Pour introduire le sujet
En réalisant mon entretien avec Michel Lalet auteur de « Auteur de jeux de société, un art à part entière », j'ai réalisé que je réfléchissais depuis longtemps sur cette question.
Comment définir le jeu ?
Comme un art ? Un loisir comme le tennis ou le football ?
D'ailleurs le sport ne serait-il pas un art lui aussi ?
Ne parle t-on pas d'artiste pour Pelé, Zidane ou Diego Maradona ?
Mais nous en reparlerons plus tard.
Mais si le jeu de société est un art, alors qui est l'artiste ?
L'auteur, créateur original de l'idée et des mécanismes ?
L'éditeur oeuvrant pour la réalisation concrète du jeu ?
L'illustrateur, seul artiste reconnu jusqu'ici dans un jeu de société ?
Ou bien le joueur lui même, seul acteur actif au moment de la mise en animation de l'oeuvre ?
Certes Michel Lalet avait des arguments convaincants.
D'autres malgré sa culture du jeu impressionnante me semblaient moins clairs, plus incertains, plus subjectifs surtout.
A la lecture de son ouvrage, il me venait la conviction au fil des pages que l'auteur tentait de se convaincre de sa théorie, comme si l'artiste présent en lui via ses créations musicales, théâtrales et littéraires ressentait un besoin irrésistible de se définir à nouveau dans une catégorie connue de lui : l'art.
Mes convictions n'étant que purement subjectives elles aussi, cet essai ludique n'a pas l'ambition de s'opposer à Michel Lalet mais bien au contraire de la compléter,très modestement bien évidemment, de lui donner un angle de vue différent par mon vécu personnel, ludique et professionnel.
Je ne m'attarderais que très peu sur les arguments de Michel Lalet avec lesquels je suis en total adéquation, cela n'aurait que peu d'intérêt, l'auteur les présentant d'une plus belle plume que je ne saurais le faire.
Je vais donc argumenter sur les points avec lesquels je suis en parti ou totalement en opposition, et qui me semble en tout cas discutable, non pour polémiquer vainement mais bien pour tenter de progresser sur la réflexion proposée.
En espérant que cet essai vous donne l'envie d'en savoir plus sur l'oeuvre originale.
Le pourquoi de la création
Michel Lalet commence son ouvrage (Page 17) par la question primaire :
« Pourquoi créer ? »
Sa réponse est simple et très compréhensible : Créer une émotion.
Même s'il peut évidemment exister d'autres raisons pour les auteurs comme le besoin de reconnaissance, la manne financière pour certains même si nous restons dans un domaine encore modeste, celle-ci me semble effectivement la première pour bon nombres d'auteurs publiés ou non.
Si le besoin de créer et d'exprimer une émotion dans l'art est évident, peut-on pour autant penser que le simple fait de créer une émotion provoque un acte artistique ?
Le créateur de Space moutain serait-il lui aussi alors un artiste même si on peut parler ici plus de sensations que d'émotions, bien que l'on parle « d'émotions fortes ».
Le troll sur internet serait-il lui aussi un artiste méconnu par sa verve acerbe créant bien souvent une émotion négative auprès de son interlocuteur ?
L'artificier, le cuisinier, le sportif, le dompteur, l'acteur de film X sont eux aussi des créateurs d'émotions mais sont-ils des artistes pour autant ?
Si Galèrapagos est une œuvre artistique, alors Koh Lanta serait-elle son pendant en version télévisée?
Un joueur actif
Rapidement (Page 21), Michel Lalet revient sur un point que nous avions évoqué : Le fait que le jeu serait alors le seul art où le joueur n'est pas acteur.
Mais est-ce bien le rôle d'un art que de rendre le spectateur actif et acteur de la création ?
Je sais que bien des « créations contemporaines » proposent cette idée, mais sans l'intention de juger ces œuvres (bien que j'ai ma propre opinion), cette idée me semble encore à l'état d'embryon.
Les performances new-yorkaises ou parisiennes peuvent t-elles déjà être qualifiées comme des chefs d'œuvres artistiques
Ne peut-on simplement pas les voir comme des propositions encore naives et débutantes n'ayant pas encore apporter de réelles bases artistiques?
