Une espèce de genre d'édito.
Dans le dernier numéro du magazine Plato, le 52, il y a un petit article intitulé « Essen, France », écrit par Vincent Bonnard et Damien André. L’idée, si j’ai bien compris, était de voir la perception que l’on peut avoir du salon le plus important de l’année, en tout cas en Europe, depuis son canapé. En gros, et en résumé, la question posée au départ est « Peut-on suivre le salon et son actu folle à distance ? » avec les questions sous-jacentes « est-il réellement utile d’y aller finalement » et « Trop d’infos, ne serait-il pas... trop d’infos ? ». De putains de bonnes questions, je vous remercie de les poser.
Les premiers chapitres nous expliquent comment c’était avant et comment c’est maintenant. Schématiquement, disons début des années 2000, on ne savait pas grand-chose sur les sorties avant le salon, donc il fallait se déplacer pour découvrir, jouer et faire de bonnes affaires. Alors que maintenant, on sait tout 1 mois avant l’ouverture des portes, il n’y a plus assez de place pour jouer confortablement, et les bonnes affaires peuvent se faire livrer directement à votre domicile grâce aux précommandes et autres réservations. Une analyse somme tout assez juste, et que nous validons sans problème, vous verrez pourquoi par la suite. Du coup, la question se pose, est-ce utile d’y aller ? Finalement. Oui, mais l’ambiance, bonhomme, le buzz, la folie sur place, qu’est ce que tu en fais ? Bonhomme !
Si on décide de faire l’impasse sur un voyage qui coûte, en énergie et en €uros, comment fait-on pour suivre l’événement à distance, depuis son canapé ?
Les chapitres suivants dressent un portrait des moyens mis en place pour suivre la folie d’Essen. Moyen le plus souvent couplé à Internet, car pour suivre à distance, avant, pendant et après, au plus près de l’actu, au cœur de la masse d’infos quasi en mouvement permanent, il n’y a actuellement que le web. Amateur et professionnel. En léger différé et en live. La TTTeam, en professionnel qui se respecte et en amateur de la chose ludique, y était. Forcément. Pour la dixième année consécutive. 10 ans déjà. Le magazine ne manque pas de souligner notre présence. Et c’est là que les rédacteurs se posent des questions, et ce sont ces questions qui m’ont donné envie de réagir.
Ils comparent notre dispositif et celui du site américain BoardgamesGeek (BGG). Trouvant que BGG « supplantait » la concurrence dans tous les domaines, assurant même que nous avions un « temps de retard significatif ». Ils écrivent « Le site français semblait avoir délaissé la possibilité de couvrir les choses de manières précises, comme il l’avait pourtant fait à cannes cette année. ». Suit une série de questions. « Problème logistique ? ». « Questions de moyen ? ». « Une manière de ne pas suivre et de penser avec un coup d’avance ? ». Ça tombe bien, j’ai les réponses.
Il est vrai que nous avons apporté moins de moyens que BGG. C’est un fait. Mais, étonnamment sans doute pour certains, c’était une volonté. Non pas de faire moins que les Américains, car peut nous importe leurs moyens, et si nous voulions nous aurons les mêmes, voire plus, car notre équipement vidéo est bien supérieur. En gros, s’il fallait comparer nos « kikis », nous pouvons aligner 8 caméras HD en live quand ils sont limités à 3 ou 4. Houais Madame. Comme disait le poète « les Américains n’ont peur de rien. Les Américains ains... », nous non plus. Mais est-ce vraiment intéressant ? Est-ce que tout cela en vaut le coût ?
Le premier constat, relevé dans l’article car nous l’avons dit, c’est que Tric Trac n’a pas fait moins que l’année dernière, ni moins que les années précédentes d’ailleurs. Non. J’irais plus loin en disant que nous n’avons jamais fait autant sur Essen. Eh oui.
L’un des changements majeurs du secteur, c’est la profusion des jeux édités en français. En édition de base, ou en traduction. La spécificité du cru 2012 tient dans le fait qu’un grand nombre d’éditeurs est venu nous voir, bien avant Essen, pour faire des TiTiTiVi. Vidéos que nous avons mis à disposition du public à raison de 2 ou 3 épisodes par jours juste avant l’ouverture du salon. Du coup, nous avions déjà couvert une belle partie des nouveautés importantes.
