pour des francophones de se figurer la société japonaise et son fonctionnement à distance. Surtout lorsque l’on ne connaît le Japon qu’à travers un voyage touristique de quelques jours ou le plaisir pris à jouer Love Letter. Et il est tout aussi difficile d’en parler d’expérience sans omettre les informations les plus fondamentales…
Le Japon, pour simplifier et résumer, a développé un univers ludique concentré sur les hommes, généralement célibataires et peu enclins à s’entourer de filles ou de femmes. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie sur ma chronique publiée dans le premier épisode du numéro 56 du podcast Proxi-Jeux.
Precure et compagnie !
Ce dont je voulais parler, pour rebondir suite à cette chronique, c’est des jeux aux thématiques douteuses dont je ne cesse d’espérer qu’un jour elles disparaîtront. Pour illustrer ma révolte - calme comme le vent qui souffle dans un paysage de Hiroshige - j’ai décidé de vous parler de deux jeux…
L’un était disponible au Game Market de Tokyo qui a eu lieu le 1er juin de cette année et l’autre a été annoncé pour le 25 juillet ! La création japonaise fait parler d’elle depuis désormais deux ou trois ans et il n’y a aucun doute, c’est Love Letter qui a lancé cette vague de jeux à deux sous qui valent leur pesant d’or. Sail to India, Lost Legacy, Card of the Dead, Minivilles, bientôt X-ing ou Dungeon of Mandom… c’est une déferlante de jeux japonais qui envahit les magasins en dur ou en E-matière.
Pourtant, il y a tout un pan de la création qui reste dans l’ombre pour les Européens et j’ai envie de dire : tant mieux. Comme je l’ai expliqué dans ma chronique audio, une grande partie des joueurs japonais (et je fais l’impasse sur les joueuses exprès) aiment, que dis-je, adorent, vénèrent les objets ludiques aux allures dénudées…
En Allemagne, le merveilleusement idiot Busen Memo a plus d’une fois fait parler de lui, mais ici, les jeux du genre graveleux proposent des paquets de cartes où les illustrations prennent sans aucun doute le pas sur la mécanique en exposant des corps jeunes, sinon très jeunes, dans des tenues qui choqueraient n’importe quel papa. Bon, en même temps, au pays des “Precure”, où on apprend aux toutes petites filles à gagner des points en portant des vêtements courts ou laissant entrevoir, le sourire aux lèvres, des fantasmes pour pédophiles couverts par la loi, on peut se dire que finalement, tout cela est normal.
Malheureusement, pour tout papa qui passe le plus clair de son temps libre à s’amuser avec sa fille aux jeux Haba, Selecta ou aux folies ludiques des Fraga, vivre dans ce contexte est tout aussi inquiétant que mes névroses sont nombreuses. Les univers du type Precure sont partout au Japon et lutter contre demande une vigilance de tous les instants. Je n’accorde d’ailleurs pas beaucoup plus de foi aux sucreries de Walt Disney, soit dit entre nous… Let it go, let it go! (Avec l’eau du bain, oui !)
Réacs OP
Et puis, parce qu’on ne peut pas nier l’actualité japonaise lorsque l’on parle d’un sujet tel que celui-là, sachez simplement que le Japon est encore entaché par les polémiques de ses hommes politiques, aussi réactionnaires que conduits par des discours indigents… Il y a à peine quelques jours, un coup d’éclat a été médiatisé suite aux remarques lancées par quelques couards sexistes lors d’une discussion sur les difficultés que rencontrent les femmes japonaises à concilier vie professionnelle et vie de mère. Parmi les délicates fulgurances : “Tu fais partie de celles qui devraient se marier le plus vite possible” ou encore “Tu n’es même pas capable d’avoir des enfants !”.
Et là où je me détache de ce que rapporte Hélène Guinhut, la journaliste de Elle, c’est que non, cette histoire n’a pas révolté les Japonais. Encore une preuve que, encore trop souvent, les journalistes semblent ne pas pouvoir s’empêcher d’appliquer leur propre réaction, culturellement marquée, à celle d’un pays bien éloigné encore de leurs dynamiques sociales. Non, les mentalités n’évolueront pas à cause de ce coup d’artifice purement sexiste.
Au contraire, le débat qu’a lancé Ayaka Shiomura restera dans l’ombre de la polémique et ça arrangera bien les partisans d’Abe, de Masuzoe (le gouverneur de Tokyo, l’un des pires personnages qu’on puisse imaginer. Il avait notamment expliqué aux médias que les femmes ne pouvaient pas entrer en politique parce que, selon lui, “les menstruations empêchent les femmes de prendre des décisions importantes”) et les autres grabataires façon teishukanpaku, parce qu’ils ne se cachent pas de dire et répéter que la femme n’a pas sa place dans la société professionnelle des hommes.
Une femme doit être à la maison à s’occuper des enfants, à préparer le déjeuner de son mari et disparaître entièrement du monde public.
Quand un tel environnement n’interroge qu’une infime partie de la population et les médias, qui se régalent d’un scandale qui leur donne de l’entertainment pour pas cher, il ne faut pas s’étonner que les femmes soient si mal traitées dans la création ludique. Même si les enjeux sont sans doute moindre, ça n’en reste pas moins un signe de plus, un affront de plus.
Allez, c’est parti pour deux présentations effarantes :
Petite culotte entre copains
Les 5 raisons pour lesquelles elle a choisi ces sous-vêtements !