Quand Michel Lalet je crois sur Tric trac, argumente sur le fait que la pièce de théâtre ne prend vie qu'avec l'acteur, je m'étonne tel le Docteur Mops. Qui n'a pas vibré en lisant Hamlet ou les œuvres d'Euripide en s'imaginant sa propre mise en scène ?
Probablement d'ailleurs plus forte que celle de n'importe quel metteur en scène. Le comédien lui-même va ressentir l'émotion avant d'interpréter son rôle.
L'oeuvre en scène « ne sera que » la vision d'un auteur, une nouvelle création artistique en quelque sorte. Les musiciens le savent bien, tel violoniste n'interprétera pas Mozart de la même manière qu'un autre, par sa sensibilité, son vécu, son interprétation de l'oeuvre.
Les joueurs seraient-ils alors des créateurs eux aussi ?
La seule vraie action ne serait-il pas alors non de jouer mais de regarder la partie de jeu de société ?
Cela se fait bien au poker me direz vous !
Ou bien encore à Magic the gathering et bien évidemment encore plus dans le domaine sportif. C'est vrai.
Doit-on pour autant voir une œuvre artistique en voyant Phil Ivey ou Tom Durr bataillant férocement en Omaha?
Deux champions s'affrontent à Abalone lors des Mind sports olympiad
La vision d'une partie hilarante de Docteur Pilule ou d'une partie des loups garous de Thiercelieux dans une salle remplie de spectateurs comme l'a réalisé Philippe des Pallières à Cannes, seraient-elles du même niveau qu'une comédie de Blake Edwards ?
Les engueulades crées par Diplomatie seraient-elles comparables à la colère que nous ressortons lors du visionnage d'un film de Ken Loach ?
Questions qui peuvent se poser, mais qui n'exprime pas en tout cas ma vision de l'art.
Pourtant je dois l'avouer, je ressens le sentiment inverse grâce à un jeu récent, j'allais même utiliser le terme « œuvre récente » tellement je ressens quelque chose de particulier en jouant à The Mind.
The Mind
Si certains goguenardent sur l'aspect visuel du jeu et de ses lapins accompagnés de Shuriken, j'ai la conviction intime que c'était le meilleur choix pour un tel jeu.
The mind ne joue pas sur la réflexion mais sur la sensation à l'autre, sans comprendre tous les tenants et aboutissements lorsque l'on joue une carte, l'aspect va dans ce sens, une étrangeté visuelle et incompris apportant un réel mysticisme au jeu. Wolfgang Warsch nous plonge dans un univers lynchéen, suréealiste, une sorte de trou noir où pour sortir il faudra trouver la bonne combinaison de cartes permettant d'accéder à une autre forme d'existence.
Les lumières blanches du jeu me donnent également cette sensation de mort et de ma réincarnation en un être fantasmagorique : Le lapin ninja !
La règle du jeu commence d'ailleurs par cette phrase incroyable : « Nous ne faisons plus qu'un ! ».
Sommes-nous des êtres bloqués au purgatoire tel les héros de Lost tentant vainement d'échapper à leur existence ?
Ne faudrait-il pas non voir The Mind comme un jeu mais plutôt comme une renaissance de notre moi intérieur en adéquation avec 1, 2 ou 3 autres êtres humains avec qui l'on partage cette expérience surréaliste ?
J'ai la forte sensation d'avoir affaire ici à une vraie œuvre d'art, incompréhensible et mystique comme la fin de 2001 l'odyssée de l'espace.
Les intentions
Page 32, Michel Lalet nous explique que « les intentions de l'auteur sont comprises, admises, intégrées ».
Pourtant Skull and Roses d'Hervé Marly a été très mal accueilli par une partie du public qui ne comprenait pas l'intérêt du jeu.
Quel escroquerie de vendre un jeu fait uniquement de hasard ! Criaient certains.