De plus, nous n’avons pas « délaissé » le « live » puisque nous n’en avons jamais fait à Essen. Nous avons une autre approche de l’événement. Nous aimons nous promener, arpenter les allées, respirer les tables. Nous adorons improviser, parler avec les gens, trouver des angles… Et tourner à l’arrache. C’est une autre école, un autre exercice.
Contrairement à BGG, nous avons la chance d’avoir les acteurs majeurs, et mineurs, du secteur quasi à domicile. Toute l’année. Quel serait notre intérêt d’avoir un espace pour les recevoir alors qu’on est mieux chez nous ? Aucun. Sachant que pour la plupart des grosses sorties, nous avions déjà les vidéos ou nous allions les avoir. Mais pourquoi le « Live » à Cannes alors ? Le propos n’est pas le même. À Cannes nous ne courons pas après les nouveautés. À Cannes, nous donnons au public l’occasion de nous voir au travail. On fait nos vedettes. Assurément.
La question du « Live » vidéo est une question intéressante. Si on regarde les stats des vues des « live » de BGG, vu la taille de leur public, on peut se demander si cette débauche d’énergie et de $ (ils viennent de loin et sont très nombreux) vaut vraiment le coup. Le nombre d’affichages direct de Ustream est passé sur les 5 jours de 153 000 l’année dernière (c’était leur première) à 97 500. Il y a une chute. Pourquoi, comment ? Ce sont des questions à se poser. En tout cas, en tant que fabriquant de contenus, ces questions, nous nous les posons. Forcément. Quand on regarde les affichages sur YouTube pour les vidéos mises en VOD après l’événement, on s’aperçoit que ça ne fait pas beaucoup de vues, vraiment pas beaucoup. La moyenne pour chaque vidéo tourne autour de 300 vues. C’est peu. Alors le problème ne vient peut-être pas du concept « Live » mais d’ailleurs. Mais c’est une autre sujet.
Nous, nous avons fait le choix de ne pas faire de « Live ». Nous avons fait le choix de couvrir l’événement en essayent de placer notre curseur entre le plaisir que nous prenons à faire des choses et le plaisir que peuvent avoir les gens à nous suivre, avec juste ce qu’il faut d’informations et de déconnes dedans. Parce que l’analyse que nous avons eue est en partie dans cette question des rédacteurs « Une manière de ne pas suivre et de penser avec un coup d’avance ? ». Oui. Certainement de peut-être. Nous sommes comme ça chez Tric Trac. Un coup d’avance. C’est à ça que l’on doit reconnaitre les « joueurs ». Une analyse qui se rapproche, et c’est amusant qu’ils n’aient pas fait le lien, avec la conclusion de leur article, vous verrez pourquoi par la suite..
Quoi qu’il en soit, Vincent Bonnard et Damien André étaient à des centaines de kilomètres d’Essen, et ils ont réussi, à travers les vidéos, les comptes-rendus quotidiens, à sentir l’ambiance du salon sans y être. Et on revient à la question « est-ce utile d’y aller ? ». Finalement. Oui, mais c’est là, bonhomme, que l’on entre dans le paradoxal. Celui qui fait peur. Celui qui donne le vertige.
Si le constat est qu’il ne sert à rien d’y aller et que, du coup, plus personne n’y va, comment fait-on pour suivre la chose de son canapé ? Car en effet, pour alimenter tout cela, il faut que des gens se dévouent, aillent sur place, en direct, fassent des photos, jouent, discutent… Or, donc, qui va se sacrifier ? Qui ne va plus y aller ? Les « médias » ne peuvent faire l’impasse, car si vous n’y allez pas, c’est un autre qui ira à votre place ! Zut. Et si les joueurs n’y vont pas parce que ça ne sert à rien, on peut se poser la question sur l’intérêt d’un salon public ? Zut de mince. Complexe. Perturbant. Vertigineux.
C’est à ce moment-là que le fond de l’article apparaît, à mes yeux, tout autre. Y aller, ne pas y aller est une fausse question. Oui, on peut suivre à distance, la preuve. Mais que suit-on ? Des gens qui y sont. Forcément. Des joueurs, des éditeurs, des auteurs, des « journalistes »... Et tous ces gens provoquent avec joie et bonheur les systoles frénétiques de notre loisir. Alors, envisager ne pas y aller, pfiou… Même pas en rêve. Il faudrait une suite d’événements incroyables, comme une crise mondiale, pour que les joueurs fassent l’impasse. Et tant qu’il y aura des joueurs, il y aura des éditeurs et des médias pour relayer tout ça.