Le principe du jeu est on ne peut plus simple. Certains joueurs vont essayer de deviner quels sous-vêtements a choisi le joueur qui incarne la jeune fille invitée à un rendez-vous.
On choisit la “petite amie” et les autres
joueurs incarnent tous le “petit ami”.
Les “petits amis”, tous pour un et un pour tous, vont recevoir une des 5 cartes qui permettent de définir l’ambiance du rendez-vous : quel type d’homme êtes-vous ? Dans quel lieu proposez-vous d’aller ?, etc. Une fois que chacun a écrit à l’abri des regards indiscrets ce qui lui vient à l’esprit, tous les “petits amis” découvrent leur réponse.
Quel genre d’homme ? Où ?
Le joueur, ou la joueuse mais je crains que les filles ne soient pas de la partie (!), qui incarne la “petite amie” va alors composer 4 tenues légères différentes en essayant de coller au mieux aux réponses qui ont été données… Une fois les combinaisons réalisées, la “petite amie” les découvre aux “petits amis”. A eux désormais de trouver la tenue sélectionnée…
Je me demande si ça marcherait pour
un rendez-vous chez un psychiatre ?
La note de musique, ça doit être le bruit
que font les hormones des garçons solitaires.
Et voilà ! Rien de plus, rien de moins. Non seulement, le thème est douteux mais en plus la mécanique n’a aucun intérêt en soi. 4 propositions, choisissez au hasard… Voilà une idée de mécanique ludique géniale !
Ah, j’oubliais de préciser que le joueur avec le plus de points à la fin l’emporte. Le jeu. Parce que la nuit, évidemment, se finira comme chaque soir, chez papa et maman en solitaire. Nom d’un fondement appâté ! Alors, bon, pour ceux qui vraiment trouvent qu’il y a là de quoi s’éclater pour les 5 prochaines années avec un jeu super original et magnifiquement produit, sachez que ça ne vous coûtera que 3800 yens. Oui, une bagatelle. Allez, une ou deux images pour vous montrer le matériel.
Le matériel.
Un peu plus de matériel.
Et le plus drôle dans cette histoire, c’est que j’ai découvert le jeu par le plus grand des hasards. En fait, et ça risque de briser un peu le mythe pour un auteur qui a créé un jeu appelé Love Letter, j’ai remarqué le jeu dans les mains de Seiji Kanai à la clôture du Game Market. En lisant le titre, je croyais avoir rêvé mais non. Le jeu existe. Il est même vendu ! Mais attendez, il y a bien pire. Vous allez voir. Et encore, je vous passerai les illustrations à tendance pédophile de certains jeux… Non, en fait non. Aujourd’hui, ça va piquer.
Un soutien-gorge, avec votre jeu ?
Zombie, une joueuse, sur Twitter :
エロゲ特典にブラジャー付けるとか、いよいよ本当にあの業界頭おかしい En cadeau avec ce jeu érotique, un soutien-gorge… Ce monde est décidément bizarre.
Plutôt que de vous parler précisément du jeu et de son immatérialité mécanique, je vais juste mettre deux illustrations, ça devrait suffire. En plus, ça ne coûte que 8800 yens ! Franchement, vous imaginez ? Le plus triste, c’est les commentaires qu’a engendrée cette annonce. La catchphrase du jeu, c’est “imaginez-vous (les garçons) jouant les petites amies idéales”… Ce sera aussi un jeu vidéo, au passage. J’oubliais l’essentiel : vous aurez le choix entre plusieurs modèles. Faut pas déconner quand même.
Oui, vous ne rêvez pas. Oui, je sais, ça pique au moral.
On pourra peut-être me rétorquer qu’on est là dans la différence culturelle et qu’il ne faut s’emporter ou voir le mal partout. Mais en réalité, après en avoir discuté avec ma chère et tendre, bien qu’elle soit une joueuse tout comme je suis joueur, pas question pour elle de circuler dans les allées encombrées du Game Market. Et il en est de même pour nombre de mes amies joueuses.
Pour celui qui en est conscient, le Game Market a des zones d’ombre qui font parfois froid dans le dos. Pour l’illustrer, je vous montrerai une illustration. Je l’ai montrée. Plusieurs fois. Et les réactions ont été violentes. C’est moi qui voit le mal là où il n’y en a pas ?
Alors, toujours envie de jouer aux jeux japonais ?
On est à la limite de la pédophilie qui, je le rappelle, est autorisée dans le monde de l’animation au Japon. La possession de “produits” ouvertement pédophiles, hors animation, l’était encore il y a à peine deux semaines. Le Japon aura attendu 2014 pour interdire cette pratique. Et comme pour la loi contre les stalkers, à l’origine de nombre de tragédies ici, le gouvernement japonais se montre frileux à l’idée d’aborder ces problématiques essentielles.
Le jeu de base, Heart of Crown, un jeu de deck-building au demeurant très bon et présent à Essen l’année dernière via Japon Brand, proposait des illustrations inspirées elles aussi du monde de l’animation mais à aucun moment ne tombait dans ce glauque effrayant. Je compte bien poser la question à l’auteur du pourquoi, enfin, que diable ?
Ces jeux ne représentent évidemment pas la majorité des jeux produits au Japon, mais leur nombre est indéniable et c’est pour ces jeux que les files d’attente sont les plus longues. Files d’attente que j’évite religieusement, même si Jésus, a.k.a le Christ n’a rien à voir là-dedans.
Izobretenik