Alors que Skull and Roses est un sublime jeu d'interactions humaines ou aucune place n'est justement laissé au hasard. La pureté du jeu permettant de laisser toute sa place à une tension palpable entre les joueurs et de réflexions du type que l'on peut avoir au poker.
La preuve flagrante que les intentions d'Hervé Marly n'avait été absolument pas comprises et encore moins admises par de nombreux joueurs.
Les réactions autour de The Mind le prouvent également.
Certains ne comprennent absolument pas un tel jeu, « Il suffit de compter les secondes ! », « Uniquement basé sur la chance ».
Non le jeu est bien évidemment ailleurs, encore une fois le concept et les intentions n'ont pas été intégrées, sans que cela soit catastrophique bien évidemment.
Le concept de hasard étant lui-même souvent rejeté par les joueurs aguerris.
Quelle belle métaphore de l'existence humaine qu'un simple jet de dé pouvant vous mener à la victoire ou à une mort/défaite certaine !
Ces joueurs pensent-ils pouvoir tout contrôler au fil leur existence ?
La problématique des auteurs
L'auteur nous affirme que la rémunération des auteurs baissent de manière problématique (Page 44).
Mais est ce vraiment le cas ?
Aucun chiffre n'est donné entre différentes époques donc difficile de savoir ce qu'il en est vraiment.
Pendant ce temps, les auteurs se réunissent, débattent, se défendent de mieux en mieux, ils sont d'ailleurs de plus en plus à ne vivre que de cela.
Comment leur situation pourrait t-elle devenir problématique ?
Il aura fallu le succès de ces dernières années pour arrêter de compter les auteurs professionnels.
Plus besoin maintenant de créer un best seller comme Blokus, Citadelles, 7 Wonders ou Les loups garous de Thiercelieux pour vivre du jeu.
Alexandre Droit ou Roberto Fraga en sont d'ailleurs la preuve.
Le principe de nouveauté
Il enchaîne rapidement (Page 45) avec les « vrais » éditeurs travaillant dans le champ de la nouveauté s'interdisaient jusqu'à peu la moindre ressemblance avec un jeu déjà existant. « Tous se flattaient de pouvoir surprendre ».
Mais qui oserait ou même aurait simplement l'envie de dire cela en littérature ?
Les tragédies grecques n'apportaient rien en soi de nouveau, ou en tout cas rien n'a été fait de nouveau depuis sauf peut être par Shakespeare, Cervantes et Borgès vous diront certains.
Est ce que pour autant la littérature n'a pas eu son lot de chefs d'oeuvres depuis ? Qui oserait en douter ? Ne peut t-on pas ressembler et sublimer ?
Ne peut-on pas copier une histoire, un thème, un mécanisme et pourtant apporter autre chose ?
Et oserais-je même demander de manière un peu provocatrice par les temps qui courent: Ne peut-on pas plagier et améliorer ?
Les Loups de garous de Thiercelieux n'ont ils pas porté aux nues Mafia, jeu inconnu du grand public ?
Ne voit-on pas des dizaines de jeux pillés les mécanismes établis par Magic the gathering comme le draft, le deckbuiding, la combo....
Aurait-on connu 7 wonders, Paper Tales, Elyseum, Seeders, Star realms, Heartstone sans une inspiration salvatrice de Magic ?
N'est ce pas ainsi que l'art à progresser au fil des siècles ?
N'a t-on pas vu un mouvement surréaliste ?
A t-on vu un seul expressionniste en peinture ?
Pourrait-on parler de pointillisme si Georges Seurat avait été le seul à utilisé cette technique ?
Le jeu a peur du copiage, mais n'est ce pas l'une des plus belles preuves de réussite ?
Quand Michel Lalet nous explique que le jeu est la seule forme d'art à proposer que le spectateur soit à la fois acteur, décisionnaire des actions conduites et son propre spectateur.
N'est ce pas également pour d'autres domaines comme le sport ou la cuisine ?
Voire même la philosophie qui est elle aussi une mécanique (de l'esprit), demandant à être « joué » par les gens afin de la penser réellement.