Alors, quel est le fond du sujet ?
Pour une revue papier, il paraît évident. Le souci réside dans l’instantanéité du web, sa rapidité de réaction. Je vois un truc, j’écris, je publie, c’est lu, et tout ça en moins d’une heure ! Nul besoin d’attendre l’impression et l’envoi par la poste d’un magazine. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, cette instantanéité, cette proximité avec l’actu est un problème pour les éditeurs de site web aussi. Un vrai problème. Encore plus lorsqu’il s’agit de traiter un événement public. C’est là que surgit le « twittnalisme »*. Professionnel et amateur. C’est là que déboulent les questions sur le recul que l’on prend sur l’info. Ce recul nécessaire pour la digérer, l’analyser. Ce recul qui fait de plus en plus défaut au journalisme actuel.
Alors c’est la course. C’est là qu’apparaissent les buzz plus ou moins artificiels, les scoops et les exclus qui n’en ont que le nom, la recherche du truc que personne n’a vu. Et c’est là que ça commence à sentir mauvais, et pour le lecteur, et pour l’info, et pour le journaliste. Enfin, pour notre secteur d’activité, disons pour celui qui veut informer, parce que des journalistes, des vrais, il n’y en a pas beaucoup. Le public « twitte », envoie des photos sur Facebook, les éditeurs, les auteurs aussi. Les sites web font la course pour poster encore plus vite en encore plus grosse résolution. Or donc, quoi faire ? Comment gérer tout ça ? Surtout quand on est une revue papier.
Leur conclusion ne peut-être que « trop d’info tue l’info ». Assurément. Leur analyse ne peut déboucher que sur une réponse qui consiste à dire qu’il faut se laisser le temps du recul pour une analyse plus fine. C’est en suspens la question de l’article. La vraie question. La seule, à mon sens. Évidement, j’imagine que du point de vue d’un mensuel, le temps idéal du recul idéal est de l’ordre de deux mois, c’est à dire celui entre l’évènement, la mise en page d’un numéro, de son impression et de sa distribution en kiosque ou chez l’abonné.
Alors, y a-t-il trop d’infos ?
Je ne dirais pas qu’il y a trop d’infos. Il y en a juste beaucoup. Même si la production était un peu inférieure à 2011, il y a quand même une quantité phénoménale de sorties sur ce salon. Tellement qu’une revue papier ne peut pas tout traiter. Même avec du recul. Tellement qu’un lecteur (web, papier) ne peut pas tout lire ou voir. Parce que chaque jeu cherche sa fenêtre de visibilité. Et c’est bien normal. Alors les vraies questions sont « Comment doit-on faire le tri ? », « Qui va faire le tri ? », « Où doit-on faire ce tri », « à quelle vitesse doit être fait ce tri ? », « Est-ce que tout cela à un sens ? », « Depardieu est-il trop payé ? ».
Un tas de questions qui en appelleront certainement un tas d’autres. Mais, en attendant un autre "édito", force est de constater que l’avantage du web est de pouvoir fournir de l’instantané tout en pouvant traiter les choses avec recul...
Avant de terminer ce long papier, j’ai envie de contredire malgré tout l’une de leurs conclusions en rajoutant ceci. Les caméras peuvent très bien retranscrire tout un tas de sentiments. Assurément. Voire les sublimer. Il faut juste en avoir simplement la volonté, le temps et les compétences, pour ne pas dire le talent. L’histoire de l’audiovisuel est remplie d’exemples. Alors qui dans le monde du jeu aura la volonté, le temps, les compétences et le talent...
Je rajouterais pour finir, lisez Plato, parce qu’une seule source d’information, c’est louche et ce n’est pas bon pour le monde dans lequel nous vivons. Oui. Merci à Vincent Bonnard et Damien André d’avoir écrit ce papier qui m’a donné envie d’écrire celui-là.
▶ Le show Room d'Essen 2012 dans la TiTiTiVi, c'est par là !
▶ Les classements du Buzz d'Essen 2012 dans la TiTiTiVi, c'est par ici !
▶ Les centaines de photos des jeux sur TT, c'est là !
▶ Les centaines de photos sur les joueurs, c'est par ici !
NdlR : * Twittnaliste, Twittnalisme, j’assume ce néologisme qui est la contraction de twitter et de journalisme. Oui. Un phénomène qui me laisse sans voix, ou plutôt le contraire. Assurément.