Emotions et idées dans le jeu
Page 57, Michel Lalet nous indique que la chanson s'adresse à l'émotion, à la sensibilité de celui qui écoute, et que ce n'est pas le cas pour le jeu. Ce dont je suis en grande partie d'accord avec lui.
Mais justement n'est ce pas la définition même de l'art que de s'adresser à l'émotion et à la sensibilité de celui qui voit, lit, entend cette œuvre?
Une œuvre doit-elle se penser ?
Oui on le peut évidemment mais notre première rencontre avec une œuvre est toujours de l'ordre de l'émotion.
Une œuvre musicale vous bouleversa par sa mélodie, par ses paroles qui vous ramèneront à votre existence 2001 l'Odysée de l'espace ou même la Divine Comédie vous enverront dans un univers mystique, que l'on ne peut comprendre mais que l'on vit pleinement, totalement, avec un engagement fou et qui vous dépasse.
La traversée des enfers dans la Divine Comédie. Dante
L'auteur enchaîne page suivante que selon lui le jeu ne doit pas être plus fort que le joueur, mais se mettre à sa hauteur, le servir.
Mais justement l'art ne doit t-il pas être plus fort que le spectateur, aller si loin d'une manière si puissante que le spectateur s'en trouve totalement dépassé et se laisse emporter par la puissance de l'oeuvre ?
Comment un système (je parle du jeu de société) pourrait t-il être comparé à un art s'il ne possède pas cette caractéristique fondamentale selon moi ?
Comment un « outil » mesuré, pourrait t-il emporter, sublimer le joueur s'il ne le dépasse ?
Mais des exemples me viennent
Je n'y ai pas encore joué, c'est donc difficile de vous parler pleinement, mais les joueurs ayant essayé This war of mine disent être dépassés par le système qui vous emmènera de toute manière à une perte soit morale soit physique dans le jeu par des choix difficiles voire insupportables.
The Mind, lui aussi encore, ne vous emmène t-il pas ailleurs, en vous laissant jouer avec votre instinct ou presque ?
La réflexion n'a plus lieu d'être, voire détruit le jeu, vous devez y croire, de manière pure, entière.
Des techniques stratégiques peuvent vous aider parfois à gagner comme par exemple si votre plus petite carte est un 92 et que vous la jouez afin d'éliminer bon nombre de cartes, mais cela irait à l'encontre de l'esprit du jeu au point de le fourvoyer...
De vous fourvoyer oserais même dire.
Ce qui peut d'ailleurs être mis en lien avec un propos de Michel Lalet lorsqu'il nous indique très intelligemment que les joueurs jouent comme ils l'entendent (au niveau des règles et de l'esprit) et qu'il faut être très modestes face à ces questions.
« Forcer et contraindre sera contre productif (Page 103)
Je suis pleinement d'accord avec lui sur ce point.
Mais bon nombre d'auteurs n'ont-ils pas (légitimement au niveau de leur sensibilité d'auteur) un problème avec cela ?
Pour continuer sur le thème de l'émotion, l'auteur nous explique Page 81 que « le jeu remet en ordre des zones inactivées jusqu'alors de nos compétences, de nos connaissances ou de nos émotions, il rejoint l'art en soi ».
Mais le jeu apporte essentiellement (sauf dans certains cas très rares comme This war of mine) des émotions positives.
Je n'ai jusqu'ici vu aucun jeu me faire pleurer, aucun jeu n'a remis mon existence même en question.
Aucun jeu n'a été plus fort émotionnellement que la réalité.
Bien sur une trahison à Diplomatie fait mal, voire très mal pour certaines personnes, mais jamais autant qu'une réelle trahison d'un proche.
Oui le poker, peut vous faire éclater des souris, voire des claviers pour certains, mais certainement parce qu'il joue dans un registre différent, celui de l'argent.
Certains joueurs peuvent à tort effectuer des swings incroyables en quelques heures, jouant malgré un talent incroyable au delà de leur bankroll.
Phil Ivey expliquait qu'il ne faut pas avoir à l'esprit que l'on mise une voiture voire une maison pour jouer correctement.
Dans l'idéal, un bon joueur de poker n'a pas d'émotion, contrairement aux joueurs de société qui vont aller rechercher cette émotion et souhaiter la vivre pleinement.
Bon nombres de joueurs amateurs vont à Las Vegas (ou au casino près de chez eux) pour vivre une émotion forte mais reviennent bien souvent juste avec de jolis souvenirs ce qui n'est pas mal en soi si l'on ne se met pas en danger financièrement.
L'avantage du poker c'est qu'il permet de prendre une grande distance par rapport à l'argent, ce qui psychologiquement peut aider certaines personnes à gagner en confiance et en liberté.
Pour en revenir à l'idée de départ, quel jeu me fait réfléchir sur mon existence ou sur le monde en général ?
Quel jeu me pousse à quitter une femme, ou à en reconquérir une autre, voire même à vouloir des enfants ?
Quel auteur de jeux me dit qu'il comprend pleinement ce que je ressens lors d'une rupture ou d'un décès ?
Personnellement je n'en connais aucun !
Rien que pour cela, le jeu ne peut pas être un art !
Comme je vois très peu de jeux autour de la chose politique (les affaires publiques), peu de jeux sont vraiment engagés.
En voyez vous d'ailleurs ?
Les poilus me vient à l'esprit, mais sur un événement passé (qui resurgira malheureusement peut être un jour) .
Playa playa peut être en favorisant l'écologie, mais tout le monde semble d'accord officiellement à ce sujet (moins dans les actes).
Quel jeu a été édité dernièrement pour dénoncer un réel fait, quel jeu s'est engagé de manière totale pour dénoncer un acte politique, religieux voire même social ?
Qui parle de dérives totalitarismes ?
Qui ose parler des sans abris ou même des cancers générés par l'industrie de manière sérieuse, contemporaine et de manière engagée ?
D'ailleurs un tel jeu serait-il acheté ?
Même question pour la poésie, l'art d'évoquer et de suggérer des sensations, des impressions, des émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les verse .
On parle de poésie pour Dixit ou Décrocher la lune, mais évoquer un thème tel que les étoiles ou avoir de sublimes illustrations suffit-il pour autant à être poétique ? Sans que cela retire de la qualité à ces jeux bien évidemment !
Peut-on comparer cela aux œuvres d'Hugo ou de Lord Byron ?
Partir d'une œuvre artistique pour créer un jeu comme le fait Sid Jackson (Page 87) suffit-il à en faire de l'art ?
Je suis sceptique. Roberto Fraga par la folie lyrique qu'il tente d'instaurer dans ses jeux pourrait peut être se rapprocher de la définition du poète.
Roberto Fraga en compagnie de Florence, épouse et muse de l'artiste.
Les joueurs
Dans la seconde partie de son œuvre, Michel Lalet nous indique très justement que tout le monde joue mais parfois sans le savoir.
Mais faut-il comparer les anciens joueurs (Ceux de la Scoppa, de la belote, de la coinche...) aux nouveaux joueurs du jeu de société moderne ?
Les premiers effectuant un rite de sociabilisation comme l'auteur nous le dit « Les joueurs de Scoppa parlent » (Page 98), tandis que les joueurs « modernes » jouent bien souvent malheureusement pour jouer voire même pour d'autres raisons:
-La montrer sur les réseaux afin de voir qui à la plus grande (je parle de la ludothèque)
-Chercher des joueurs sur des sites de rencontres afin d'organiser des soirées jeux
-Ramener des jeux chez leurs amis afin de jouer et non d'échanger.
-Acheter et ne pas jouer, voire jouer seul.
-Penser et parler de la stratégie, du matériel, des illustrations du jeu constamment et non de la belle soirée que l'on a pu passer avec les autres.
Cela nous ramène aux maux de notre société actuelle où l'individu n'arrive plus à se retrouver face à lui même ou réellement à l'autre en tant qu'être humain mais préfère le voir comme un partenaire de jeux, un outil de jouissance que l'on utilise pour se divertir de manière plus sociale en apparence par rapport à d'autres activités comme le jeu vidéo.
Le monopoly, la belote ou le 421 ne méritent t-ils pas le terme de jeu de société plus qu'Agricola pour n'en citer qu'un
Exception faite à des jeux tel que Profiler ou Feelings qui permettent je trouve un réel échange entre les individus.
Le poker me semble lui aussi faire exception à cette règle, à la fois stratégique et populaire, il rassemble les 2 publics d'où son succès depuis 10/15ans.
Les critiques
Michel Lalet nous explique (Page 62) que la presse ludique renaît depuis quelques temps. Mais qui ? De quelle manière?
Si en effet il existe des médias multiples (Tric trac, Ludovox, des dizaines de blogueurs..), l'analyse réalisée est bien souvent pauvre.
Les articles de jeux, les miens en premier je le confesse tourne bien souvent sur le matériel, les illustrations, les mécanismes de jeux quand ce n'est pas la starification des auteurs...
Tric trac tente, expérimente, depuis un certain temps via ses 2 gentils briscards au passé artistique des débats qui évoquent parfois des problématiques intéressantes.
Mais où, quand et par qui sont décrites les intentions de l'auteur ?
Quelles analyses réelles sont réalisées comme André Bazin, Serge Daney ou Pauline Kael savent le faire ?
Je n'en vois aucune.
Pourquoi ?
Le monde ludique ne serait-il pas encore préparé à franchir le pas?
Les médias n'auraient t-ils pas assez de réelle culture artistique pour en parler de manière profonde lorsqu'il est question d'un jeu ?
L'effort est-il trop important pour une débouchée financière trop minime ?
Les joueurs obsédés par les goodies et autres strech goals y trouveraient-ils vraiment un intérêt ?
Ou bien cela nous est-il tout bonnement impossible car le jeu n'est tout simplement pas un art et qu'il est donc alors impossible de réaliser une critique artistique à son encontre ?
La question se pose.
Un aparté sur le sport
Michel Lalet que ce soit dans son ouvrage ou dans son entretien à mes côtés a expressément écrit qu'il ne considérait pas le sport comme un art, contrairement au jeu.
Mais comme ce dernier, le sport apporte une mécanique (les règles) qui demande un engagement certain où le sportif est pleinement actif et est regardé par le spectateur passif admirant l'oeuvre réalisée par Zidane ou Surya Bonaly.
Les 2 domaines me semblent tellement proches, voire même étant une seule et même entité que leur classification ne peut être selon moi réalisés que dans un domaine similaire.
Soit les 2 rentrent dans le domaine de l'art, soit les 2 sont des activités différentes du domaine artistique.
Je m'explique.
Le sport est définit comme tel par le Larousse : « Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises. »
Remplacez le terme « exercices physiques » par celui « d'exercices intellectuels » et vous obtiendrez une définition du jeu de société actuel.
Michel Lalet considère le sport avant tout par son côté compétitif voire financier. Mais cela ne reste qu'un aspect mineur sur l'ensemble des acteurs du monde sportif.
Les quinquagénaires cyclistes du dimanche matin, légion dans notre beau pays, n'ont jamais tenté pour la plupart de participer à une compétition et encore moins d'en vivre.
Le relais médiatique fausse notre vision de ce qu'est réellement le sport en France.
Des tournois d'Agricola, Clank, 7 wonders voire même de Dawak ont lieu lors des manifestations ludiques mais cela est bien évidemment bon enfant pour la plupart des participants comme cela l'est pour la majorité des gens effectuant une activité sportive.
Certes parfois des propos malheureux à l'encontre de l'arbitre peuvent être prononcés.
Mais les échecs ou le Bridge sont maintenant considérés comme des sports à part entière par la fédération olympique (sans être inclus au programme des jeux olympiques).
Les sportifs émerveillent sur des générations entières par leur talent, Les tactiques et les modes évoluent au football comme cela peut être le cas pour le cinéma, la peinture ou la musique.
Pep Guadiola a révolutionné le football moderne par son intensité offensive et son pressing de tous les instants, il est depuis copié par nombre d'entraîneurs, créant ainsi une école Guardiola comme l'école impressionniste a pu existé en son temps.
Les matchs sont analysés, décortiqués par ordinateur, le jeu n'a lieu que si des acteurs (les joueurs) se mettent en branle comme pour un jeu sur table, la rapidité, la réflexion, l'observation sont des critères essentielles, et le plaisir tel que pour un jeu de société reste toujours bien présent.
Zidane lors de France-Brésil en 2006, un artiste au sommet.
Le pourquoi du comment, en somme de conclusion.
Alors pourquoi vouloir parler création artistique ?
Michel Lalet donne lui même sa réponse de manière très libérée : Pour mettre le jeu en lumière.
Il avoue cela de manière honnête mais on n'argumente pas un propos pour arriver à la thèse que l'on a décidé dès le départ et encore moins si c'est pour un objectif autre que la définition elle même.
L'intérêt qu'il trouve comme d'autres auteurs que je respecte grandement comme Bruno Faidutti à vouloir donner une définition, une appartenance au domaine artistique pour une raison de mise en lumière désavoue totalement son propos.
C'est son côté « commercial » d'agent qui ressort alors, oserais-je dire.
C'est comme si Nike ou Peugeot définissaient leurs produits comme des œuvres artistiques pour se donner une valeur autre, se démarquer des autres marques.
Et cela va dans le sens de ce que je ressens en ce moment dans le monde ludique, vouloir se donner une valeur autre que celle que le jeu de société possède déjà.
Le jeu ne serait-il pas simplement quelque chose d'à part entière ?
Comme l'art, il possède différents domaines (« différents arts » en quelques sorte) comme le jeu de rôle, le jeu vidéo et bien évidemment le jeu de société.
Pourquoi donc vouloir s'intégrer à l'art ?
Le projet Asmodee research me fait me poser exactement la même question : Quel(s) intérêt(s) à vouloir crédibiliser absolument le jeu de société ?
Financier ans un premier temps pour l'éditeur , une question d'égo certainement également pour les auteurs.
Le jeu doit selon moi accepter son statut d'oeuvre à part, s'assumer pleinement et non vouloir se travestir pour paraître plus tendance, plus adulte, plus intelligent voire vous dira t-ont bientôt plus philosophique que la philosophie elle-même !
Mes propos pourront sembler durs à certains, alors que j'ai bien évidemment le plus grand respect pour l'oeuvre de Michel Lalet et un amour, une filiation oserais je même dire pour le jeu tellement celui-ci fait partie de mon existence depuis toujours.
Découverte du poker en 1986 à l'âge de 5ans, du jeu de rôle en 94, de Magic et de Diplomatie 1 an plus tard, Colons de Catane suivra très peu de temps après, animateur bénévole puis professionnel depuis plusieurs années.... en somme le jeu me suit réellement au quotidien depuis plus de 30 ans.
Jamais je n'aurais osé définir ma passion comme un art.
En tant qu'animateur de jeux de société, serais-je alors un présentateur d'art ?
Ironiquement je vous dirais que je ne pourrais donc plus me passer de ce terme pour mes soirées mondaines !
Je resterais très modeste en restant persuadé ,malgré tout le respect que j'ai pour le jeu et malgré tout ce qu'il m'a apporté, le jeu ne peut se définir pour toutes les raisons invoquées ci dessus comme un art.
J'ai hésité à vous parler des deux autres parties de l'ouvrage de Michel Lalet, mais j'ai décidé de m'arrêter ici afin de ne pas mélanger d'autres sujets à celui-ci.
Je remercie à Michel Lalet pour notre échange qui m'a poussé à réfléchir encore plus sur cette réflexio nque j'avais depuis quelques mois.
Malgré nos différents, je remercie Ilinx qui oeuvre pour des projets différents et auquel je crois.
Merci à ceux qui tenteront de voir plus loin que la simple critique et de réfléchir ensemble.
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes réflexions et mes projets de voir plus loin que le jeu en lui-même, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres articles et projets auquel je crois mais qui demande du temps et des moyens financiers.
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, et Ludikam!
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir l'entretien avec Michel Lalet :
Michel Lalet 1 ère partie
Michel Lalet 2 ème partie